Le procès de Nuremberg est un événement judiciaire unique dans l’histoire. Le président du Tribunal Geoffrey Lawrence, juge britannique, ouvre d’ailleurs le procès le 20 novembre 1945 en le rappelant: «Le procès qui va commencer est unique dans les annales du droit mondial et d’une importance extrême pour des millions de personnes du monde entier.»
Naissance d’une juridiction pénale internationale
C’est à Robert Jackson, juge à la Cour suprême des États-Unis nommé procureur général en mai 1945, qu’il incombe de préparer le procès. Son ambition est d’avoir un procès impartial, équitable. Il déclare au cours d’une audience à Nuremberg: «Il faut dans notre tâche, que nous fassions preuve d’une objectivité et d’une intégrité intellectuelle telles que ce procès s’impose à la postérité comme ayant répondu aux aspirations de justice de l’humanité».
Après de nombreuses négociations avec les experts juridiques des nations alliées un compromis est trouvé. L’accord quadripartite de Londres, signé le 8 août 1945, crée le Tribunal militaire international «pour juger et punir de façon appropriée et sans délai, les grands criminels de guerre des pays européens de l’Axe».
Le texte définit précisément le statut, les règles de fonctionnement du tribunal ainsi que les chefs d’accusation retenus. Les articles 7 et 8 du statut instituent la responsabilité personnelle et l’impossibilité de se cacher derrière l’obligation d’obéir. Ce procès marque la fin de l’irresponsabilité pénale des chefs d’État, tout comme celle de subordonnés obéissant à des ordres. Ces dispositions donneront également une force juriprudentielle à la désobéissance et à la désertion (notamment lors de la guerre du Vietnam).
La procédure judiciaire retenue est également nouvelle. Il s’agit d’un compromis entre la procédure anglo-saxonne du common law, accusatoire (à charge au procureur d’apporter les preuves de la culpabilité des accusés) et celle du système européen dans lequel les juges analysent les preuves et émettent le verdict.
Chaque nation alliée (États-Unis, Grande-Bretagne, France, U.R.S.S) est représentée par deux juges, un titulaire et un suppléant. Lors de la délibération seuls les juges titulaires votent. Trois voix sont nécessaires mais en cas d’indécision, la voix du juge Président du Tribunal est prépondérante.
Quand au ministère public il est divisé en quatre délégations (une pour chaque nation alliée), qui se sont réparties la présentation des chefs d’accusation (Crimes contre la Paix, crimes de guerre, crimes contre l’Humanité et complot).
Une salle est spécialement aménagée dans le palais de justice de Nuremberg pour accueillir le Tribunal militaire international.
Nouvelle codification: la notion de crime contre l’humanité
Parmi les nouveautés de Nuremberg, l’introduction pour la première fois de la notion de crime contre l’humanité dans le droit international. Elle est retenue pour juger les persécutions massives des populations civiles, avec également une dimension discriminatoire. L’expression n’est pas nouvelle. Elle a déjà été utilisée pour qualifier les massacres des Arméniens en 1915.
Les crimes contre l’humanité sont définis par l’article 6 de l’Accord de Londres: «L’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu’ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime.»
En 1945 la notion juridique est restreinte dans sa définition, liée à la guerre et aux pays européens de l’Axe. Et le génocide juif n’est pas considéré comme un crime contre l’humanité. Mais le concept a évolué dans le droit international et notamment français.
Ainsi en 1987, Klaus Barbie jugé à Lyon, est accusé de crime contre l’humanité en raison de sa responsabilité dans la déportation des juifs en France. Dans les années 1990, le crime contre l’humanité est élargi aux périodes de paix. Et la Cour pénale internationale a également étendu sa définition pour être plus en phase avec la multiplicité des crimes visant l’humanité. Sont inclus dans la définition, «viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée» et «le crime d’Apartheid».
Une première: l’utilisation de l’image comme preuve
Le procureur général Robert Jackson prend l’initiative de présenter des images comme preuves en audience. C’est une première dans le système judiciaire. Il s’agit pour lui «d’établir des faits incroyables au moyens de preuves crédibles».
Plusieurs films sont projetés au cours du procès. Ainsi le 29 novembre 1945 est présenté un film d’une heure sur les camps de concentration. Il est monté à partir d’extraits de bandes filmées par l’armée américaine lors de la libération des camps. Il s’agit également de mettre les accusés face aux atrocités nazies et de les déstabiliser.
Mais l’accusation présente également des films réalisés à partir d’extraits de bandes tournées par les nazis eux-mêmes. Le film intitulé «Le Plan nazi», présenté en décembre 1945, est notamment composé de séquences d’actualités allemandes et de bandes filmées par les gardiens SS dans les camps de concentration.
Pour le procureur américain ces images (de sources allemandes essentiellement), tout comme les documents écrits, doivent-être des preuves authentifiées et vérifiées au préalable afin d’être irréfutables.
Un cahier des charges est établi à cet effet. Une équipe est constituée pour collecter ces images allemandes. À Babelsberg, elle découvre des archives cinématographiques de l’Allemagne nazie qui seront utilisées pour étayer l’accusation.
Le recours à l’image comme preuve en audience sera repris après Nuremberg. Notamment lors des procès d’Adolf Eichmann à Jérusalem en 1961 et de Slobodan Milosevic en 2002 jugé par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY).
Mais Robert Jackson souhaite également un procès pour l’histoire. Il introduit donc la caméra dans le prétoire. Et fait filmer les débats afin que le procès devienne une archive historique. Cette expérience nouvelle est ultérieurement reprise dans d’autres procès. En décembre 1989, le simulacre de procès du dictateur roumain Nicolae Ceausescu et de son épouse Elena est retransmis à la télévision roumaine. En France les procès de Paul Touvier en 1994 et de Maurice Papon en 1998 sont filmés pour leur dimension historique.
La traduction en simultanée, un défi technique et pour les interprètes
Au procès de Nuremberg, quatre langues officielles coexistent: le français, l’anglais, l’allemand et le russe. Un système de traduction simultanée est mis en place pour la première fois dans une salle d’audience. C’est l’entreprise américaine IBM qui fournit le matériel. Les intervenants sont obligés de parler lentement, ce qui rallonge considérablement les débats.
Les interprètes coiffés de casques sont situés à côté du banc des accusés dans un box vitré. Une équipe de remplaçants est également présente dans une autre salle du tribunal de Nuremberg. Des voyants lumineux jaunes et rouges -gérés par les traducteurs- sont installés devant les intervenants. Ils indiquent à l’orateur s’il doit parler moins vite ou répéter sa phrase. Et chaque place dans la salle d’audience est munie d’écouteurs et d’un sélecteur, permettant de suivre les débats dans sa langue maternelle.
Le Tribunal militaire international et le procès des criminels de guerre de Nuremberg, avec leurs imperfections et limites -notamment la prédominance de la vision américaine-, constituent indéniablement une première étape vers une justice pénale internationale. Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) créé en 1993 et le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) crée en 1994 découlent de celui de Nuremberg. Tout comme la Cour pénale internationale (CPI) dont la création date du Statut de Rome en juillet 1998. Mais il faut attendre juillet 2002 pour qu’il entre officiellement en vigueur.
Moteurs en 1945 pour instituer une justice pénale internationale et lutter contre l’impunité, les États-Unis sont devenus depuis réticents à mettre en place une juridiction permanente. Ils ont même «dé-signé» la Convention de Rome qui crée la CPI.
Du 9 décembre 1946 au 14 avril 1949, douze procès sont instruits et conduits devant un Tribunal américain par le général Telford Taylor dans les locaux du palais de justice de Nuremberg. Ces procès sont connus comme « les procès de Nuremberg ».
Le procès des médecins (premier procès), celui des Einsatzgruppen et celui de l’IG Farben ont particulièrement retenu l’attention des médias. Le procès des médecins nazis donne naissance à la définition d’une éthique médicale à travers le code de Nuremberg. La loi n° 10 est également appliquée pour les juridictions allemandes en RFA, qui font preuve d’une relative clémence.
Le procès de Tokyo (12 novembre 1946-12 novembre 1948) est institué selon le Statut de Londres ; il est conduit contre les principaux criminels de guerre japonais par un Tribunal militaire international dominé par les Américains ; son jugement confirme et développe le droit de Nuremberg.
La guerre et le droit de Nuremberg font naître l’espoir de la création d’un droit international. La convention pour la prévention et la répression du crime de génocide est adoptée le 9 décembre 1948 par l’ONU.
L’Assemblée générale des Nations-Unies adopte à l’unanimité le 10 décembre 1948 la Déclaration universelle des droits de l’homme. Pourtant Nuremberg constitue une parenthèse juridique.
Aucun moyen concret ne définit ces droits et la cour internationale chargée de juger les criminels ne voit pas le jour avant la création du Tribunal Pénal International en 1998.
Des milliers de responsables du génocide passent à travers les mailles du filet de la justice, effet favorisé par la Guerre froide.
Le procès d’Adolf Eichmann qui se déroule en 1961 en Israël fait avancer la prise de conscience de l’importance du génocide et initie d’autres procès en Allemagne, en Pologne et en France.
www.enseigner-histoire-shoah.org
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