Mais où sont donc passés les Juifs du Maroc?

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Moroccan Jewish pray at a synagogue in Tetouan, March 16, 2008. More than 100 Moroccan Jewish have celebrated the Hailoula ceremony in honour of saint rabbi Itshak Benoualid. REUTERS/Rafael Marchante(MOROCCO)

SOCIÉTÉ – Pas plus tard qu’hier, et pour je ne sais trop quelle raison, je me surpris à regarder une photo de classe de mes parents. Elle regroupait des visages souriants, divers et jaunis par le temps. Et si ma mère, agréablement surprise, fut émue aux larmes à la vue de ce passé révolu, quel ne fut pas mon étonnement lorsque les noms des élèves vinrent (à ma demande) chatouiller mon oreille ! Nabil était entouré de Michèle et David, tandis que les sourires de Latifa et Meriem côtoyaient ceux de Sarah et Simon. Ils avaient l’air insouciants, coquets et en symbiose mais, surtout, ils avaient l’air heureux.

Seuls 2.200 Juifs habitent encore au Maroc, dont une majorité à Casablanca, contre près de 250.000 dans les années 60. Au même moment, les Juifs marocains constituent la plus grande communauté juive du monde arabe, à raison d’environ 350.000 âmes. Au gré des vagues d’immigration, des peurs et des conflits, la communauté juive marocaine s’est éparpillée ici et là. Tant et si bien qu’aujourd’hui, elle est en passe de devenir un souvenir.

Jamais personne n’a pu (ou plutôt n’a su) m’expliquer les motifs derrière leur départ. Si bien qu’à l’heure actuelle, de la pluralité culturelle qui nous ceignait jadis, il ne reste désormais plus qu’un mince voile de pudeur obscurci par le temps. La judaïté est un tabou, dont certains se cacheraient presque, sauf lorsqu’il s’agit « d’antisémitisme décomplexé », ce même racisme qui puise des origines dans une profonde fracture linguistique. À continuer ainsi, notre modèle sociétal ressemblera bientôt à celui décrit par Kundera: « Toujours les mêmes gens, qui pensent toujours la même chose ». Il existe une opinion, tacitement et socialement acceptée, une seule et unique opinion, une et indivisible: le Juif est différent. Il diffère de « nous », nous autres les « pur-sang », tant bien physiquement d’idéologiquement, il n’a pas nos coutumes et nos valeurs. Il s’éloigne de nous, c’est regrettable, mais au fond, cela semble être dans la suite logique des événements.

Je ne connaîtrais sans doute jamais cette époque, où l’harmonie était reine, mais je sais seulement que j’aurais voulu la connaître. J’aurais voulu un environnement enrichissant, car aujourd’hui, notre société glisse doucement vers une société de clones nourris inlassablement aux préjugés. Alors, certes, Gide disait que « les préjugés sont les pilotis de la civilisation », autrement dit, cette dernière repose sur eux. Elle les soutient, les alimente et les préserve. Et de fait, cesdits préjugés sont parfois lourds de conséquences, engendrent un bouleversement du paysage sociétal local. En bien ou en mal, c’est selon.

Après réflexion, j’aurais voulu pouvoir me mettre à leur place. Ne serait-ce qu’un instant, pour comprendre toute cette haine que je n’ai jamais su expérimenter. Alors, non ! nous vivions en harmonie et ils sont partis de leur plein gré, paraît-il, mais il n’empêche qu’ils tuent lâchement nos frères palestiniens. Alors non, ils sont comme nous, paraît-il, mais je t’interdis, tu m’entends, je t’interdis formellement d’épouser un(e) juif(ve). Ah, bon? Pourquoi donc, si nous sommes pareils? Ben tu comprends, c’est pas la même culture, tu perdrais tes valeurs et tes repères, et puis… Oh! tu m’embêtes avec tes questions, file dans ta chambre!

Si les conséquences de cet exode sont multiples et complexes, les causes le sont d’autant plus. La création de l’Etat d’Israël ainsi que la montée du panarabisme auront assurément alimenté cette scission judéo-marocaine qui se dessinait. Néanmoins, on ne pourrait énumérer avec précision et de manière exhaustive l’intégralité de ces causes. Cela reviendrait à « lister » tout une série de causes selon une comptabilité trop classique, trop froide, trop rigoureuse pour être humaine. Qui plus est, nombre d’entre elles témoignent d’un ressenti, d’une atmosphère, et ne peuvent par conséquent être expliquées tout à fait rationnellement.

« Cette Terre, D’ nous l’a promise »: David Ben Gourion lui-même en était conscient. À cette époque, l’accomplissement de la prophétie biblique prenait vie sous les yeux humides de ceux qui furent persécutés quelques années auparavant. Le nom de l’une de ces opérations (« Sur les ailes de l’aigle »), visant à légitimer ce retour sur la terre sainte, trouvait d’ailleurs sa source dans l’un des versets bibliques: « Et Je vous ramènerai sur les ailes de l’aigle, et vous reviendrez à moi ». S’il fallait recontextualiser, comprenons ici que les ailes étaient celles d’un Boeing, qui rapatriait ces enfants vers le berceau de leurs ancêtres. Ainsi, ce retour aussi soudain que naturel des juifs (marocains et d’ailleurs) sur la terre d’Israël semblait alors être dans la suite logique des choses, somme toute.

Toutefois, à en croire Georges Bensoussan, historien français né au Maroc, « si les Juifs ont quitté en masse le Maroc, c’est parce qu’ils avaient peur ». Un nouvel Etat leur ouvrait les bras, tandis que leur terre natale fermait les siens. Et c’est alors qu’intervint la psychose: ils avaient peur, peur d’un avenir incertain au sein d’un groupe où ils étaient minoritaires, peur de ces entraves à leur liberté de circulation que le gouvernement mettait en place pour les convaincre (ou plutôt devrais-je dire les forcer?) de rester. « Il faut comprendre, nous avons vécu tellement de massacres, de pogroms, d’inquisitions que nous sommes forcement sur le qui vive, et qui ne le serait pas? ».

Ainsi, plusieurs témoignages reflètent ce climat de défiance, d’incertitude et d’appréhension qui se développait à la fin des années 60. « Les Juifs étaient constamment angoissés par la question capitale: le Maroc indépendant pouvait-il à long terme continuer à manifester sa tolérance envers eux? Le simple doute quant à la réponse à cette question pouvait à lui seul suffire à les empresser à partir ».

On a tendance à dire que c’est comme ça et puis c’est tout, mais je refuse d’y croire. De surcroît, toute personne rationnelle refuserait de croire qu’un groupe qui vivait prétendûment en harmonie avec les siens abandonnerait sa terre natale sans aucune raison valable. On aurait pu penser que le traitement particulièrement bienveillant qui leur fut accordé durant la Seconde Guerre Mondiale aurait tissé des liens indéfectibles, qu’il les aurait lié éternellement, mais il n’en est rien.

La peur évoquée précédemment, mais également le dahir de la marocanisation des institutions juives du 26 novembre 1958, y contribuèrent fortement. Ce dernier stipulait notamment que les « membres du comité directeur de l’organisme soient exclusivement de nationalité marocaine. (…) Étant donné qu’une partie des institutions internationales juives étaient encore gérées par des Juifs de nationalité étrangère résidant au Maroc, une partie de ces institutions furent astreintes à modifier la constitution de leurs comités directeurs et à nommer à leur tête des membres de nationalité marocaine ».

Qui plus est, « depuis juin 1958, les autorités s’opposèrent à l’existence de la CIRE, ‘Caisse Israélite de Relèvement Économique’, caisse qui soutenait les artisans juifs, en prétendant que ce fond n’avait pas de raison d’être autonome après l’accession à l’indépendance ».

Par ailleurs, l’entrave à leur liberté de circulation, dans la mesure où leur départ menaçait d’impacter l’économie locale, ou encore les diverses opérations d’émigration (97.000 juifs ont ainsi quitté le Maroc pour Israël entre 1961 et 1964 suite à l’opération Yakhin) sont autant d’explications derrière le départ des juifs du Maroc.

Enfin, la fondation de l’Union postale arabe en 1959 « provoqua la rupture unilatérale des relations postales, télégraphiques et téléphoniques entre le Maroc et Israël. Cette rupture pesa lourdement sur le climat moral de la communauté juive et sur son avenir au Maroc ». Ajoutez à cela une dose d’antisémitisme avec une pincée de nationalisme exacerbé, et vous obtenez une baisse de 99% du nombre de juifs au Maroc en quelques décennies.

En conclusion, et de crainte de demeurer incomplet, nul ne saurait oublier que les juifs marocains n’ont en aucun cas émigré exclusivement vers Israël, mais également vers d’autres pays à l’image du Canada ou de l’Espagne, dont les modalités d’accueil auront encouragé ce choix. Certaines mesures facilitèrent en effet les démarches; aussi, et encore aujourd’hui, après avoir expulsé les juifs sépharades de son territoire en 1492, l’Espagne offre désormais la nationalité espagnole à leurs descendants. Par décret royal. S’il vous plaît.

La situation est telle que, dans ce cas précis, la religion outrepasse la nationalité. Leur citoyenneté marocaine est derechef dissimulée par leur appartenance à la communauté juive. Ils sont dhimmi(1), ils sont juifs marocains, et non marocains tout court car, dans l’inconscient collectif, un marocain est forcément musulman. Ainsi, on les distingue verbalement, « lihoud » est une entité à part entière, stigmatisée faute d’éducation, sans doute.

L’ignorance alimente la déliquescence. L’amalgame entre juif et israélien n’en est plus un, il est devenu une norme. L’antisémitisme n’est plus un délit, mais une opinion. L’exode juif n’est plus un sujet de conversation, mais un souvenir, qui doucement s’efface. On les accueille à bras ouverts, paraît-il, mais ils refusent l’amicale étreinte qui leur est offerte. La confiance s’est effritée. Ils sont passés, ils ont vu, ils ont vécu, mais nous les avons perdus.

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(1) Désigne un citoyen non-musulman d’un Etat musulman

Source www.huffpostmaghreb.com

 

NDLR : Le présent texte émane d’un site totalement étranger à notre communauté, mais ce texte a sa valeur propre. Toutefois, un Juif pratiquant aurait décrit tout cela autrement…

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