Par S.T.
Professeur émérite des Universités, Shmuel Trigano est philosophe et sociologue, spécialiste de la tradition hébraïque et du judaïsme contemporain. Il publie Le chemin de Jérusalem. Une théologie politique (Les Provinciales, 2024).
La décision de la France de reconnaître en principe la validité juridique des décisions de la Cour pénale internationale de La Haye est gravissime et lourde de conséquences graves pour les Juifs de France. Si la Cour instruit formellement le procès du premier ministre israélien et de son ministre de la défense (je laisse de côté les chefs du Hamas qu’elle implique), elle rejaillit objectivement, dans l’antisémitisme d’atmosphère qui sévit actuellement, sur l’ensemble des Juifs du monde occidental et impacte leur statut même de citoyens et leur salut comme hommes tout court. Elle rend tout lien avec Israël criminel, comme ont déjà commencé à le prétendre des députés La France Insoumise (LFI) au Parlement.
Cette décision fait peser sur le président Macron une très lourde responsabilité sur ce qui peut arriver, sur ce qui arrivera. La ritournelle du «en même temps» pour rendre compte de cette décision incompréhensible sur le plan de la morale et de la justice ne marche pas ici. Elle ouvre un fossé entre les déclarations de soutien, les cérémonies du souvenir et le comportement sur le terrain du Quai d’Orsay et donc de l’État, à preuve cette décision politique gravissime sur plan de la politique intérieure qui expose les Juifs français à la pire des adversités. Désormais tout peut arriver. Elle fait du Juif un paria mondial, hors sol, exposé, de toutes parts et sans raison spécifique, à la haine et à la violence.
Avec la procédure ignominieuse de la CPI, la légalité et la légitimité des Juifs d’Occident sont devenues questionnables, en principe douteuses.
La décision de La Haye – sous la houlette d’un procureur pakistanais, rappelons-le, ce qui donne du sens à la décision «juridique» – met au ban les Juifs en attente d’être « jugés », les ravalant au rang de terroristes criminels (cf. la compagnie des chefs du Hamas). Elle invite à les poursuivre par soupçon de collusion et les expose à subir la violence de l’environnement, le plus large qui soit car ils se retrouvent sortis de toute légalité, coupables de principe tant qu’ils ne sont pas «jugés» : mis au ban de l’humanité.
Cet état de fait rappelle irrésistiblement les analyses du philosophe italien Giorgio Agamben sur un dispositif du droit romain antique, le statut juridique de l’«homo sacer». Ce statut concerne un homme mis au ban de la société parce qu’il est coupable d’une faute grave et qu’il a perdu le statut de citoyen mais qu’on ne peut punir par les voies habituelles et donc que l’on pourrait tuer sans se rendre coupable d’homicide.
Agamben joue sur un paradoxe: c’est en vertu d’une décision juridique (ici, la CPI) que la société fait de l’homo sacer un homme banni, c’est dire un «exilé» à domicile échappant à toutes les catégories du droit, voué à une condition sauvage. Il remarque que les Juifs, avant d’être déportés, ont été déchus de leur citoyenneté. Avec la procédure ignominieuse de la CPI, la légalité et la légitimité des Juifs d’Occident sont devenues questionnables, en principe douteuses (mise en rapport avec des référents comme l’apartheid et le crime contre l’humanité…). Elle est une invitation au passage à l’acte. C’est pourquoi nous devons résolument la combattre.