Le ministre britannique de l’Intérieur Sajid Javid a annoncé hier que « (son) pays se dirige vers une interdiction du bras politique du Hezbollah », dans une mesure qui visera à interdire aux partisans d’organiser un quelconque mouvement dans les rues de Grande-Bretagne ou de porter le drapeau du parti. M. Javid a annoncé dans un communiqué qu’étant donné les agissements « déstabilisateurs » du Hezbollah au Proche-Orient, le Royaume-Uni ne pouvait « plus faire de distinction entre leur aile militaire, déjà interdite, et le parti politique ». « Pour cette raison, nous avons pris la décision de proscrire le groupe dans sa totalité », a-t-il ajouté.
Le bras armé du Hezbollah, rappelons-le, est sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne depuis 2013, ce qui a entraîné des sanctions. En 2017, plusieurs pays arabes, notamment ceux du Golfe, ont qualifié le parti de « terroriste ».
Cette interdiction en Grande-Bretagne entrera en vigueur vendredi si elle reçoit l’aval du Parlement. L’appartenance au Hezbollah ou toute incitation à le soutenir sera considérée comme un crime passible de dix ans de prison.
Le « distinguo » français
Cette mesure n’a pas été suivie par la France. En réaction à l’annonce britannique, le président français Emmanuel Macron a ainsi affirmé hier que la France faisait le « distinguo » entre la branche militaire du Hezbollah, qu’il qualifie de « terroriste », et le mouvement politique avec lequel Paris peut « échanger ».
« Nous avons constamment distingué deux réalités du Hezbollah. D’une part, la branche militaire que nous qualifions de terroriste, et, d’autre part, le mouvement politique qui est représenté au Parlement et avec qui nous pouvons échanger », a déclaré M. Macron lors d’une conférence de presse conjointe avec le président irakien Barham Saleh à l’Élysée. « Nous continuerons à faire ce distinguo », a poursuivi le président français. « Ce distinguo permet de lutter contre ceux qui ont des actions strictement militaires de type terroriste et de poursuivre cette politique dite de dissociation du Liban, afin d’éviter que ce pays ne soit en quelque sorte le théâtre importé des conflits régionaux », a-t-il ajouté, en référence à la politique de distanciation à l’égard des conflits régionaux prônée par le gouvernement libanais. « Il n’appartient pas à la France ou à d’autres puissances extérieures de savoir quelle force politique représentée au Liban serait bonne ou non. C’est au peuple libanais de le faire », a conclu M. Macron.
Une décision « qui n’affecte pas le Liban »
Au Liban, la première réaction est venue du ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil. « Cette décision n’aura aucun impact négatif direct sur le Liban. D’autres pays nous ont déjà habitués à cela », a déclaré M. Bassil à l’issue d’un entretien avec la chef de la diplomatie de l’Union européenne, Federica Mogherini, en visite à Beyrouth. « Les Britanniques ont confirmé que leur décision sur le Hezbollah n’affecterait pas les relations bilatérales entre le Liban et la Grande-Bretagne », a encore assuré le chef de la diplomatie libanaise. « La position britannique sur le Hezbollah est une affaire souveraine et n’affecte en rien la position de l’UE envers le parti », a déclaré de son côté Mme Mogherini.
S’exprimant sur ce sujet à une chaîne égyptienne à Charm el-Cheikh, où se tient le sommet euro-arabe, le Premier ministre Saad Hariri a estimé qu’il « s’agit d’une décision qui concerne la Grande-Bretagne seule, et non le Liban ». « Ce qui nous intéresse, c’est que les relations entre nous n’en soient pas affectées, a-t-il poursuivi. Nous espérons qu’ils considèrent le Liban en tant que pays et peuple, d’où le fait qu’il faut entretenir les meilleures relations possibles avec tout le monde. C’est ce qui compte pour l’avenir du Liban et de ses intérêts. »
Comme on pouvait s’y attendre, Israël a affiché sa satisfaction. Le ministre israélien des Affaires étrangères Israël Katz a « félicité le gouvernement britannique pour la décision qu’il a prise de proclamer le Hezbollah tout entier organisation terroriste ». « Quand je rencontrerai le secrétaire général de l’ONU à New York, la semaine prochaine, je soulignerai la nécessité pour les institutions onusiennes d’adopter une résolution similaire », a-t-il écrit sur Twitter.
La fin de l’ambivalence…
Mais que signifie cette nouvelle mesure pour le Hezbollah et, de manière plus générale, pour le Liban ? Sami Nader, économiste et analyste politique, estime d’emblée que cette distinction entre bras armé et bras politique du Hezbollah a longtemps offert aux pays européens une marge de manœuvre par rapport au Liban, leur permettant d’afficher leur mécontentement par rapport à l’Iran et au Hezbollah, tout en ne pénalisant pas leurs alliés traditionnels au Liban. Il rappelle que durant le mandat du président américain Barack Obama, et bien que les Américains aient toujours fait l’amalgame entre les deux composantes du Hezbollah, il était de rigueur de faire la sourde oreille. « Avec le président Donald Trump, la situation a complètement changé, affirme-t-il à L’Orient-Le Jour. Parallèlement, les pays arabes ont également durci leur position après le début de la guerre du Yémen (et de l’implication du Hezbollah dans ce conflit), plaçant ce parti sur leur liste d’organisations terroristes. »
L’analyste constate que cette décision britannique fait clairement suite au sommet « anti-iranien » de Varsovie, qui a eu lieu les 13 et 14 février, ainsi qu’aux déclarations du secrétaire d’État américain Mike Pompeo, qui a critiqué cette ambivalence européenne et préconisé une autre approche. « La position britannique s’est alignée sur la position américaine », souligne-t-il.
Qu’est-ce qui explique la position française ? « À mon avis, si les Français avaient emprunté cette voie, cela aurait été la fin de la CEDRE et la déstabilisation d’une scène libanaise où ils ont leur influence, répond-il. Toutefois, cela n’exclut pas que d’autres donateurs dans le cadre de la conférence internationale puissent protester à un moment ou à un autre. »
Interrogé sur les conséquences pour le Liban, M. Nader estime que dorénavant, « des conditions supplémentaires seront imposées pour traiter avec ce pays, davantage de garanties d’une non-implication du Hezbollah ». « Or, poursuit-il, ce parti est aujourd’hui dominant au Parlement comme au gouvernement. Dans le passé, ce qui permettait de faire la distinction entre les bras armé et politique du Hezbollah et d’entretenir cette ambivalence, c’était le fait que les détracteurs du parti chiite étaient majoritaires au Parlement comme au gouvernement. » Dans l’absolu, « de telles mesures ajoutent à la vulnérabilité du Liban, qui profitait de l’ambiguïté », ajoute-t-il.
Comment faire face ? « Par la politique de distanciation, souligne M. Nader. La neutralité du Liban devient une condition existentielle pour lui. »