Zemmour dévoile le grand nettoyage des banlieues

Zemmour dévoile le grand nettoyage des banlieues

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Le projet «opération Ronces», visant à faire intervenir l’armée dans les banlieues, est-il une réalité ?

Depuis des années le spectre d’une intervention militaire dans les banlieues agite régulièrement le débat. Un «fantasme», objecte l’état-major des Armées.

C’est un serpent de mer au nom de plante, qui nous a valu bien des questions : l’«opération Ronces». Ce nom apparaît dans Un quinquennat pour rien, livre d’Eric Zemmour paru en 2016 chez Albin Michel : «Pour l’instant, on confine l’armée dans un rôle scandaleux de gardiennage, de protection des édifices religieux, vain et démobilisateur [l’opération Sentinelle, ndlr]. Mais l’état-major de l’armée sait qu’un jour viendra où il devra reconquérir ces terres devenues étrangères sur notre propre sol [les banlieues, selon le polémiste, ndlr]. Le plan est déjà dans les cartons. Il a pour nom “opération Ronces”. Il a été mis au point avec l’aide des spécialistes de l’armée israélienne qui ont transmis à leurs collègues français leur expérience de Gaza.»

Le jour de la sortie du livre, Zemmour est interrogé sur RTL (au bout de 6 min 30) au sujet de ce passage : «Vous prétendez que l’armée française est prête à faire…» Zemmour coupe la parole : «Un nettoyage. C’est la bataille d’Alger qui recommencera.» Face à un intervieweur circonspect, le polémiste s’agace : «Je le tiens de sources sûres, de gens très proches de l’état-major. Je n’ai pas donné ce nom – “Ronces” – en vain. Ils sont allés voir les spécialistes de l’armée israélienne. Et les Français qui m’ont expliqué ça m’ont dit que, comme ils avaient fait à Gaza, ils leur ont conseillé de faire la même chose. Ils leur ont expliqué comment il fallait faire, parce que les Israéliens sont des spécialistes. Le plan français est prêt. […]»

Contacté, Eric Zemmour nous écrit : «Je n’ai pas le temps de vous répondre et je n’ai pas plus d’informations que je n’en avais à l’époque.» Depuis 2016, à notre connaissance, il n’a pas reparlé de ce sujet. Cela n’a pas empêché l’opération « Ronces » de proliférer sur des forums ou dans des commentaires sur des sites de presse, mais pas seulement.

De Zemmour à Bassem

En 2019, Didier Chabaillé, un ancien CRS passé par le Front national et atterri chez Debout la France s’en fait l’écho : « Les militaires s’entraînent pour intervenir dans les cités quand ça va exploser. On ne sait pas quand mais ça va exploser. Est-ce que ça va être une sorte de mini-guerre civile cantonnée dans certains quartiers ? Très probablement. Mais il y a un moment où un acteur politique va dire “on y va” et on va y aller. […] Les Français ne le savent pas, c’est Zemmour qui l’a révélé il y a quelque temps en révélant l’opération Ronces. Il s’est fait taper sur les doigts d’ailleurs, si j’ai bien compris. L’opération Ronces, c’est une opération de préparation militaire pour intervenir, au cas où.»

Didier Chabaillé nous assure ne pas tenir cette information de Zemmour, mais d’«autres personnes». Qui sont-elles ? Et d’où leur vient cette information ? Didier Chabaillé refuse de répondre, arguant qu’il n’a pas l’autorisation de Debout la France pour s’exprimer – autorisation nécessaire en temps de campagne pour les régionales, dit-il.

En juin, à l’occasion des tensions entre des habitants des banlieues de Dijon et des membres de la communauté tchétchène, nous relevions dans une vidéo un tag «non au projet Ronce». Récemment, un rap commençant par l’interview de Zemmour sur RTL a pris le titre de Projet Ronce.

Le dernier grand promoteur de cette rumeur est le blogueur Bassem, via des vidéos et des photos postées sur Snapchat. Comme cette séquence de novembre, où il soliloque : «L’opération Ronce, c’est le début de la fin. C’est la loi martiale qui va être appliquée dans toutes les cités. […] Il va y avoir un couvre-feu qui va être imposé. C’est pour ça qu’on déploie l’armée dans les cités. On va faire d’une pierre deux coups. Vous vous rappelez en 2005, quand Sarkozy parlait de nettoyer la racaille au Karcher ? Ça, c’était les prémices de l’opération Ronces. Ça a toujours été dans la tête des politiques. […] Ils ne seront même plus sous la coupe du ministère de l’Intérieur, des avocats, des vices de procédure et de ce qui va avec. […] L’opération Ronces va servir à nettoyer les fours [point de deal, ndlr] dans les cités. C’est là où l’Etat va entrer en jeu et va légaliser le cannabis. Mais avant, il faut faire l’opération Ronces, il faut nettoyer tous les fourgueurs dans tous les quartiers. […] Tu vas descendre de chez toi, tu vas croire que t’es dans les Balkans pendant les années 95. Tu vas voir des chars. […]»

Contacté, Bassem n’a pas répondu à nos demandes de précisions.

«Ultime recours»

En 2016, peu après la sortie du livre de Zemmour, l’état-major des armées démentait l’existence d’un «plan» ou d’une «opération» Ronces auprès du Huffpost. Contacté par CheckNews récemment, l’état-major persiste et signe : il s’agit d’un «fantasme». Du côté de l’entourage de François Hollande, président de la République au moment où surgit cette opération Ronces pour la première fois, on assure n’avoir jamais eu connaissance de ce nom. Même réponse d’une source haut placée dans les forces de sécurité intérieures, familière du maintien de l’ordre et du travail dans les quartiers difficiles. Quant à Pierre de Villiers, chef d’état-major au moment de cette «révélation», il ne nous a pas répondu.

L’état-major rappelle que le cadre d’une intervention militaire sur le territoire national est fixé par une instruction interministérielle de 2017. Selon la règle des «4 i» formalisée par ce document, l’armée est susceptible d’intervenir quand «les moyens dont dispose l’autorité civile sont estimés inexistants, insuffisants, inadaptés ou indisponibles». Concrètement, cet engagement se fait en réponse à «une crise majeure», sur réquisition légale de la part des autorités civiles, et ensuite suivant un dialogue entre celles-ci et le commandement militaire. Le texte dispose que «les militaires déployés sur le territoire national dans le cadre des réquisitions prévues à l’article L.1321-1 du code de la défense peuvent recourir à l’emploi de la force».

A l’état-major, on précise que cette instruction interministérielle ne vise pas à cadrer une intervention militaire en banlieue, mais plutôt des opérations comme Héphaïstos (contre les feux de forêt), Résilience (pour faire face à la pandémie de Covid), ou encore lors des inondations dans la vallée de la Roya.

Pour ce qui est du maintien de l’ordre, «notre mission est d’appuyer, ou plutôt de soulager, les forces de sécurité intérieures quand cela est nécessaire», poursuit le sommet de la hiérarchie militaire. Comme quand des soldats de Sentinelle avaient participé à des gardes statiques pour libérer des policiers et des gendarmes afin qu’ils soient déployés face aux manifestations de gilets jaunes.

La participation de l’armée à ce type de mission est toutefois envisagée par l’instruction interministérielle de 2017, sur le mode de l’exception : «Les armées n’ont pas vocation à être engagées dans les opérations de maintien de l’ordre impliquant le contrôle ou la dispersion de manifestations, de foule ou d’émeutes sur la voie publique et ne peuvent intervenir qu’en ultime recours, sur décision des autorités gouvernementales.»

«Le risque de l’embrasement»

L’intervention de l’armée dans les banlieues est sporadiquement demandée par des élus, surtout locaux, de droite mais pas seulement. Après le meurtre d’un policier en intervention à Avignon, la demande a aussi été faite par le très à droite syndicat France Police-Policiers en colère, qui écrit dans une lettre ouverte à Emmanuel Macron : «Dans le cadre de l’état d’urgence, il faut procéder au bouclage des 600 territoires perdus de la République, y compris avec le renfort de l’Armée, en contrôlant et en limitant les entrées et sorties de ces zones par des checkpoints sur le modèle israélien de séparation mis en place avec les territoires palestiniens.» On notera, comme chez Zemmour, la référence au «modèle» israélien en la matière.

En 2010, dans le livre Opération Banlieue (éditions La Découverte), le chercheur Hacène Belmessous estimait qu’il y avait une préparation, notamment par le ministre de l’Intérieur (2002-2004 et 2005-2007) puis président de la République Nicolas Sarkozy, d’une telle intervention, malgré l’opposition des forces armées. A l’époque de la sortie du livre, l’AFP confirmait l’existence d’une instruction ministérielle assez semblable à celle que nous évoquions plus haut, visant à encadrer le déploiement de l’armée dans le cas d’une crise majeure. Dans le magazine Armées d’aujourd’hui (page 50), qui évoquait en premier lieu cette instruction, un responsable militaire en donnait les exemples suivants : «Pandémie, attaque terroriste, catastrophe, crise d’ordre public.»

Hacène Belmessous rapportait aussi ces lignes d’un responsable militaire (aujourd’hui colonel au centre de conduite des opérations de l’état-major) écrites en 2006 : «La mission principale dans les banlieues est du ressort des forces de police, mais les armées ont des moyens utiles pour régler cette crise. Moyens spécifiques qu’il serait peu rentable de développer uniquement pour le maintien de l’ordre, mais qui peuvent aisément être mis à disposition des forces de l’ordre. L’objectif n’est pas de s’immiscer dans les missions de police, mais de fournir des moyens purement militaires pour améliorer l’efficacité de ses interventions et lui dégager des marges de manœuvre. Si les troubles dans les banlieues venaient à se répéter, les armées doivent planifier une intervention possible.»

«Les forces de sécurité intérieures font tout pour repousser la limite et couvrir le haut du spectre [des violences urbaines]», analyse la source spécialisée dans le maintien de l’ordre évoquée plus haut. Sans s’y montrer favorable, au contraire, elle pronostique : «La bascule vers une intervention militaire se fera si la police et la gendarmerie n’ont plus les moyens, la capacité d’intervenir.»

Bref, si aucun élément solide ne vient confirmer l’existence d’une l’opération Ronces, cela fait (au moins) quinze ans que le sujet de l’intervention de l’armée dans les banlieues est ressassé. Légalement et théoriquement possible, évoquée publiquement avec parcimonie par certains membres de l’appareil de sécurité, une telle intervention est toutefois très loin d’avoir l’appui de la classe politique dirigeante. «Ce serait courir le risque de l’embrasement», objectait Christophe Castaner, alors ministre de l’Intérieur, il y a un an. Or, d’après les textes, seule l’autorité civile peut demander une telle intervention.

JForum.fr & LIBERATION

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