Par rav David E. Avraham
« Ceci est la Tora : quand un homme meurt dans la tente » (Bamidbar 19,14)
Rabbi Chimon ben Lakich dit : « D’où apprenons-nous que la Tora ne se maintient que chez celui qui se tue pour elle ? Du verset : « Ceci est la Tora : quand un homme meurt dans la tente » » (Berakhoth 63 b).
L’étude de la Tora est à la portée de tous. Elle ne nécessite pas d’énormes sacrifices si ce n’est un peu de temps. Il suffit de prendre un livre ou d’écouter un shiour et le hop ! le tour est joué ! Mais que restera-t-il de cette étude ? On raconte qu’un jeune talmudiste se rendit chez le Ba’al Shem Tov. Il lui dit avec enthousiasme : « Rabbi ! J’ai parcouru tout le Talmud ! » Et l’illustre rabbi de lui répondre : « Est-ce que le Talmud t’a parcouru ? »
Le maintien de la Tora dans notre être n’a absolument rien à voir avec l’accumulation des connaissances. On pourrait comparer cela à la différence entre manger et sentir un bon plat. Certes l’odeur d’un bon mets est agréable, mais elle ne nourrit pas. Le repas ne fera jamais partie de notre organisme si on se contente de le sentir. Il faut le manger pour cela.
Mais comment mange-t-on la Tora ? En mourant pour elle ! nous dit rabbi Chimon ben Lakich.
En effet, selon le célèbre binôme de rabbi Yohanan, il n’y a pas d’autre alternative. Il faut mourir sous la tente d’étude. C’est assez intimidant, voire choquant, n’est-ce pas ?
La Tora n’est-elle un arbre de vie ? N’est-elle pas notre vie et notre longévité ? N’est-elle pas une source de vitalité pour tous ceux qui en parlent ? Alors, pourquoi doit-on mourir pour qu’elle se maintienne en nous ?
Le Rambam écrit (Lois du Talmud Tora 3 ;12) : « Les paroles de la Tora ne demeurent pas chez une personne qui étudie avec nonchalance ni chez ceux qui étudient au milieu des plaisirs, de la nourriture et de la boisson, mais seulement chez celui qui s’y sacrifie, et exténue son corps continuellement, ne laisse pas de sommeil à ses yeux, et de repos à ses paupières. Les sages ont dit, allusivement, à propos du verset : « Voici la Tora, un mort qui mourra dans une tente […] », la Tora ne demeure que chez celui qui se sacrifie dans les tentes de la sagesse. »
On retrouve des paroles similaires dans le Midrach Tanhouma, parachath’ Noah, au sujet de la Tora orale. Qu’est-ce que tout cela signifie exactement ? Faut-il haïr les bienfaits de ce monde et vivre en ascète ? Nos sages ne nous apprêtent-ils pas que le nazir apporte un sacrifice expiatoire pour s’être privé de vin ? La réponse se trouve dans un autre enseignement du Rambam : « Car les pensées concernant les arayoth ne s’installent pas dans un cœur dénué de sagesse. »
Le Rambam nous livre un secret extrêmement précieux : tout dépend du cœur ! Notre cœur est le vecteur directeur de notre vie juive. Est-il avide de sagesse ou des plaisirs de ce monde ? Il n’est pas interdit de profiter des bénédictions que Hachem nous offre. Mais celles-ci sont-elles les principales préoccupations de notre cœur ? Car la Tora peut difficilement se maintenir dans un cœur obnubilé par le matériel. En revanche, un cœur assoiffé de sagesse est un réceptacle pour la Tora.
Cela dit, l’homme ne vient pas au monde parfait. Enfant, il est aussi matériel qu’un petit veau. Il finit par croire que son esprit animal est son véritable « moi ». Une fois la majorité religieuse atteinte, il devra apprendre que son véritable « moi » réside dans son âme. Cette parcelle divine qu’il perçoit souvent comme un étranger, un « Il ». Car la Tora est un lien avec Hachem. Elle ne se maintient que chez celui qui Lui ressemble. Or l’homme fut créé à Son image. Il peut donc se lier à Lui par le biais de Sa Tora. Mais il doit au préalable permettre à son véritable « moi » d’exister. Cela implique une forme de « mort », la mort du « moi illusoire », cet animal qui nous accompagne depuis notre enfance. Et c’est ce dont parle rabbi Chimon ben Lakich : la mort du « mort illusoire » pour laisser vivre le véritable « moi » en s’attachant à l’Arbre de la Vie.
Chabbath Chalom !