Le candidat arrivé en tête a choisi d’aller fêter le résultat du premier tour à La Rotonde, une brasserie parisienne. A-t-il commis sa première erreur ?
PAR SAÏD MAHRANE
De sa lévitation porte de Versailles, Emmanuel Macron a promis d’aller « au-delà » de ses partisans et de « rassembler tous les Français ». Donc, comme des millions de Français, nous l’avons suivi du regard, scruté ses moindres gestes, grâce aux motards de la télévision, ne pouvant nous empêcher de voir en lui, ce même pas quadragénaire, notre prochain président. Et nous voulions savoir vers qui irait son premier geste de finaliste de la présidentielle. La chose a son importance, comme toujours dans l’histoire des campagnes.
En 1981, après sa victoire, François Mitterrand avait refusé de se rendre place de la Bastille, où l’attendait une foule en liesse. Il s’était contenté d’un saut rue de Solférino pour saluer le petit personnel, avant de rentrer dormir chez lui, rue de Bièvre. Dans un pays, peut-être le seul au monde, où au cours d’une campagne les candidats se réclament d’une histoire millénaire, assument parler aux morts et convoquent les héros, la force des symboles compte. Ainsi Emmanuel Macron, dimanche soir, s’est-il rendu à La Rotonde, une brasserie parisienne du boulevard Montparnasse, ivre de sa première place, conservant dans le regard cette impression de vertige, saluant au passage « les marcheuses » et « les marcheurs », « toutes » et « tous » et « chacune » et « chacun » se trouvant sur son chemin. Il a choisi La Rotonde, comme Nicolas Sarkozy, en son temps, s’était rendu au Fouquet’s pour célébrer sa victoire, la victoire finale, en compagnie du ban et de l’arrière-ban du CAC 40. Pour cela, il fut durement jugé. « Le président des riches », disait la gauche, faisait son coming-out.
Virée maladroite ?
En soi, rien de scandaleux, sauf que trois semaines plus tôt, à Charleville-Mézières, le même homme, à l’évidence sincère, a fait pleurer d’émotion un ouvrier dans un discours « à la France qui souffre ». Un sentiment de duperie a dominé alors, en même temps qu’un signe d’adhésion à des codes sociaux différents de ceux défendus durant des mois. Voici donc que, même pas élu, Macron, candidat du renouveau, y compris dans les pratiques, s’est rendu à La Rotonde, où l’y ont retrouvé nombre de convives, lesquels avaient reçu un SMS d’invitation signé « Brigitte et Emmanuel ». Celui qui n’a eu de cesse de clamer qu’il n’était pas le candidat du quartier de La Défense, de la gouvernance mondiale, des centres-villes, des start-up, des people, de la gauche soumise aux règles du marché offre l’image d’un masque qui tombe. Un aveu qui, parce qu’il intervient au soir du premier tour, rend cette virée d’autant plus maladroite. Pourquoi donc, en outre, festoyer si la République est en danger par la seule présence de Marine Le Pen au second tour ? La presse a parlé de Jacques Attali, Erik Orsenna, Pierre Arditi, Stéphane Bern parmi les invités. Ceux-là n’ont tué personne, et méritent le respect, sauf qu’ils sont loin de l’idée que l’on se fait de ce « peuple de France » mille fois évoqué par Macron durant sa campagne.
Lieu chargé de symboles
D’aucuns diront que La Rotonde n’est pas le Fouquet’s, que le candidat a droit de souffler et de retrouver les siens. Mais le téléspectateur, devant son écran, eut l’impression que Macron venait de choisir son monde, et qu’une porte, physiquement, se refermait sur lui, citoyen, qui, assis dans son canapé, restait symboliquement sur le bord du trottoir. Restons dans les symboles, de ceux qui feront plaisir aux promoteurs du slogan « François Macron » : la Rotonde fut le QG des partisans de François Hollande, à l’heure où celui-ci préparait sa candidature pour la présidentielle de 2012. Ce fut également le nom donné à ce petit groupe de travail, composé d’économistes, dirigé à l’époque par Philippe Aghion et fréquenté par un certain Emmanuel Macron. Un dernier symbole pour la route ? La Rotonde est le nom d’une barrière du mur des Fermiers généraux se trouvant place de la Bataille de Stalingrad à Paris, lieu de ralliement de La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon…
Source http://www.lepoint.fr/presidentielle/presidentielle-macron-et-le-syndrome-du-fouquet-s-24-04-2017-2122044_3121.php