Mer Rouge : La France va participer à la coalition navale « Prosperity Guardian » lancée par les États-Unis
PAR LAURENT LAGNEAU
Le 18 décembre, soutenus par Téhéran et alliés du Hamas, les rebelles Houthis ont de nouveau revendiqué deux attaques contre des navires commerciaux, à savoir le pétrolier M/V Swan Atlantic et le porte-conteneurs MSC Clara, alors qu’ils naviguaient en mer Rouge. Et de préciser que, cette fois, elles avaient été menées avec des… « hydravions ». Aussi surprenante soit-elle, cette affirmation est vraisemblable dans la mesure où le Corps des gardiens de la révolution iranien dispose de tels aéronefs, en l’occurrence des Bavar-2, c’est à dire des appareils dits à effet de sol [ou Ekranoplan], conçus pour des opérations « asymétriques » et susceptibles d’échapper aux radars.
Aucun détail n’a été donné sur le sort du MSC Clara. En revanche, selon son armateur, le norvégien Inventor Chemical Tankers, le M/V Swan Atlantic aurait été touché par un « objet non identifié », lequel aurait causé des « dégâts limités ». Parti de Sète avec un chargement d’huiles végétales, ce navire doit rejoindre La Réunion. Aussi, l’attaque dont il a été victime rappelle l’importance de la mer Rouge pour les intérêts français.
En effet, deux routes maritimes concernant particulièrement ces derniers passent par le détroit de Bab el-Mandeb. La première est la voie « Méditerranée / océan Indien », laquelle est hautement stratégique pour des raisons de souveraineté puisqu’elle dessert la Réunion. Quant à la seconde, dite « Manche / Méditerranée / océan Indien / mer de Chine méridionale », elle est, selon la Direction générale des relations internationales et de la stratégie [DGRIS] du ministère des Armée, « fondamentale en raison de l’importance du trafic conteneurisé qui se fait avant tout de l’Asie-Pacifique vers la France ».
Aussi, Paris ne pouvait pas rester à l’écart de l’initiative préparée par Washington afin de garantir la sécurité maritime en mer Rouge, que les principaux armateurs [Maersk, Hapag-Lloyd AG et le français CMA-CGM] ont dit vouloir éviter jusqu’à nouvel ordre. D’où la participation annoncée de la Marine nationale à l’opération « Prosperity Guardian », dont les contours ont été précisés par Lloyd Austin, le chef du Pentagone, dans un communiqué diffusé le 18 décembre.
« L’escalade récente des attaques irresponsables des Houthis en provenance du Yémen menace la libre circulation du commerce, met en danger la vie de marins innocents et viole le droit international. Les pays qui cherchent à faire respecter le principe fondamental de la liberté de navigation doivent s’unir pour relever le défi posé par cet acteur non étatique qui lance des missiles balistiques et de drones sur des navires marchands de nombreux pays transitant légalement dans les eaux internationales. Il s’agit d’un défi international qui exige une action collective. C’est pourquoi aujourd’hui j’annonce l’établissement de l’opération Prosperity Guardian », a déclaré le secrétaire américain à la Défense.
Concrètement, cette nouvelle opération sera placée sous l’égide des Forces maritimes combinées [Combined Maritime Forces, CMF], c’est à dire une coalition navale internationale dirigée des États-Unis depuis Bahreïn. Celle-ci fédère cinq forces navales [ou Combined Task Force], dont la CTF-153, à qui il reviendra d’assurer la direction de « Prosperity Guardian ».
Outre les États-Unis et la France, cette coalition réunira le Royaume-Uni, Bahreïn, le Canada, l’Italie, les Pays-Bas, la Norvège, l’Espagne et les Seychelles. Sollicitée, l’Allemagne a visiblement décidé de ne pas s’y impliquer. Comme l’Égypte, qui est pourtant directement concernée en raison des conséquences de la situation en mer Rouge sur le trafic dans le Canal de Suez.
Pour le moment, les détails sur les règles d’engagement ne sont pas connus. Étant donné que personne ne veut prendre le risque de déclencher un conflit plus large avec l’Iran, il est peu probable que des opérations menées directement contre les Houthis au Yémen soient envisagées.
Reste à voir si cette participation française à l’opération Prosperty Guardian fera l’objet d’un débat [sans vote] au Parlement, comme le prévoit l’article 35 de la Constitution.
En effet, ce texte précise que le gouvernement doit informer le Parlement « de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger, au plus tard trois jours après le début de l’intervention » et qu’il doit « préciser les objectifs poursuivis ». Si cette intervention dure plus de quatre mois, alors l’exécutif doit soumettre sa prolongation à l’autorisation du Parlement et peut « demander à l’Assemblée nationale de décider en dernier ressort ».
Par ailleurs, la sécurité maritime en mer Rouge n’est pas seulement affectée par les rebelles yéménites. Quasiment inexistant depuis quelques années, le phénomène de la piraterie dans le golfe d’Aden semble se réveiller, avec plusieurs incidents récemment signalés par la force navale européenne Atalanta.
Ainsi, la semaine passée, pour la première fois depuis 2017, un cargo – le M/V Ruen – a été détourné par des hommes armés inconnus. Selon la société britannique Ambrey, le navire se trouvait à environ neuf miles nautiques au large de Bander Murcaayo dans le Puntland [Somalie], le 17 décembre.
« Lorsqu’il y a de l’instabilité au Puntland, il est évident que les pirates ou les gangs potentiels disposent de plus d’espace pour opérer. Et le Puntland a connu une période d’instabilité en raison d’un conflit électoral. […] En outre, la force de police maritime du Puntland, initialement formée pour lutter contre la piraterie, est devenue au fil des ans un prestataire de services de sécurité générique moins axé sur la piraterie », a expliqué Nicolas Delaunay, directeur de projet pour l’Afrique orientale et australe au sein de l’International Crisis Group, à l’agence Reuters.