- Il n’est pas possible de brûler en effigie le prince héritier saoudien puis de se précipiter le lendemain, à Riyad, pour quémander de l’argent. Il est certes possible de crier des slogans hostiles au président égyptien, mais il est impensable de se rendre ensuite au Caire pour réclamer son soutien politique.
- Il est remarquable que Turki al-Hamad, écrivain saoudien, ait osé condamner le Hamas et toutes les milices qui règnent à Gaza pour avoir tiré des roquettes sur Israël. Nombre de pays occidentaux n’ont pas ce courage-là.
- « Les Palestiniens sont une calamité pour tous ceux qui leur ouvrent les bras. La Jordanie les a accueillis et il y a eu Septembre Noir ; le Liban les a accueillis et il y a eu une guerre civile ; le Koweït les a accueillis et ils se sont transformés en partisans de Saddam Hussein. Les voilà qui utilisent maintenant leurs tribunes pour nous maudire. » – Mohammed al-Shaikh, écrivain saoudien, RT Arabic, 13 août 2019.
- Dans les pays arabes, nombreux sont ceux qui affirment qu’il est désormais grand temps que les Palestiniens se préoccupent de défendre leurs propres intérêts et de préparer un avenir meilleur pour leurs enfants… Les Arabes semblent dire aux Palestiniens : « Nous voulons aller de l’avant, mais si vous souhaitez continuer de reculer, libre à vous ! »
- « Il n’y a aucune honte à établir des relations avec Israël ». – Ahmad al-Jaralah, rédacteur en chef d’un des principaux journaux koweïtiens, arabi21.com, le 1er juillet 2019.
Après qu’une vidéo ait été diffusée montrant des Palestiniens accomplissant le hadj en brandissant des drapeaux palestiniens et en scandant : « Avec notre sang, avec notre âme, nous honorons la Mosquée al Aksa ! », l’écrivain saoudien Mohammed al-Shaikh a demandé que les Palestiniens soient interdits de hadj islamique à La Mecque. L’Arabie saoudite a des règles strictes interdisant les activités politiques pendant le hadj. Photo : pèlerins sur le toit, dans et autour de la Grande Mosquée de la Mecque accomplissant les prières nocturnes. (Source image : Al Jazeera / Wikimedia Commons) |
Est-ce vrai ? Et si oui, pourquoi ? Les Palestiniens jouissent de la triste réputation de trahir leurs frères arabes, et même de les poignarder dans le dos. Les Palestiniens ont ainsi soutenu l’invasion du Koweït par Saddam Hussein en 1990, alors que cet État du Golfe et ses voisins, attribuaient chaque année, des dizaines de millions de dollars d’aide aux Palestiniens.
C’est à l’enseigne de la déloyauté qu’un nombre croissant d’Arabes, en particulier dans les États du Golfe, situent désormais les Palestiniens.
Ces derniers mois, les critiques à l’encontre des Palestiniens ont été en s’intensifiant, tant dans les médias arabes traditionnels que sur les réseaux sociaux, au point de prendre parfois une tournure franchement hostile.
Ecrivains et journalistes arabes ont ainsi exprimé leur indignation face à l’opposition de principe des Palestiniens aux différents projets de paix, le dernier en date étant le « Deal of the Century » du président Trump dont les termes n’ont pas encore été divulgués.
Ces mêmes écrivains et journalistes ont accusé les Palestiniens d’avoir laissé passer un nombre incalculable d’occasions de faire la paix, affirmant que le « deal du siècle » pourrait être « la dernière et la meilleure chance d’obtenir un État ».
Khalid Ashaerah, un Saoudien, a traité les Palestiniens de « traîtres » et a exprimé l’espoir qu’Israël leur infligera une « défaite » définitive.
Les attaques contre les Palestiniens sont le reflet de l’intense désillusion qui règne dans le monde arabe vis-à-vis des Palestiniens et de tout ce qui les concerne.
Cette profonde déconvenue est alimentée par la conviction que les Arabes ont, depuis sept décennies, fait que tout ce qu’il fallait pour aider leurs frères palestiniens, n’obtenant en retour qu’une ingratitude sans faille.
L’image dominante des Palestiniens est aujourd’hui, celle de traîtres à la cause arabe et musulmane. Pour reprendre un dicton arabe, les Palestiniens sont perçus comme ceux qui crachent dans le puits après qu’ils s’y soient abreuvés. L’image fait évidemment référence à l’aide financière attribuée par de nombreux pays arabes aux Palestiniens, des décennies durant.
Depuis plusieurs années déjà, les Égyptiens mènent campagne contre les Palestiniens dans les médias. Journalistes, écrivains, hommes politiques semblent même être en compétition pour obtenir la palme de la critique la plus acerbe.
Les Egyptiens ciblent volontiers le groupe terroriste Hamas qui contrôle la bande de Gaza – une enclave côtière dotée d’une frontière avec l’Egypte. Les critiques égyptiennes, – elles émanent généralement de personnalités proches du président égyptien Abdel Fattah el-Sisi -, considèrent le Hamas – une branche des Frères Musulmans, organisation interdite en Égypte – comme une menace pour la sécurité et la stabilité nationales de l’Égypte.
Ces critiques s’irritent également des reproches que les Palestiniens formulent à l’encontre d’al Sisi pour les bonnes relations qu’il entretient avec Israël et le gouvernement américain.
Les Palestiniens semblent convaincus que Sisi conspire contre eux, aux côtés d’Israël et de l’administration américaine. Ainsi, ils n’ont pas supporté qu’en mai dernier, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou ait appelé Sisi « mon ami ». Netanyahou entendait ainsi remercier Sisi pour les deux hélicoptères mis à disposition d’Israël pour lutter contre les incendies de forêt. « Je voudrais remercier mon ami le président égyptien Sisi d’avoir envoyé deux hélicoptères », a annoncé Netanyahou.
« Au lieu de défendre leur cause, les Palestiniens insultent Sisi et le peuple égyptien », a déclaré Azmi Mujahed, un célèbre journaliste égyptien.
« J’ai un message pour ces mendiants palestiniens qui ont vendu leur terre et leur honneur : vous maudissez l’Égypte, son armée et son président. Vous êtes ignobles. Quiconque insulte notre président nous insulte tous. »
Le pic des attaques égyptiennes contre les Palestiniens a eu lieu en 2014, quand il est apparu que les dirigeants du Hamas à Gaza, aidaient des groupes terroristes proches de l’Etat islamique à lutter contre les forces de sécurité égyptiennes dans la péninsule du Sinaï. Plusieurs écrivains et journalistes de renom ont alors appelé leur gouvernement à expulser les Palestiniens et à lancer une attaque militaire contre la bande de Gaza.
Lamis Jaber, écrivain égyptien, a exhorté le gouvernement à expulser tous les Palestiniens et à confisquer leurs biens. Elle a également appelé à l’emprisonnement de tous les sympathisants des Palestiniens. « Nous aidons la bande de Gaza et, en retour, ils [les Palestiniens] tuent nos enfants. Ce sont des chiens et des traîtres. »
Jaber a rappelé que, pendant que les dirigeants du Hamas se prélassent dans des « hôtels sept étoiles » de Turquie et du Qatar, les patients palestiniens sont soignés gratuitement dans les hôpitaux égyptiens.
Jaber n’est qu’une personnalité parmi d’autres, à avoir mené campagne contre les Palestiniens ces dernières années – mais son attitude est le reflet de la lassitude des Arabes face à « l’ingratitude » et à « l’arrogance » des Palestiniens.
Le message que les Égyptiens envoient aux Palestiniens se résume à : nous en avons assez de vous, de vos dissensions internes et de votre incapacité à vous comporter comme des adultes. Nous ne supportons plus qu’après toutes ces années passées à vous soutenir et à nous battre pour votre cause, vous nous crachiez à la figure et offensiez notre président.
C’est désormais au tour des Saoudiens de « dire comme les choses comme elles sont ». À l’instar de leurs collègues égyptiens, nombre d’écrivains, blogueurs, militants et journalistes saoudiens s’épanchent contre les Palestiniens sur les réseaux sociaux, avec un ton jamais usité auparavant. Ainsi, certains Saoudiens décrivent les Palestiniens comme des terroristes et les accusent de vendre leurs terres à des Israéliens.
Ces dénonciations ne sont pas propres aux Saoudiens. On ne compte plus les citoyens d’autres pays arabes et musulmans, en particulier dans le Golfe, qui disent leur fait aux Palestiniens.
Comme les Égyptiens, les Saoudiens enragent des attaques répétées des Palestiniens contre la famille royale saoudienne en général, et contre le prince héritier Mohammed bin Salman en particulier. Au cours des deux dernières années, on a vu des Palestiniens brûler des drapeaux saoudiens et l’effigie de Mohamed Ben Salman aussi bien en Cisjordanie que dans la bande de Gaza. Pourquoi ? Parce que les Palestiniens estiment que le prince héritier est « trop proche » d’Israël et de l’administration américaine.
Comme les Egyptiens, les Saoudiens se sentent trahis par les Palestiniens. En dépit des milliards de dollars d’aides distribués depuis des années, les Palestiniens n’ont jamais manqué une occasion de dénigrer les dirigeants saoudiens.
Les Saoudiens expriment désormais leur lassitude. Leur stupéfaction a atteint son apogée en juin dernier, quand des Palestiniens ont attaqué un blogueur saoudien dans l’enceinte de la mosquée Al-Aqsa, au cœur de la vieille ville de Jérusalem. Ils ont craché au visage du blogueur Mohammed Saud et l’ont accusé, par sa seule présence, de promouvoir la « normalisation » avec Israël.
Depuis cet incident sur un site musulman sacré, de nombreux Saoudiens et citoyens des États du Golfe attaquent quotidiennement les Palestiniens sur les réseaux sociaux.
Le blogueur saoudien Mohammed al-Qahtani a écrit :
« A tous ceux qui écoutent notre voix en Israël nous disons ceci : reprenez à la Jordanie l’administration de la mosquée Al-Aqsa ; ainsi les méprisables agressions contre notre compatriote saoudien, Mohammed Saud, ne pourront plus se reproduire ».
Cette déclaration publique d’un saoudien est tout simplement stupéfiante. Qu’un saoudien affirme que les musulmans se sentiront plus en sécurité si l’un des plus importants sites islamique passe sous administration israélienne (plutôt que jordanienne), aurait été inimaginable, il y a quelques années à peine.
Les relations que les Palestiniens entretiennent avec l’Iran mécontentent plus d’un Saoudien. Le Hamas et le Jihad islamique, les deux groupes terroristes qui contrôlent la bande de Gaza, reçoivent une aide financière et militaire de l’Iran et ont le soutien politique de la Turquie. Or, les Saoudiens et les autres États du Golfe considèrent l’Iran comme une menace infiniment plus grave pour leur stabilité qu’Israël. Un ennemi commun, l’Iran, a rapproché progressivement les pays du Golfe d’Israël.
Non moins étonnant, un écrivain saoudien, Turki al-Hamad, a osé ce que nombre de dirigeants occidentaux ne font pas : condamner le Hamas et les autres milices de Gaza pour avoir tiré des roquettes sur Israël. Al-Hamad, a dénoncé les Palestiniens qui acceptent d’être les marionnettes de la Turquie et de l’Iran. Les roquettes lancées depuis Gaza contre Israël lui ont fait dire : « L’Iran et la Turquie font face à une crise [une référence aux crises économiques et politiques en Iran et en Turquie] et les Palestiniens en paient le prix ». En d’autres termes, les Palestiniens ont choisi de s’aligner sur deux pays, l’Iran et la Turquie, qui soutiennent les Frères musulmans et d’autres groupes extrémistes tels que le Hamas, le Jihad islamique et le Hezbollah.
Un autre écrivain saoudien, Mohammed al-Shaikh, a remis au gout du jour la bonne vieille accusation qui sévit dans le monde arabe selon laquelle, les Palestiniens créent des problèmes partout où ils se trouvent dans le monde.
« Les Palestiniens sont une calamité pour tous ceux qui les accueillent. La Jordanie les a accueillis et il y a eu Septembre Noir ; le Liban les a accueillis et une guerre civile a ravagé le pays ; le Koweït les a accueillis et ils se sont transformés en soldats de Saddam Hussein. Ils utilisent maintenant leurs tribunes pour nous maudire. »
Sur Twitter, al-Shaikh a aussi appelé à l’interdiction des Palestiniens au grand pèlerinage de La Mecque, le hadj. Al Shaikh a mal supporté une vidéo qui, sur les réseaux sociaux, montrait des Palestiniens accomplissant le hadj en brandissant des drapeaux palestiniens et en scandant : « Avec notre sang, avec notre âme, nous t’honorons, mosquée Al-Aqsa! »
Les autorités saoudiennes bannissent toute activité politique pendant le hadj. Selon Al-Shaikh, les Palestiniens qui profitent du pèlerinage à la Mecque pour organiser une manifestation sèment le trouble et embarrassent les autorités saoudiennes.
« Les chiens du Hamas », a déclaré al-Shaikh après le visionnage de la vidéo, « devraient être interdits de hadj l’année prochaine en raison de leur comportement obscène ».
Fahd al-Shammari, un journaliste saoudien, a traité les Palestiniens de « mendiants sans honneur ». Il a osé dire qu’une mosquée en Ouganda est plus sainte qu’Al-Aqsa, qui est un lieu de prière juif. »
Si leurs relations avec les États arabes se dégradent, les Palestiniens ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes. Les Palestiniens ont toujours payé très cher les morsures qu’ils infligeaient à la main qui les nourrissait.
Brûler en effigie les dirigeants et chefs d’État arabes dans les rues de Cisjordanie et de Gaza était pire qu’une erreur. Comment peut-on brûler une photo du prince héritier saoudien, et se précipiter le lendemain, à Riyad pour quémander de l’argent ? Comment hurler des slogans contre le président égyptien, puis se ruer au Caire pour demander un soutien politique.
De plus en plus d’Arabes affirment haut et fort qu’il serait temps que les Palestiniens défendent leurs intérêts et réfléchissent à l’avenir de leurs enfants. Les mêmes clament haut et fort que la question palestinienne et le conflit israélo-arabe ne sont plus le principal problème du Moyen Orient. Le message que les Arabes font aujourd’hui passer aux Palestiniens est le suivant : « Nous voulons avancer ; mais si vous préférez aller à reculons, libre à vous ! »
Les Arabes attribuent la stagnation palestinienne aux dirigeants de l’Autorité palestinienne et du Hamas, trop occupés à empoisonner l’esprit de leur peuple et à se déchirer entre eux pour avoir le temps d’agir de manière constructive. Les Palestiniens pourraient bien se réveiller un jour pour découvrir que leurs frères arabes ne peuvent plus être dupés.
Ahmad al-Jaralah, l’un des principaux rédacteurs en chef de la presse koweitienne, s’est montré sans doute le plus direct :
« La cause palestinienne n’est plus une cause arabe. Nous avons beau financer les Palestiniens, ils nous maudissent et se conduisent mal. Les Arabes et les musulmans n’applaudissent plus les Palestiniens. Il faut cesser d’avoir honte d’établir des relations avec Israël. »
Khaled Abu Toameh, journaliste primé, basé à Jérusalem, est Shillman Journalism Fellow du Gatestone Institute.