INTERVIEW. L’ambassadrice d’Israël en France estime que la menace que fait peser l’Iran sur le Moyen-Orient rapproche l’État hébreu des pétromonarchies.
Propos recueillis par Armin Arefi
L’Iran bien plus dangereux pour Israël que la Palestine ? Devant l’Assemblée générale de l’ONU, Benjamin Netanyahu a consacré la majeure partie de son discours à la menace que la République islamique ferait peser sur l’État hébreu. Brandissant une pancarte sur laquelle figuraient des photos de l’extérieur d’un « site de stockage atomique secret » situé à Téhéran, en mesure, selon lui, d’abriter « 300 tonnes de matériaux liés au nucléaire », le Premier ministre israélien a assuré que les dirigeants iraniens « n’ont pas abandonné leur objectif de développer des armes nucléaires » malgré la signature en 2015 de l’accord sur le nucléaire iranien, dénoncé depuis par les États-Unis de Donald Trump.
Pourtant, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), qui dépend des Nations unies, a toujours certifié depuis que l’Iran respectait bien ses engagements. Le 30 août dernier, l’AIEA a affirmé dans un rapport avoir eu accès à « tous les sites et emplacements en Iran qu’elle souhaitait » inspecter.
Ambassadrice d’Israël en France et à Monaco, Aliza Bin-Noun explique au Point la menace que représentent, selon elle, les activités de l’Iran au Moyen-Orient, et décrit également l’état de la relation entre l’État hébreu et Paris.
Le Point : Pourquoi le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a-t-il réservé la majorité de sa tribune onusienne à l’Iran ?
L’Iran est-il pour Israël une menace existentielle ou un rival stratégique ?
Ces deux aspects sont liés. L’Iran menace régulièrement Israël, ce que l’on ne peut pas ignorer. Il y a un an, les Iraniens ont écrit en hébreu sur un de leurs missiles (lors d’un défilé militaire à Téhéran) qu’Israël devait être détruit, et nous prenons très au sérieux ce genre de déclarations. Les choses sont donc très claires. Nous avons déjà fait l’expérience dans l’histoire de ce type d’annonces par rapport au peuple juif. Par ailleurs, l’Iran se renforce dans la région dans le but d’exporter sa révolution islamique, qui est la raison d’être de ce régime. On ne peut donc pas séparer les deux. D’un côté, oui, l’Iran est une menace existentielle, car il appelle à la destruction d’Israël, et, de l’autre côté, ce pays prend des mesures concrètes sur le terrain.
Israël a accentué ces derniers mois ses frappes dites « préventives » contre les bases iraniennes en Syrie, causant des dizaines de morts, sans pour autant essuyer de représailles d’ampleur de la part de Téhéran. La situation peut-elle dégénérer ?
Écoutez, Israël n’a pas intérêt à se mêler de la politique syrienne, mais nous avons trois lignes rouges : la livraison d’armes de l’Iran au Hezbollah ou à la Syrie, qui menacent Israël ; les tentatives iraniennes de se renforcer près de notre frontière ; et les échanges de feu en provenance du territoire syrien vers Israël. À chacun de ces cas de figure Israël réagit. Ces mesures préventives israéliennes visent, encore une fois, à ne pas laisser les Iraniens se renforcer. Nous ne pouvons pas attendre qu’ils soient devenus si forts qu’ils décident de prendre des mesures plus significatives contre nous.
Sur la gestion de la menace iranienne, il existe pourtant des divergences entre les analyses des responsables sécuritaires israéliens, bien plus prudents, et celles du Premier ministre Netanyahu.
Ces différences de points de vue font partie du débat démocratique. Mais je vous le rappelle : ce qui compte, c’est la position du Premier ministre. En Israël, comme dans chaque pays démocratique, les décisions sont prises par le gouvernement, qui a été élu de façon démocratique et représente la majorité de la population israélienne. Et la volonté de paix du peuple israélien, qui a peut-être existé il y a 25 ans, est en train de changer. Car ce qui influence l’opinion publique, qui est aujourd’hui plus à droite que par le passé, ce sont les menaces pour sa sécurité : des éléments extrémistes comme l’Iran et ses avatars – le Hezbollah et le Hamas – ainsi que l’incitation à la haine et les actes terroristes du côté palestinien, dont le président, Mahmoud Abbas, soutient les familles des terroristes. Cette tendance existe aussi en Europe.
La France a récemment déjoué une tentative d’attentat à Villepinte contre les Moudjahidines du peuple iranien. Est-il vrai que ce sont les services de renseignements israéliens qui ont prévenu Paris ?
Je ne peux pas entrer dans ces sujets, car ce n’est pas mon domaine. Maintenant, je peux vous dire qu’il y a un très bon lien entre la France et Israël dans le domaine du renseignement, du partage d’informations, de la coopération, et du contre-terrorisme.
Israël a été un des rares pays à se féliciter du retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien, qui était pourtant jusqu’ici le meilleur moyen de s’assurer que l’Iran ne se doterait pas de la bombe. Que prévoyez-vous désormais ?
Ce n’est ni notre sentiment ni notre position. Pour nous, il très important de continuer à faire pression sur l’Iran sur le dossier du nucléaire pour dissuader les Iraniens de poursuivre leur programme. Parce que l’Iran a menti sur son engagement dans ce dossier, et il y existe aujourd’hui dans le monde un consensus à ce sujet. Cela a notamment été prouvé à l’occasion de notre découverte il y a quelques mois en Iran, à l’issue d’une opération du Mossad (les services secrets israéliens, NDLR), de nombreux dossiers que nous avons récupérés.
Oui, mais, malgré l’accord, il existe sur place des lieux auxquels les Iraniens n’ont pas autorisé l’accès. C’est exactement ce que le Premier ministre Netanyahu a mentionné à plusieurs reprises, à la tribune de l’ONU. Il a d’ailleurs demandé à l’AIEA de se rendre sur place pour enquêter.
Vos demandes semblent se cantonner au nucléaire iranien, tandis que Donald Trump souhaiterait un accord plus large, comprenant la limitation du programme balistique iranien et des « ingérences » de l’Iran au Moyen-Orient.
Pas du tout. Nous disons également qu’il faut s’occuper des autres dossiers, comme le balistique. Le problème est que les Iraniens ne voient aucun souci dans leur programme balistique ou leur soutien à des éléments terroristes dans la région.
L’Iran a également été victime d’un acte terroriste il y a 10 jours revendiqué par l’État islamique. Comprenez-vous les besoins sécuritaires mis en avant par Téhéran ?
Non, car je vois que l’Iran demeure l’élément le plus agressif dans la région. Il suffit de jeter un coup d’œil aux positions des pays du Golfe, qui sont clairement opposés à l’Iran, pour comprendre qui est le fautif ici, qui possède une aspiration hégémonique et expansionniste. Cela se base sur des faits, pas des déclarations.
Justement, on parle aujourd’hui d’une alliance objective entre les pays du Golfe, notamment l’Arabie saoudite, et Israël. Est-ce durable ?
Il est nécessaire de rappeler qu’il n’y a pas de relation diplomatique entre Israël et les pays du Golfe. Ces dernières années, à cause de la menace iranienne, il y a une convergence claire des intérêts entre nos pays pour affronter ce défi. Car l’ennemi qui menace la région, ces pays, ainsi qu’Israël, c’est l’Iran. Et j’espère que cela avancera dans l’avenir. Il y a de petits signes. Par exemple, une délégation officielle de Bahreïn s’est rendue il y a quelques mois en Israël. Elle s’est promenée à Jérusalem, et a même accordé une interview à une chaîne de télévision israélienne. C’était quelque chose de remarquable.
La volonté israélienne est-elle, comme le souhaitent certains membres de l’administration Trump, de renverser le régime iranien ?
Cette question a été posée il y a quelques jours par vos confrères de CNN au Premier ministre Netanyahu. Il a répondu qu’il pensait que personne n’allait pleurer si ce régime changeait. Et c’est évident : ce régime se positionne de façon très hostile vis-à-vis d’Israël, mais aussi des États-Unis et des pays du Golfe.
Vous avez déclaré que les Européens n’étaient pas neutres dans le conflit israélo-palestinien. Est-ce votre avis concernant la France ?
Je pense que les Français et les Israéliens ont des intérêts similaires au Moyen-Orient. Nous voulons tous vivre dans la paix et la sécurité. En ce qui concerne Israël, le président Macron mentionne toujours l’attachement de la France à l’égard de notre sécurité, et répète qu’il est toujours prêt à faire tout son possible pour améliorer la situation (au Proche-Orient, NDLR). Sur le conflit israélo-palestinien, il existe un bon dialogue entre nous, même si nous ne sommes pas toujours d’accord.
Emmanuel Macron a récemment condamné la poursuite de la colonisation israélienne. Le comprenez-vous ?
Nous ne sommes pas d’accord là-dessus. Nous nous exprimons par rapport à cette politique, ce qui n’est pas quelque chose de nouveau. Nous sommes en fait d’accord sur le fait que nous ne sommes pas d’accord sur une série de sujets, dont celui-ci fait partie. Mais il faut voir aussi quelle est la meilleure voie pour améliorer la situation. Voilà pourquoi il faut toujours dialoguer et avoir des échanges directs entre les Palestiniens et nous. Car ce n’est qu’à travers un dialogue direct, et avec une vraie volonté des deux côtés de parvenir à la paix, que nous y arriverons.
Le président français a évoqué un lien l’année dernière entre antisionisme et antisémitisme. Est-ce à dire qu’on ne peut plus critiquer la politique d’Israël en France ?
Pas du tout. Ce n’est pas ce qu’il a dit et ce que nous disons. La critique est quelque chose de légitime. On peut critiquer, cela fait partie de nos valeurs, de notre façon de vivre, de nos comportements. Les plus grands critiques de la position du gouvernement israélien sont d’ailleurs les Israéliens. La critique est toujours légitime. Mais la question est celle de la frontière entre une critique qui est légitime et l’antisémitisme qui dénie le droit d’Israël d’exister en tant que pays. Ainsi, l’antisionisme est parfois lié à l’antisémitisme.
N’est-il pas dangereux de faire cet amalgame ?
Cet amalgame existe chez certains. Récemment, le président malaisien a accordé une interview dans laquelle il a mélangé des éléments antisémites – il a parlé du nez des Juifs, des Juifs et de l’argent – et des propos sur l’État d’Israël et le sionisme. On ne fait pas toujours la différence entre la critique qui est légitime et des déclarations antisémites. Quand le BDS (le mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions) appelle au boycott d’Israël, ce n’est pas qu’une position antisioniste. En effet, si l’on examine leur comportement, leurs déclarations et leurs positions, on peut parfois remarquer un lien entre leur position par rapport à Israël et le peuple juif.
N’y a-t-il pas un paradoxe pour le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu de s’afficher parfois avec des chefs de gouvernement européens soupçonnés d’antisémitisme, comme le Hongrois Viktor Orbán ?
Je connais personnellement Viktor Orbán pour avoir été ambassadrice en Hongrie pendant quatre ans, entre 2006 et 2011, et je ne suis pas d’accord pour dire qu’il est antisémite. Il est cependant vrai qu’il existe de grands problèmes d’antisémitisme en Hongrie, contre lesquels Israël s’élève à chaque fois. Le sujet de l’antisémitisme et des communautés juives d’Europe et dans le monde est une question très importante pour les Israéliens en général et pour le gouvernement en particulier. Maintenant, pour Israël, la Hongrie est un pays qui fait partie de l’Union européenne, et c’est dans le cadre des relations qu’Israël entretient avec l’Union européenne que ces rencontres ont lieu. La vie n’est pas blanche ou noire : il y a le gris. Ces pays, comme la Hongrie ou la Pologne, entretiennent de bonnes relations avec Israël et développent une bonne coopération avec nous.
Source www.lepoint.fr