Shmuel Trigano
La crise politique qui s’est ouverte en Israël est au carrefour de plusieurs enjeux très graves. La politique de Natanyahou à Gaza est un échec catastrophique qui ruine la dissuasion d’Israël face à ses ennemis et la confiance d’une grande majorité du public en Tsahal : raison d’inquiétude à la veille, peut être, d’un conflit au nord avec le Hezbollah et l’Iran (véritables instigateurs de la provocation du Hamas à Gaza).
Et ceci avant tout parmi les électeurs de la droite, qui s’exposent ainsi demain, s’ils manifestent leur dépit dans les urnes, à un retour de la gauche qu’ils ne souhaitent profondément pas.
Grands dommages également pour Israël si Natanyahou perdait le pouvoir alors qu’il est dans une marche triomphale sur le plan diplomatique qui a acquis à Israël un rayonnement et une puissance qui n’ont jamais été. Dans l’Orient décomposé, sa politique a assuré une paix et une croissance exceptionnelles.
Pourquoi cette politique ?
Comment expliquer alors la débandade devant Gaza. Admettons qu’il puisse y avoir de bonnes raisons. Le Hamas s’est manifestement livré à une provocation délibérée (sans doute orchestrée par l’Iran au moment où celui ci subit les sanctions américaines), destiné à enferrer l’armée israélienne dans un piège au sud afin de l’attaquer par surprise au nord. La politique de Natanyahou aurait ainsi visé à ne pas y tomber… D’un autre point de vue, Israël peut estimer que le Hamas ne fait pas peser sur lui de menace vitale alors qu’il y a de plus violents ennemis, quoique que ce calcul coute cher en sacrifice de la vie quotienne des régions sud d’Israël. Limiter la confrontation limiterait ainsi l’incendie. A l’inverse, écraser le Hamas en rentrant à Gaza exposerait Israël à une prise en charge de ce territoire problématique, il y perdrait ses forces. Le remettre dans les mains de Abou Mazen serait une erreur politique qui confèrerait à l’OLP-Autorité palestinienne un pouvoir inacceptable pour Israël qui serait pris en tenailles. Il faut donc maintenir à Gaza la crise à feu doux.}}}
Ces arguments s’entendent mais la passivité face à l’agression de Gaza pèse peut être plus dans la balance surtout pour la psychologie immémoriale des Arabes pour lesquels une telle attitude lance un appel à encore plus de violence. Houdeïba (le pacte trompeur passé par Mahomet avec ses ennemis) exige ! Les traités sont fragiles dans cet univers… Ce qui n’élimine pas la possibilité que le choix de natanyahou vise à préserver les nouveaux liens d’Israël avec l’Egypte, l’Arabie saoudite, les Emirats, face à l’impérialisme religieux de l’ennemi commun iranien.
Une nouvelle donne ?
Il y a cependant un autre élement qu’il faut prendre en considération dont le comportement de Natanyahou et de l’Etat major de Tsahal nous donne une illustration et que j’ai défini comme une « européïsation ». Ce que j’entends par là, c’est cette attitude qui oppose une patience « stoïque » face aux agressions et aux menaces dont on est l’objet, faisant mine de les ignorer, les travestissant sous des mots anodins, quand on on ne les revêt pas des atours des « droits de l’homme », en choisissant de les gérr de façon minorante. C’est la façon dont l’Union Européenne traite la menace islamiste.
Cette européïsation des mentalités et des mœurs, nous en avons eu très recemment des indices. L’affaire du soldat Elor Azaria en a été le sommet. Si l’on peut juger que son tir sur le terroriste à terre était inapproprié, son traitement par la justice militaire fut abusif et a provoqué un profond traumatisme dans le public israélien. Mais il y a eu aussi d’autres incidents, comme ce général qui dans un discours public a alerté sur le danger de nazisme qui pèserait sur la société israélienne, sans négliger bien d’autres expressions publiques d’ex-militaires ou d’ex responsables sécuritaires, sans compter le discours de tel ou tel ex-chef d’Etat major entrant en politique. L’identification de l’ennemi en ressort brouillée. Ce qui implique trouble et suspicion dans le « peuple », les soldats lambda, tenus ipso facto par ses chefs militaires pour développer ces penchants dangereux. Un tel clivage éventuel serait inédit.
Il faut aussi rappeler, sous ce jour, la crise qui frappe Tsahal et notamment le chef d’Etat-major, Gady Eizenkott (qui termine ses fonctions à le fin de l’année), qu’un rapport de l’ombudsman (le défenseur des droits) de l’armée a critiqués pour être impréparés à une guerre prochaine, ce que le chef d’Etat major conteste. Le commission de défense de la Knesset est appelée à trancher. Ce qui est en question, en fait, c’est le « Plan Gédéon » qu’a mis en œuvre le présent chef d’Etat major pour « dégraisser » les effectifs de l’armée et notamment éviter le carrièrisme, ce qui a eu pour effet d’affecter la quantité et de la qualité, la motivation, de l’encadrement.
Cette évolution découle peut être du fait qu’Israël s’est embourgeoisé et que l’armée y est moins une « armée du peuple » qu’auparavant, jusqu’à la guerre de Kippour. C’est sans doute aussi la menace de juridiction internationale que fait peser l’Union Européenne sur Israël et l’armée qui fait son effet sur les gradés qui pourrait craindre leur inculpation et les forcent à s’aligner sur les catégories européennes, des catégories qui en fait ne s’appliquent qu’à Israël comme de nombreuses situations en témoignent.
Cette « éthique » va de pair avec un nouveau type de guerre face à laquelle elle est immanquablement défaillante et un facteur d’échec : la guerre « asymétrique ». La doctrine palestinienne de la guerre y est toute résumée.
LA NOUVELLE GUERRE D’ISRAEL
Les Palestiniens sont en effet les grands inventeurs de ce type de guerre. Ils ont inventé dans les années 1970 les détournements d’avion et les attentats spectaculaires, calculés sur mesure pour que la télévision les répercute à l’infini. Le Hamas vient d’innover à Gaza avec les ballons incendiaires qui relaient les tunnels d’assaut, contre lesquels Israël a déjà trouvé semble-t-il une parade, et l’assaut contre la barrière de la frontière – judicieusement nommé « La marche du retour », joli terme pour définir une invasion … Le but essentiel de ces actions est le spectacle que cette invasion fournira aux chaines de télévision, friandes de « vécu ».
Autant de dispositifs qui inaugurent un nouvel âge de la guerre. Quelques conditions doivent être réunies pour qu’il soit mis en œuvre : cette guerre n’est possible que contre une société démocratique (pas la Russie de Poutin, ni l’Arabie saoudite (cf. la guerre du Yemen), une guerre livrée non par une armée régulière – désormais un handicap – mais une entité terroriste (jouissant d’une base territoriale, c’est à dire d’un substitut d’Etat) qui s’attaque, à une armée régulière, à l’armée d’un Etat de droit, engoncée dans ses réglements et son éthique.
Dans cette guerre, l’humain est au centre, à la fois comme arme de guerre, très inventive, et comme cible de l’agression (les civils) : les « hommes bombes », la piétaille d’enfants et d’adolescents que le Hamas envoie à la mort, le culte islamique de la mort qui orchestre le ballet des suicidés et des enterrés. La faiblesse en est l’arme suprême, quand les miliciens se terrent derrière des boucliers humains civils, qu’ils envoient au combat. Les civils manipulés prennent alors en otage l’armée régulière, attaquée « à mains nues ». Tsahal est ainsi resté un long temps paralysé par les enfants lanceurs de ballons incendiaires. Plus de 1400 hectares ont été ainsi brûlés jour après jour dans une région aux portes du désert du Negev. C’est une nouvelle facette de l’esprit d’invention, tout autre que les milliers de roquettes qui furent déversées sur la région à partir de mosquées, d’écoles, d’hôpitaux de Gaza, rendant impossible leur réduction au silence. A l’âge de « la fin des territoires » comme le clament les postmodernistes, quelque mètres font toujours la différence pour ne pas mourir…
La situation est ubuesque : pendant les arrêts des violences, l’ennemi agressé (Israël) livre par centaines de camions, des vivres et des moyens de subsistance, de l’essence pour les « civils » agresseurs, afin de les nourrir et d’assurer leur quotidien. En somme, la victime nourrit son ennemi. Puisqu’il est civil… Pendant ce temps, par une autre sortie de la frontière, des dizaines de malades attendent leur tour pour le bus qui va les emmener à l’hopital de Bersheva, pour être soignés gratuitement par l’ennemi tant honni. Ainsi les « civils » pourront-ils revenir pour reprendre des forces et monter à l’assaut de la barrière de la frontière…
Du militaire au politique
Ce qui se déroule sur le plan militaire se déroule sur le plan politique. En « territoires occupés », l’Autorité Palestinienne qui a obtenu d’Israël ce que les Palestiniens n’ont jamais eu de toute l’histoire – un territoire, un embryon d’armée, une reconnaissance, etc. – est devenu le cerveau du boycott mondial d’Israël et de son exclusion des forums internationaux. Ramallah est à 15 km de Jérusalem. C’est là, dans le calme et le développement économique, que le spectacle terroriste de Gaza y est formaté pour servir de « preuve » des « crimes de guerre » d’Israël dot l’Autorité palestinienne accuse Israël. A cette fin, les Palestiniens, rencontrent le soutien de la gente médiatique des pays démocratiques qui, depuis la chute du marxisme, se dit très préoccupée par « l’humain », les « droits de l’homme ». Les Palestiniens ont bien perçu le point sensible du discours dominant en Occident, notamment celui de l’Union Européenne qui, à défaut d’avoir une âme commune s’est donnée ce credo. En réalité, cet état de faits est « monitoré » par l’UE. Les Palestiniens n’ont plus qu’à pianoter sur ce clavier pour téléguider la réprobation d’Israël.
C’est vrai aussi pour les citoyens israéliens d’origine palestinienne à ce que démontrent les 13 députés à la Knesset qui les représentent nommément, perpétuellement à l’œuvre pour déférer le pays qu’ils représentent devant le tribunal international pour le racisme et l’apartheid dont il les frapperait. Ici la démocratie qui leur confère des droits égaux leur ouvre la porte non seulement de l’infidélité mais aussi … du ridicule, car leur discours est infirmé, par leur position et leur action, en même qu’il est proféré. Le volet interne à la société démocratique agressée est un sujet en soi : autour des « droits de l’homme » la guerre asymétrique s’étend à un deuxième front, le front intérieur.
On aurait tort de croire que cette manipulation à laquelle invite malgré elle la démocratie – en tout cas les flibustiers qui veulent la prendre d’assaut en exploitant ses faiblesses dans l’ordre des droits de l’homme – est limitée à Israël. Elle concerne désormais toutes les démocraties convoquées dans l’arène de la guerre asymétrique.