Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi, selon la Tora, les femmes ne peuvent pas témoigner ? Sujet tabou, me direz-vous. Je sais. En 2015, ça passe plutôt mal. Tellement mal que si vous allez à un cours ou que vous lisez un livre, et qu’il est question de ce problème épineux, vous verrez de grands hommes essayer de se défendre, de calmer l’atmosphère, en expliquant que les femmes sont dignes de confiance, bien entendu, mais que c’est par Kavod pour elles qu’on ne leur impose pas la dure épreuve d’un témoignage au Beth Din. Je ne sais pas si cette réponse vous satisfait. Mais moi, pas du tout.
Dans la pratique, aujourd’hui, on accepte le témoignage d’une femme dans la plupart des cas, pour différentes raisons. Mais l’interdit originel de la Tora reste un point d’interrogation.
J’ai longtemps réfléchi à cette question, en essayant d’être honnête avec moi-même et de ne pas cacher ce qu’il serait politiquement correct de cacher.
Et je suis arrivée à une éventuelle réponse, qui n’engage bien entendu que moi.
Une réalité… subjective !
Tout d’abord, témoigner n’est pas interdit qu’à la femme, mais aussi à un esclave, par exemple. Ou à un enfant. Et je pense que l’interdit de la femme se rapproche plutôt de celui de l’enfant. Car la femme possède un peu des certaines caractéristiques d’un enfant. Doucement, rangez vos armes, je m’explique.
Pourquoi ne ferait-on pas confiance à un enfant pour témoigner ? Ne peut-on pas le croire s’il dit que c’est Moché qui lui a pris le vélo ? Pourquoi pas ? Parce que dans bien des cas, quand vous vérifiez l’histoire jusqu’au bout, vous vous rendez compte que c’est bien Moché qui a pris le vélo, mais que le vélo appartient à Moché ! N’est-ce-pas ? Bien des fois, les enfants fabulent, et ils se prennent à leur propre jeu, jusqu’à croire que c’est la vérité. Comment pourraient-ils donc témoigner ?
Et nous, les femmes, fabulons-nous, parfois ? Prenons-nous nos rêves pour des réalités ? Moi je dis : oui. Les cas ne manquent pas. Tous les professeurs disent que votre enfant a des difficultés, et vous, vous êtes sûre qu’il est le meilleur de la classe. Est-ce la réalité ? Non. Seriez-vous prête à témoigner qu’il est particulièrement intelligent et que ce sont certainement les professeurs qui ne lui conviennent pas ? Oui. Car à vos yeux, c’est la vérité.
Si votre mari s’est encore fait renvoyer du travail, pour la troisième fois, vous allez le rassurer en lui disant qu’il va trouver mieux, et qu’ils n’ont pas su l’apprécier à sa juste valeur. Et vous y croyez vraiment ? Oui ! Car nous sommes prêtes à voir au-delà de la réalité, quand il s’agit de personnes qui comptent pour nous.
La force du rêve
Certes, pour un témoignage, on ne fera donc pas vraiment le poids. Mais ne croyez-vous pas que c’est une faculté extraordinaire de voir plus loin que la réalité ?
Je suis persuadée que bon nombre de Grands de la Tora le sont devenus parce que leur maman, ou leur femme, ont cru sincèrement en eux quand il n’y avait véritablement pas beaucoup d’espoir. Pas juste pour leur faire plaisir. Pas pour leur donner du courage. Pas parce que psychologiquement, c’est important. Mais parce qu’elles y croyaient vraiment. Vraiment.
Et cette croyance peut produire des résultats inimaginables. Inespérés.
Les hommes en Egypte
Lorsque les Bené Israël étaient asservis en Egypte, les hommes ont baissé les bras. Pas parce qu’ils étaient faibles physiquement. Pas parce qu’ils étaient déprimés moralement. Mais tout simplement parce qu’ils étaient réalistes. Réalistes. A quoi bon avoir des enfants si nos nouveau-nés sont tués ? Mais Myriam, une petite fille, voit au-delà. Elle reproche à son père, Grand de la génération, d’empêcher aussi les filles de naître. Croyez-vous sincèrement qu’il n’y avait pas pensé ? Pas très plausible. Mais il a dû estimer que cela ne valait pas la peine, que des filles, seules, cela ne mènerait à rien. La pérennité du peuple était mise en danger. Il n’y aurait de toute façon pas de suite. Myriam lui a alors simplement rappelé l’espoir. Qui dépasse le fait d’être réaliste.
Peut-être aussi que des Tsaddiqim de cette génération savaient que l’esclavage devait durer 400 ans, et qu’ils en avaient encore pour très longtemps. Ce qui est exact. Mais au final, Hachem les a délivrés au bout de 210 ans. Alors, faut-il être réaliste ?
Les femmes en Egypte
Seules les femmes ont gardé espoir : 400 ans ? Mais si on prie, on peut tout changer, non ? Demain, on peut tous être libérés. Il faut y croire. Nous y croyons. Ce sont elles qui ont redonné une lueur d’espoir aux hommes, qui avaient véritablement toutes les raisons de penser que la mort était la seule libération possible de cet esclavage sans fin.
Nos ‘Hakhamim nous enseignent que c’est grâce aux femmes valeureuses que les Bené Israël ont été délivrés d’Egypte. On prend généralement cette affirmation pour argent comptant, et content. Ça fait toujours plaisir. Pourtant, elle n’est pas claire. Car cela signifierait que si les femmes n’avaient pas été valeureuses, ou n’avaient pas eu un tel comportement louable, nous n’aurions pas été délivrés ? Si elles n’avaient pas redonné l’espoir aux hommes, nous y serions encore ? Impensable, la délivrance était prévue depuis Avraham avinou ! Peut-être faut-il plutôt comprendre que grâce aux femmes de cette génération, nous sommes sortis plus tôt de l’esclavage. Avant les 400 ans. Parce qu’à force de garder espoir, de croire en quelque chose, comme si c’était réalité, on peut forcer le destin. Et ça, les femmes savent le faire. Nous espérons encore, même lorsque tout est perdu. Nous voyons la deuxième ligne du test, même lorsque personne ne la voit. Elle est invisible, mais nos yeux la dessinent très clairement. Et étonnamment, Hachem nous ouvre des portes inespérées.
Alors c’est vrai, nous ne pouvons pas toujours témoigner, car nous ne sommes pas toujours réalistes, mais nous représentons l’espoir. La force. Et la victoire. Et c’est pour cela que nos ‘Hakhamim rajoutent : « C’est encore grâce aux femmes que nous serons délivrés à la fin de l’exil. » Pourtant la fin de l’exil est prévue, où est donc le mérite des femmes ? A nouveau, peut-être que nos prières et notre entêtement à vouloir faire de ce rêve une réalité immédiate pourront faire venir Machia’h un peu plus tôt…. ? On y croit !