L’observateur attentif de l’actualité, en France, en Israël ou ailleurs, n’aura pas manqué de constater que le mois du Ramadan, mois le plus sacré du calendrier musulman, est aussi celui marqué chaque année par une vague de violences. Ce “secret” est évidemment bien gardé par les médias et les hommes politiques occidentaux, qui préfèrent s’afficher lors de repas de l’Iftar et faire des déclarations d’amitié et de “dialogue interreligieux”. Mais ce n’est pas sur la question de cette attitude – marquée par l’hypocrisie ou par la condescendance – que je voudrais m’interroger ici. Une question plus essentielle encore est en effet de savoir comment s’explique ce lien entre violence et sacré. Est-il intrinsèque à l’islam et peut-il dans ce cas être modifié ?
La première réponse possible est qu’il ne s’agit pas de l’islam tout entier, mais d’une branche bien particulière de l’islam – à savoir, l’islam politique des Frères musulmans, dont sont issues les principaux mouvements islamistes (du Hamas à Al-Qaïda), comme je l’ai montré dans mon livre Le sabre et le Coran. Effectivement, la plupart des attentats terroristes à notre époque émanent de mouvements radicaux qui partagent tous une vision particulière de l’islam, dans laquelle le Djihad a été érigé en “sixième pilier”’ de l’islam. Quoique juste, cette réponse est loin d’épuiser le sujet. Elle risque au contraire d’obscurcir la question.
Violence de l’islam ou violence dans l’islam ?
En réalité, le problème de la violence dans l’islam est intrinsèquement lié à l’islam en tant que religion, en tant que culture et en tant que civilisation : on doit ainsi parler de la violence de l’islam et pas seulement de la violence dans l’islam. A cet égard, l’islamisme (ou l’islam politique) n’est pas, comme l’avait cru l’écrivain tunisien Abdelwahab Meddeb, une “maladie de l’islam”, mais bien son expression la plus authentique qui soit. Israël l’a encore appris à ses dépens le 7 octobre dernier… Le Hamas, comme je l’ai écrit depuis lors, parle le langage de l’islam et c’est la raison principale de son succès au sein de la population de Gaza et ailleurs.
Une autre réponse est donnée par Marie-Thérèse Urvoy dans un livre récent. Le Coran lui-même, explique-t-elle, est marqué par une “ambiguïté initiale” et par une “tension interne entre visée spirituelle et ambition d’emprise sur le monde”. La vie même du « prophète » permet de comprendre cette dualité. En effet, dans sa période mecquoise, celui-ci est persécuté et se considère comme victime, ce qui l’amène à prêcher la patience et le pardon des offenses. Plus tard, devenu un chef de guerre victorieux, il appelle au djihad physique contre les mécréants, proclamés ennemis de l’islam. L’orientation guerrière du texte coranique apparaît ainsi dans la fameuse Sourate 9, qui appelle au “combat dans le Sentier de D’”, expression promise à un brillant (et sanglant) avenir.
La troisième réponse tient à ce que René Girard appelait dans son livre La violence et le sacré le “désir mimétique”, qui engendrait la violence dans les sociétés primitives. A de nombreux égards, l’islam n’a pas réussi à dépasser cette étape de l’histoire commune aux grandes religions, et reste jusqu’à ce jour empêtré dans une vision binaire du monde, où la violence demeure la clé d’appréhension et de résolution des conflits. Comment l’islam, auquel la notion même d’histoire est largement étrangère, pourra-t-il évoluer et faire son aggiornamento ? La réponse appartient aux musulmans eux-mêmes. Quant à l’Occident, il devrait soutenir toutes les forces progressistes et réformistes authentiques au sein du monde musulman, au lieu de chercher des alliances contre nature avec les Frères musulmans et leurs épigones.