Le degré de civilisation d’une société moderne et développée peut s’évaluer à la qualité de l’éducation prodiguée à sa jeunesse ou encore à sa capacité à créer ou non les conditions d’un emploi pour tous. Après toutes les réformes controversées de la macronie, la dernière « réforme » sociétale d’Emmanuel Macron qui va aboutir à une loi sur la fin de vie – comprendre une loi sur le suicide assisté – révèle aussi la manière dont nos sociétés traitent leurs aînés ou leurs malades.
Il ne s’agit pas ici de porter un jugement moral sur le suicide en général – même si on notera que toutes les spiritualités s’accordent pour désapprouver ce geste ultime – ni même sur ceux qui y recourent puisque, par définition, le témoignage, la souffrance physique ou morale, la compassion et l’émotion empêchent toute discussion rationnelle. Notre propos est plutôt d’analyser ici philosophiquement ce que cette loi sur l’euthanasie (du grec ancien euthanasia : bonne mort) – présentée comme un suicide assisté – dit de nos sociétés. Sur la forme et sur le fond.
Sur la forme d’abord. Au printemps 2023, dans une nouvelle atteinte à la démocratie où le Parlement avait été écarté au profit du panel statistique prétendument choisi au hasard, on a convoqué des Français – 184 exactement – pour une « convention citoyenne », en dehors de toute légalité et de toute expertise. Or, la démocratie du hasard n’est pas la démocratie représentative, et on sait maintenant depuis des années que les conventions citoyennes d’Emmanuel Macron sont des tartuferies bien rodées, des conventions Potemkine où règne la plus grande opacité sur la manière dont les intervenants sont sélectionnés et castés, et où tout le programme de questions est biaisé, puisqu’orienté dans le sens voulu par le gouvernement. Comme le déplorait le député européen François-Xavier Bellamy : « Si vous mettez des gens dans une pièce et que vous organisez autour d’elle un programme marqué par des biais absolument manifestes, vous obtenez à la fin la réponse que vous attendez » et fustigeait le fait que « sur 27 jours de débat, il y a eu trois heures d’échange avec les soignants et pas une seule visite dans un centre de soins palliatifs ». Comme par hasard, la majorité des soignants est vent debout contre cette réforme qui s’annonce comme un nouveau changement anthropologique.
Sur le fond maintenant. Quand Henry de Montherlant, devenu aveugle, décide de se suicider, il ne demande pas une loi à la société. Il fait ce qu’il estime devoir faire et, le 21 septembre 1972, il avale une capsule de cyanure et simultanément se tire une balle dans la bouche, de crainte que le cyanure soit éventé. Quoi que l’on puisse penser, il s’agit d’un geste individuel qui n’implique pas la société.
Or, que réclament les partisans et les lobbys en faveur de lois sur l’euthanasie, sinon « le droit de mourir dans la dignité » ? Et ce slogan, à lui seul, résume la psychologie des élites bobo-branchées qui ne veulent pas se confronter à la mort et qui sont indisposées par la vieillesse comme par la dépendance. Or, la vieillesse n’est pas l’indignité ; la dépendance n’est pas l’indignité ; la souffrance n’est pas l’indignité ! Tous ceux qui souffrent ou qui sont atteint de maladies incurables et qui refusent ce geste ultime ne sont pas dans l’indignité, et l’on notera – et ce n’est pas un hasard – que les militants du droit à mourir dans la dignité sont aussi ceux qui préfèrent les moustiques et les rats (pardon les surmulots !) à l’Homme et qui se soucient bien peu du droit de l’Homme à vivre dans la dignité ! « Nos profits valent plus que vos vies » est en effet le mantra des sociétés converties à la mondialisation ultralibérale pour lesquelles l’Homme n’est qu’une ressource taillable et corvéable à merci. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder l’évolution des conditions de management et toute la sémantique qui l’entoure : dans la mondialisation ultralibérale, la réification de l’individu assigné à une tâche et la manière dont l’entreprise se sépare de lui le place au niveau d’un Kleenex®, le burn-out ou le bore-out faisant partie désormais des pratiques managériales et l’on doit à deux grandes entreprises françaises, l’une du secteur automobile l’autre du secteur des télécommunications, l’invention dans les années 1990 du management par le suicide. Il y a assurément à faire pour améliorer les conditions de travail dans une époque où les harcèlements sont en hausse, mais également les violences physiques voire les meurtres sur le lieu de travail : sans oublier les professeurs Samuel Paty et Dominique Bernard assassinés, sans oublier Didier Lemaire, un professeur menacé vivant sous protection policière, un enseignant sur cinq a déjà été agressé en France. Des élus, des médecins ou des infirmières sont régulièrement agressés. Dans ce pays où le progressisme échevelé dégrade tout, deux policiers ou gendarmes se suicident chaque mois, un agriculteur tous les deux jours. Sans parler du chômage de masse, conséquence du capitalisme et de la mondialisation, près de 50% des salariés, smicards ou nourris aux bas salaires, sont précarisés : aujourd’hui c’est un Français sur trois qui ne se chauffe pas, c’est un Français sur trois qui ne mange pas trois repas par jour (des étudiants survivent par la banque alimentaire), c’est un Français sur trois qui ne peut pas se soigner. La pression aux bas salaires est favorisée par les politiques d’immigration massive, mais à terme, c’est la rupture du contrat social qui se profile : la précarisation des salaires et des pensions a toujours trouvé des soutiens au-delà des clivages politiques traditionnels, la gauche ayant abandonné en rase campagne les ouvriers et les salariés qu’elle méprise aujourd’hui quand l’extrême-gauche, armée de réserve du capitalisme, a toujours grandement modéré son anticapitalisme dans une opposition de façade et une alliance avec le patronat aussi objective qu’improbable.
Le droit à vivre dans la dignité se heurte à une réalité qu’un système médiatique propagandiste qui a depuis longtemps choisi son camp a toujours opportunément occultée, alors qu’il pourrait être le contre-pouvoir efficace et l’aiguillon qui rappelle l’Etat à ses devoirs. Entre cour des miracles et coupe-gorges, la vie quotidienne des Français s’est considérablement dégradée. En 2023, les Français vivant à la Guadeloupe ne disposent que de deux heures d’accès à l’eau potable par jour, en raison de la vétusté des infrastructures ; l’hôpital est à ce point sinistré que plus de 40 personnes sont mortes dans les couloirs des hôpitaux de France rien qu’en décembre et en janvier derniers. Enfin, concernant la fin de vie, plus de 20% des départements français ne disposent pas d’un centre de soin palliatif, contrairement à ce que prévoyait la loi Claeys-Leonetti et 50% des besoins en soins palliatifs ne sont pas couverts. Peut-être qu’avant de légiférer une nouvelle fois sur la fin de vie, conviendrait-il déjà de remplir intégralement les obligations des lois précédentes.
Or, depuis 2012 on constate singulièrement un tropisme à la désacralisation de la vie. Il s’y ajoute depuis 2017, chez Emmanuel Macron, un tropisme ultralibéral et totalitaire à la marchandisation du corps humain et une volonté de surpasser la biologie et la nature à tout prix. Les Français sont devenus des donneurs présumés de leurs organes durant le quinquennat de François Hollande. C’est une inversion totale de la notion de don qui se double d’une réification du corps humain, même s’il ne s’agit pas d’une marchandisation en tant que telle, puisqu’en l’occurrence il n’y a pas de transaction financière. Telle n’est évidemment pas le cas de la GPA, la gestation pour autrui, qui se négocie à 30000 $ sur la côte ouest des Etats-Unis. Il faut lire les conditions générales des contrats de GPA – qui ont été analysées par Michel Onfray dans l’opus 11 de la revue Front Populaire – pour comprendre l’inhumanité profonde qui entoure ce business : la prestation n’est strictement que commerciale puisqu’elle dénie tout lien entre l’enfant à naître et la porteuse gestationnelle (qui n’est qu’un incubateur) et dont le paiement n’est qu’un dédommagement pour « la douleur, la souffrance et la détresse émotionnelle » subie. Des conditions drastiques l’obligent à vivre sa grossesse non loin de l’hôpital où elle accouchera, dans un hygiénisme absolu détaillé dans le contrat et sa vie intime est sous le contrôle de la société prestataire. Des douleurs à l’allaitement, en passant par l’amniocentèse, la biopsie ou la perte d’ovaires, tout a été prévu et fait l’objet de barèmes forfaitaires à la hausse ou à la baisse. Dans ce commerce d’enfant – Pierre Bergé établissait une équivalence entre la location d’un ventre pour faire un enfant et la location de ses bras pour travailler à l’usine –, la société poussera les femmes les plus précarisées à faire commerce de leur corps ; c’est ce que rappelait déjà Victor Hugo commentant son œuvre Les Misérables : « L’histoire de Fantine, c’est la société qui achète une esclave. A qui ? A la misère. A la faim, au froid, à l’isolement, au dénuement… Une âme pour un morceau de pain. La misère offre, la société accepte ». La loi concernant l’extension de la PMA et la GPA, improprement appelée « loi de bioéthique » – il n’y a en effet plus aucune éthique dans cette France orwelienne – devait permettre la procréation médicalement assistée d’embryons sans père (c’est-à-dire une pure construction sociale sans filiation paternelle), la création d’embryons transgéniques (embryons humains génétiquement modifiés), la création de chimères (embryons animal-homme) ; chimères qui, pour le moment, ne pourront être implantées chez une femme. Le projet de loi initial de la macronie avait été stoppé par le Sénat en 2021, mais comme le rouleau-compresseur du progressisme va dans le sens d’un élargissement à chaque révision de la loi de « bioéthique », on connaît déjà la suite. Comme le rappelle Michel Onfray : « Aujourd’hui, les descendants des Thénardier sont étrangement des gens qui se disent progressistes et de gauche – et qui traitent de fascistes quiconque défend les Fantine d’aujourd’hui ! Ces esclavagistes contemporains, ces nouveaux négriers, légitiment la prostitution, célèbrent la location d’utérus destinés à des gestations pour autrui, vantent les mérites du commerce d’ovocytes ou de spermatozoïdes et atteignent le sommet de leur éthique, une morale sans obligation ni sanction, en promouvant la vente et l’achat d’enfants ». On ne saurait mieux dire.
Ou plutôt si ! Un autre changement anthropologique impulsé en douce par la macronie et intervenu durant l’été 2020 a permis la légalisation de l’infanticide ; plus exactement, selon le droit actuel, tuer un enfant de deux semaines est un infanticide, mais le tuer deux semaines avant sa naissance, c’est une… détresse psycho-sociale. Pour cette gauche qui est aux affaires depuis 2012 et qui a consciencieusement détruit la politique familiale, l’enfant n’est donc plus un projet humain de reproduction de l’espèce fondé sur l’amour et le désir de famille, mais une variable d’ajustement de la détresse psychologique ou sociale du moment. On comprend mieux alors pourquoi cette même gauche pousse ses feux pour promouvoir le suicide assisté. Le modèle vers lequel se dirige la France est celui qui existe déjà en Belgique, mais un reportage récent vient contrebalancer le discours officiel progressiste. On y découvre que la peur de la souffrance motive l’intérêt pour l’euthanasie, alors même que le recours aux soins palliatifs est peu connu et les équipements en soins palliatifs insuffisants. On y découvre aussi que l’offre crée la demande et une pression sur les familles, les médecins et les malades. On y découvre aussi que certaines personnes dépressives sont poussées au suicide… par leur médecin ! C’est enfin et surtout une affaire économique quand les dépenses de santé augmentent et qu’à terme, si l’augmentation de l’espérance de vie se confirme, c’est deux générations – les centenaires et leurs enfants (qui auront 75 ans en moyenne) – qui seront les bénéficiaires prioritaires du système de santé.
Voici donc le paysage sociétal dans lequel cette loi sur la fin de vie va être présentée et soumise au vote. Les personnels de santé sont vent debout contre ce changement anthropologique qui permettrait d’administrer la mort à des patients, alors que le secours et le secourisme consistent à sauver des vies, y compris celle des personnes qui attentent à leur vie. La majorité des médecins démissionneront si on les pousse à violer leur serment d’Hippocrate, mais la macronie a l’habitude de passer en force : on se souviendra de la manière dont l’ordre sanitaire macronien a géré la pandémie sur la base d’une définition par le pouvoir de ce qui était utile et de ce qui ne l’était pas, de ceux qui étaient utiles et de ceux qui ne l’étaient pas ; on se souviendra également de la manière dont Emmanuel Macron est passé outre aux réticences des Français à la vaccination contre le COVID, alors qu’il est lui-même responsable des 110000 morts de la pandémie, de la mise en œuvre d’un Ausweis sanitaire et de la diminution de près de 30000 lits d’hôpital depuis 2017, dont des lits dédiés aux soins palliatifs. La classification en utiles et inutiles, le triptyque Travail-Ordre-Progrès au croisement d’Auguste Comte et de Pétain, l’eugénisme au cœur des « lois d’éthique » et le tropisme à vouloir régenter ce qui est de l’ordre de l’intime sont aussi les marqueurs d’une politique macronienne notoirement antidémocratique et de la très grande régression anthropologique qu’annonce cette loi sur la « fin de vie ».
En d’autres temps, en d’autres lieux, l’Allemagne nazie avait aussi établi une classification entre utiles et inutiles ; lancé en 1939, avant la solution finale, le programme d’euthanasie avait pour but de se débarrasser des malades physiques ou psychiatriques, de ce que les eugénistes et leurs partisans considéraient comme « des vies indignes d’être vécues ».
La fin de l’histoire des sociétés qui brisent le tabou de l’euthanasie est déjà connue ; elle a été imaginée par la science-fiction : dans l’Age de Cristal, une société post-apocalyptique vivant dans des villes sous bulles régule la croissance de sa population par le suicide collectif obligatoire à l’âge de trente ans, tandis que dans Soleil Vert (Soylent Green), une société ayant épuisé ses ressources naturelles gère la pénurie de protéines par l’anthropophagie de ses seniors recyclés en tablettes nutritives…
Dans euthanasie, définitivement, il y a nazi !
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