Nagi Gergi Zeïdan l’ami des Juifs au Liban

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Chronique  d’Albert NACCACHE

Photo : Nagi Gergi Zeïdan, l’ami des Juifs

 

Nagi Gergi Zeïdan, qui s’est fait connaître en tant que spécialiste de la communauté juive du Liban, est mort dans la nuit du 12 au 13 novembre 2022 à Beyrouth. Il a été enterré dans son village de Wadi Chahrour. Il n’était pas juif, mais depuis près de trois décennies, il s’était attribué une mission : être le gardien de la mémoire juive libanaise. Il était pourtant issu d’une famille grecque-orthodoxe, proche du Parti syrien national social (PSNS), connu pour ses positions antisémites.

Franco-libanais, il a recueilli une documentation considérable sur la généalogie des familles juives libanaises. Pour la presse internationale, il est l’un des tout premiers spécialistes de l’histoire des Juifs du Liban. Nagi Zeidan, «l’ami des Juifs»

« L’ancien coiffeur, coloriste pour dames, reconverti en chercheur spécialisé sur la communauté juive libanaise, pratiquait le mélange des genres. Au détour d’un e-mail ou d’un post Facebook, il partageait l’actualité de ses travaux. Ici, une synagogue sortie des décombres. Là, un cimetière rénové. À qui voulait l’entendre, il racontait sa passion pour l’histoire juive, livrait son analyse sur la psychologie d’une communauté, partageait son combat pour la réhabilitation des lieux. De ce flux de paroles, il ressortait une passion sans limite pour son objet d’étude. C’est en amoureux fasciné que Nagi Gergi Zeidan poursuivait depuis 1995 ses travaux sur «l’une des plus anciennes communautés du pays… À travers ses recherches, c’était aussi une certaine conception du pluralisme à la libanaise qu’il mettait en avant. Le sexagénaire était fier de la volte-face qu’il avait opérée à travers les décennies. Remettant en question son milieu d’origine et son éducation – propalestinienne et antisioniste –, il était devenu l’un des principaux interlocuteurs pour quiconque s’intéresse de près ou de loin à la communauté juive du Liban. Dans sa jeunesse, il avait méprisé cette communauté, honnie par nombre de Libanais pour ses liens, le plus souvent fantasmés, avec l’État hébreu. Mais en se penchant sur son histoire et en rencontrant ses familles, il dit avoir découvert une autre réalité, aux antipodes des clichés qui circulent au sein de la société libanaise. Au fil des ans, Nagi Zeidan était devenu, de son propre aveu, «l’ami des juifs». [1]

D’Abraham à nos jours

Ce livre est une patiente collecte d’informations historiques sur une communauté libanaise qui a été très importante dans le développement du Liban et qui a malheureusement pratiquement disparu au 21e siècle. Le but de ce livre est de sauvegarder les archives perdues, oubliées et ignorées relatives à leur présence historique au Liban. Le titre du livre fait référence à Abraham, en voici la raison : dans la Genèse au chapitre 14,14 de la Bible, Abraham a sauvé son parent à Dan. Cet endroit se trouvait historiquement dans la province de Marjayoun au Sud du Liban. Dans les Évangiles, on lit que Jésus est passé avec sa mère à Sidon où il y avait un quartier juif avec sa synagogue et son cimetière, ce qui conforte, s’il était nécessaire, l’ancienneté de la présence des Juifs au Liban.

Histoire des Juifs du Liban  

Pour mener ce travail de recherche sur l’histoire de la communauté juive libanaise, Zeïdan a «décortiqué les archives de l’Institut des études palestiniennes à Beyrouth, celles de la bibliothèque nationale de France et a puisé dans les sources historiques». Il révèle qu’en 1799, il n’y avait que cinq Juifs installés à Beyrouth. Tous étaient de la famille Levy. En 1832, leur nombre a atteint les 200. En 1936, il a augmenté à 5.000. Puis le chiffre a chuté de 7.000 en 1967 à 1.800 en 1974 puis à 35 en 2006. «Ils ont quitté progressivement vers Israël, le Brésil, l’Europe ou les États-Unis, mais l’exode s’est accéléré en 1967 après la défaite arabe ». Les Juifs ont déserté leur quartier d’origine de Wadi Abu Jamil, où la communauté avait été établie depuis la fin du 19ème siècle et a déménagé dans des zones chrétiennes à partir de 1975.

Le site Farhi.com

Sa compagne depuis de nombreuses années, Françoise Fahri, explique depuis Bruxelles que de nombreux articles de Nagi ont été publié sur le site «farhi.org» qui est fort bien documenté avec par exemple :

The Jews of Lebanon, by Alain Farhi, Presentation at the 32nd IAJGS International Conference on Jewish Genealogy (15 -18 July 2012) in Paris, July 2012

Les noms de familles juives dans les Etats Civils Libanais par Nagi George Zeidan. (in French), December 2008

Histoire du Cimetière Juif à Beyrouth, par Nagi George Zeidan, Histoire du Cimetière Juif à Beyrouth. (in French), Avril 2008

Histoire de la Synagogue de Bhamdoun, par Nagi George Zeidan. (in French), January 2011

Histoire de la Synagogue Magen Abraham, par Nagi George Zeidan. (in French), September 2014

Cimetière de Saïda pour que les Juifs libanais reposent en paix…

Sous la houlette de Nagi Zeidan, opération nettoyage du cimetière juif de Saïda.
«Honorer les sépultures de la communauté juive de Saïda et laisser les morts reposer dans le respect, tel est l’objectif de l’opération commanditée par un expatrié libanais juif, Isaac Diwan. Les travaux, qui ont été supervisés par Nagi Gergi Zeïdan, chercheur et historien, rédigeant actuellement un ouvrage sur les Juifs du Liban, n’ont pas rencontré d’opposition de la part des autorités locales. «Nous n’avons eu aucun problème, mais nous avons également été très discrets. Cela a été notre façon de travailler», souligne-t-il. Situé à la périphérie de la ville côtière, le cimetière abrite 313 tombes dispersées sur 20.000 mètres carrés. En 1982, lors de l’invasion du Liban, l’armée israélienne a érigé une clôture, construit un portail et asphalté les allées. L’espace est resté fonctionnel jusqu’en février 1985. Depuis, il a vieilli, abandonné au milieu d’une végétation galopante, d’un amas d’ordures, d’une couche de saleté ressemblant à un tapis de mousse d’une épaisseur de 15 centimètres. Selon Zeïdan, la présence des Juifs au Liban-Sud remonterait très loin dans le temps. S’appuyant sur des récits historiques, M. Zeidan affirme que l’antique cimetière était localisé à Aïn el-Héloué et qu’il daterait d’avant 47 de l’ère chrétienne. L’actuel cimetière serait de l’année 922 de l’ère actuelle. Il était situé en bordure de mer. Un terrain acheté le 31 août 1868 par Simha Farhi, fille de Youssef Farhi, et offert au Wakf juif, lui fut rattaché. À Saïda, où des propriétés sont encore au nom des Nigri, des Hadid et des Balanciano, la communauté comptait près de 1.100 personnes en 1956 ; depuis 1985, il ne reste plus personne. La synagogue, construite en 1850, est aujourd’hui squattée et dans un état de délabrement avancé. Depuis plus de deux décennies, elle est occupé par des familles de réfugiés. Sur les murs, le drapeau de l’opposition syrienne et les sourates du Coran ont recouvert les vieilles peintures. Seuls les habitants savent qu’il s’agit du hay al yahoud  (quartier juif). [2]

Cimetière de Beyrouth

L’opération de nettoyage s’est étendue au cimetière de Ras el-Nabeh, à Beyrouth, où 3.707 tombes ont été recensées. Construites en pierre, en marbre ou encore en béton, elles ont été endommagées par les roquettes durant la guerre libanaise de 1975-1990, «mais elles n’ont jamais été profanées», affirme Nagi Gergi Zeidan. Il indique que les inscriptions gravées sur la pierre tombale sont souvent trilingues, en hébreu, français et arabe. Quant aux dates de naissance et de décès, elles sont parfois rapportées selon le calendrier hébraïque. La reproduction de l’étoile de David est présente sur la majorité des tombes. La plus ancienne est datée de 1829 : elle est celle du rabbin Moïse Yedid.

Tripoli

Ses dernières recherches portaient sur la ville de Tripoli, où «la présence de Juifs remonte à 1241, à l’époque les premiers Juifs chassés de la région du Hejaz vinrent s’y installer en faisant construire un quartier ainsi qu’une synagogue et un cimetière», expliquait-il dans un e-mail daté du 13 février 2022, accompagné de photographies de l’ancienne synagogue.

Les derniers Juifs du Liban, une vie dans le culte du secret

Dans la série spéciale «Histoires juives libanaises» publiée en juin 2022, Stéphanie Khouri conclut : «Ceux qui sont restés en dépit de la guerre, du climat ambiant et de la crise ont tout perdu, ou presque, de ce qui faisait la vie d’antan. Avec la disparition des lieux de culte, la communauté juive a perdu ce qui lui permettait d’exister en tant que groupe. Le dernier rabbin a quitté le Liban en 1977. Un pays où être juif, ou même à moitié juif comme dans son cas, doit être condamné au silence. Année après année, la peur de créer des ennuis a pris le pas sur tout le reste. Elle a grandi dans un autre pays, ces dernières années, les portes de la communauté se sont fermées une à une. Les rares personnes qui acceptent encore de s’exprimer le font anonymement, après avoir obtenu toutes les garanties nécessaires. Ils sont morts de peur, dit Zeïdan ».

«Entre deux gorgées de café, depuis son salon avec vue sur les montagnes libanaises, Diana [3] se souvient du bon vieux temps. Née à Beyrouth en 1952, elle a connu la vie à Wadi Abu Jamil, les cours d’hébreu à l’Alliance Israélite Universelle à Beyrouth et les fêtes religieuses avec sa famille dans la synagogue Maghen Abraham, (inaugurée en 1926, réhabilitée en 2014 grâce à des fonds privés, puis à nouveau à la suite des dégâts causés par l’explosion du port de Beyrouth en 2020, mais qui n’est plus en activité).

La vie était alors plus douce, mais elle n’était pas parfaite. Son enfance, elle aussi, est marquée par des anecdotes amères qui reflètent le sentiment anti-juif qui sommeille depuis longtemps dans la société libanaise. Les enfants chrétiens m’ont dit que j’avais crucifié le petit Jésus. Je me demandais ce que j’avais fait pour qu’on me dise cela», se souvient Diana». [4]

 [1] Stéphanie KHOURI, OLJ 19 novembre 2022

[2] Tribune Juive15 septembre 2015

[3] Diana, nom d’emprunt

[4] OLJ / Par Stéphanie KHOURI, le 16 juin 2022

 

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