Les profils des candidats au djihad ont beaucoup changé d’al-Qaida à l’État islamique

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En moins de dix ans, le nombre de volontaires a explosé, leurs origines se sont diversifiées et les ambitions ont changé.

En octobre 2007, l’armée américaine met la main sur des documents internes d’al-Qaïda en Irak (AQI), dans la ville de Sinjar. Les «Sinjar Records» contenaient des informations sur 584 djihadistes étrangers ayant rejoint l’organisation entre 2006 et 2007. En mars 2016, huit ans et demi plus tard, l’EI subit une fuite de données massives, surnommée «Daech Leaks». Environ 22.000 documents internes de l’organisation sont transmis à plusieurs médias par un individu se présentant comme un déserteur. Ils contiennent des informations sur 4119 volontaires étrangers, ayant rejoint l’EI entre 2011 et 2014, principalement en Syrie. Le Centre de lutte contre le terrorisme (CTC) de l’académie militaire de West Point a procédé à une étude comparative sur les profils de ces deux générations de djihadistes.

Une base de recrutement élargie pour l’EI

Chez al-Qaïda en Irak, 60% des combattants étaient originaires de deux pays: l’Arabie Saoudite, avec 235 hommes (40%), et la Libye, avec 111 hommes (19%). Les combattants occidentaux étaient très minoritaires: on ne dénombrait que deux Français, un Suédois et un Britannique. Aucun combattant asiatique n’est présent.

A l’inverse, dans les «Daech Leaks», plus de 50 nationalités sont présentes. La part des combattants saoudiens décroît (19%), celle des Libyens s’effondre (2,5%) tandis que celle des européens et asiatiques s’accroît. On dénombre 126 Français (3,1%), 210 Russes (5,1%) et 163 Chinois du Xinjiang (4%), une nationalité absente des Sinjar Records. Enfin, la part des Tunisiens triple, passant de 5,7 à 15%. Ces chiffres reflètent l’histoire récente. Après la chute de Kadhafi et la guerre civile, les djihadistes libyens ont préféré combattre chez eux. Au lendemain de la «révolution de jasmin», la Tunisie a subi une explosion de l’extrémisme religieux.

Chez al-Qaïda en Irak, la différence d’âge entre le volontaire le plus jeune et le volontaire le plus âgé s’élevait à 17,5 ans. Chez les combattants de l’EI, elle atteint 31,6 ans. Pour les combattants saoudiens de l’EI, l’âge moyen se situe entre 24 et 25 ans sur les deux échantillons. Il y a donc deux générations distincte de «mudjahidins» saoudiens: peu de «vétérans» ayant combattu avec AQI ont ensuite rejoint l’EI.

Enfin, les étudiants étaient la catégorie socio-professionnelle la plus représentée chez AQI (44,2%) tandis que l’EI attire une proportion plus élevée de travailleurs peu ou pas qualifiés (39%). Ces données démontrent que l’EI est plus attractif que ne l’était al-Qaïda en Irak. L’organisation parvient à recruter des individus plus nombreux, aux profils plus variés. Sur les périodes les plus significatives, l’organisation dirigée par Abou Bakr al-Baghdadi draine six fois plus de volontaires.

Moins de kamikazes, des groupes plus nombreux

Au sein des deux organisations, la majorité des recrues indique ne pas avoir eu d’expérience préalable du combat. 58% des volontaires d’al-Qaïda en Irak souhaitaient devenir kamikazes, tandis que 42% voulaient être combattants. Trois nationalités affichent une proportion de kamikazes particulièrement élevée: le Maroc (91,7%), la Libye (85%) et la Syrie (62,1%). En revanche, au sein de l’EI, seuls 12% des recrues désirent se sacrifier en devenant kamikaze ou «inghimasyyi». A l’inverse, 89% des volontaires de l’EI souhaitent devenir combattants, mais sans participer à une opération suicide.

Une part significative des recrues rejoint l’organisation au sein d’un groupe originaire de la même ville, chez AQI (47%) comme chez l’EI (30,4%). Mais les groupes de combattants de l’EI sont, en moyenne, d’une taille plus importante (jusqu’à 11 membres) que ceux d’AQI (jusqu’à 5 membres). Certaines villes apparaissent comme des pourvoyeuses importantes de telles «grappes» de djihadistes: Riyad et Buraydah en Arabie Saoudite, Istanbul et Gaziantep en Turquie, ainsi que Tunis. Par ailleurs, l’EI dispose de «points d’entrée» plus nombreux qu’AQI pour acheminer ses recrues.

Al-Qaïda en Irak était une insurrection clandestine dont la propagande était focalisée sur ses attaques-suicides. Devenir kamikaze était donc le principal engagement envisageable pour un nouveau volontaire d’AQI. L’EI communique aussi sur ses attaques-suicide. Mais il se présente également comme un authentique État et une terre d’immigration –ou hijra pour les musulmans du monde entier. Contrairement à AQI (dont ce n’était pas l’objectif), l’organisation a pu attirer des familles entières et des individus qui souhaitaient participer à l’édification du nouvel «État islamique» sans forcément sacrifier leur vie, surtout après la proclamation du califat.

Les reculs actuels de l’EI face à la coalition pourraient le contraindre à retourner à la clandestinité. En 2007, al-Qaïda en Irak avait presque été vaincue militairement, après le «surge» américain et avec l’aide de tribus irakiennes. De ses cendres est née l’organisation État islamique.

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