Le 3 mai prochain, Mahmoud Abbas rencontrera Donald Trump à Washington.
Le colonel israélien Eran Lerman a écrit un texte d’analyse pour le Centre d’Études stratégiques, Begin-Sadat (BESA Center) afin de situer les enjeux de cette rencontre.
Mahmoud Abbas à Washington : quels sont les enjeux ?
Par le colonel (rés.) Dr Eran Lerman*, pour le Centre BESA Document n ° 455, 27 avril 2017
Résumé analytique
La visite préparatoire à Washington par une délégation palestinienne, dirigée par Saeb Erekat, a souligné l’importance accordée à la prochaine visite au début du mois prochain de Mahmoud Abbas. Les indications selon lesquelles Abbas serait maintenant disposé à envisager une rencontre avec le Premier ministre Netanyahou sous les auspices du Président Trump peuvent surprendre, compte tenu de la position ferme de ce dernier sur des questions importantes pour Israël. Mais cela devrait être examiné dans le contexte de la consolidation plus large des forces pro-occidentales dans la région, qui se sont senties déstabilisées durant les années Obama.
Une opportunité se présente maintenant de forger un cadre de négociation plus réaliste que celui proposé par l’ancien secrétaire d’État John Kerry. Ce dernier a tenté et a échoué, de faire accepter un tel cadre par Abbas en 2014 (lequel n’avait aucune raison d’accepter, ayant la certitude que l’Administration Obama allait faire porter le blâme sur Israël de toute façon).
Il faudrait énoncer à l’avance des idées claires afin de préparer le terrain à des discussions fructueuses.
Ces idées devraient correspondre à la nécessité de mettre en place des mesures de sécurité à long terme :
- La reconnaissance mutuelle (c’est-à-dire faire reconnaître à Abbas qu’Israël est l’incarnation du droit du peuple juif à l’autodétermination, et vice versa) ;
- Un compromis territorial reflétant les réalités sur le terrain ;
- La nécessité pour le Président Trump d’indiquer clairement qu’il est prêt à mettre de côté, temporairement, la question de Jérusalem qui ne peut être résolue pour le moment.
Si, en retour, Abbas obtient de retarder le transfert de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem ainsi qu’une entente concernant des restrictions (pas un gel) de construction, dans les limites des installations déjà existantes, ce serait un prix raisonnable à payer pour mettre fin au verrouillage causé par les termes de référence irréalistes d’Obama (et de Condoleezza Rice) qui ont conduit à l’impasse actuelle.
Compte tenu de la dynamique régionale et globale, ce n’est pas aussi difficile qu’il paraît.
Qu’y aura-t-il sur la table entre Abbas et l’Administration Trump lors des pourparlers préparatoires et lors du sommet ?
Pour commencer, l’aspect le plus important n’a pas besoin d’être énoncé. Il s’agit d’une «réassurance stratégique» : la prise de conscience qu’après des années d’incertitude sous Obama, l’Administration américaine – malgré ses défauts – est de nouveau prête à s’engager sans réserve avec ses alliés dans la région, ceux qui font partie du «camp de la stabilité».
L’abandon de Moubarak par Obama, quel qu’ait été le fond de l’affaire, s’est révélé catastrophique et a causé la perte de tout le courage politique qui pouvait rester à Abbas.
Obama était sympathique à la cause palestinienne, mais ses politiques ont engendré un grave niveau d’incertitude pour les dirigeants à Ramallah, ajoutées à son soutien pour la montée des Frères Musulmans en Égypte et ailleurs. Ce n’était pas un contexte favorable à des prises de décisions fatidiques pour Abbas.
L’équipe de Trump veut s’efforcer de rétablir la confiance et reconstruire ce que l’on appelait au cours des années Reagan le « consensus stratégique », qui comprenait à la fois Israël et les États arabes pro-occidentaux.
Dans ce nouvel environnement, il pourrait être plus sûr pour Abbas de prendre des risques mesurés et de conclure une négociation ouverte avec Netanyahou. L’effort peut encore échouer, ne serait-ce que parce qu’Abbas a pris l’habitude de poser des conditions préalables.
Mais il semble y avoir une meilleure chance de l’attirer (à la table des négociations) s’il se rend compte que ses soutiens traditionnels dans le monde arabe, l’Égypte et l’Arabie Saoudite, peuvent de nouveau compter sur l’appui stratégique des Américains.
Le besoin familier d’Abbas de rester lié à des termes de référence pré-ordonnés, à un processus «fermé», est, dans une certaine mesure, une fonction directe de son sentiment de faiblesse et d’incertitude (c’est aussi un moyen d’éviter les décisions douloureuses qu’implique une véritable paix avec Israël).
Au moins en théorie, il devrait être plus facile maintenant pour Jason Greenblatt et pour la Maison-Blanche de persuader Abbas d’accepter un point d’entrée dans les négociations qui demeure ancré dans le paradigme des deux États, mais qui ne dépende plus du strict respect des lignes du 4 juin 1967.
Ces paramètres pourraient être plus conformes à ce qu’Israël peut accepter et mettre en œuvre. La clarté sur l’accord des États-Unis avec Israël en ce qui concerne une construction d’établissements limitée – pas un «gel», qui n’a amené des deux côtés que des regrets lorsqu’il a été essayé en 2009-2010 – peut encore préparer la voie au réalisme sur la question plus large du compromis territorial.
En ce qui concerne la sécurité, il faut reconnaître les dangers qui découlent de l’augmentation des tensions régionales : les ambitions iraniennes, la virulence d’ISIS, les guerres en Syrie, en Libye, au Yémen et en Irak, et la possibilité réelle d’une tentative de prise de pouvoir par le Hamas dans les régions maintenant sous le contrôle de Ramallah.
Tout cela nécessite des arrangements pour une présence militaire israélienne à long terme dans des endroits vitaux non seulement pour la défense d’Israël et de ses citoyens, mais aussi pour la stabilité et la survie du gouvernement d’Abbas, ainsi que pour la sécurité de la Jordanie. Le niveau d’ouverture d’Abbas sur ces questions sera très révélateur du sérieux de ses intentions.
Lors des discussions des dernières années, la reconnaissance était souvent considérée comme le problème le plus difficile à résoudre. Les réactions presque instinctives côté palestinien : «Vous pouvez vous appelez ce que vous voulez», «Nous ne voulons pas transformer cela en un conflit religieux» – pouvait sembler plausible au premier abord, mais elles reflétaient une interprétation erronée de la nature même du projet sioniste en tant que mouvement national.
Bien que ce ne soit pas une condition préalable et que ce sera éventuellement réglé à la table des négociations, il serait utile pour l’équipe de Trump d’explorer à quel point Abbas peut accepter un langage plus élaboré qu’«État juif» – par exemple, un texte affirmant qu’Israël est l’incarnation du droit du peuple juif à l’autodétermination, alors que le futur État palestinien serait l’incarnation de la sienne.
En fin de compte, il serait plus prudent pour l’Administration Trump de laisser la question de Jérusalem à l’étape suivante.
Il n’y a pas de terrain d’entente là-dessus, et il serait préférable d’en rester là pour le moment. En utilisant la question de l’ambassade comme un leurre, il devrait être possible de persuader Abbas que ses intérêts ne seraient pas servis en essayant de forcer une entente sur la question de Jérusalem à ce stade-ci.
En ce qui concerne la question délicate des subventions que verse l’Autorité Palestinienne aux terroristes et à leurs familles, qui a récemment été révélée (en partie grâce aux organisations et aux groupes de réflexion israéliens), il faut que les deux parties soient conscientes qu’il est peu probable qu’elle soit résolue du jour au lendemain.
L’abîme conceptuel et moral est trop vaste.
Des personnes-clé de l’administration américaine ont déjà exprimé des opinions claires, au cours de leur service antérieur à la Chambre ou au Sénat, à propos de cette pratique, et ont appuyé la législation visant à y mettre fin.
En même temps, au milieu des turbulences causées par la grève de la faim des prisonniers (apparemment organisée par Bargouthi à des fins politiques), il sera impossible pour Abbas d’ignorer cet aspect clé de sa politique.
La meilleure façon de gérer cela serait probablement d’augmenter la pression, d’utiliser cette question pour légitimer les problèmes de sécurité d’Israël, puis de l’exploiter afin d’assurer une position palestinienne plus réaliste sur les termes de référence –de manière à ouvrir la porte à des solutions efficaces et réalisables, plutôt que de la fermer à l’avance.
* Le col. (res.), Dr Eran Lerman est associé principal de recherche au Centre BESA et ancien adjoint à la politique étrangère et aux affaires internationales au Conseil national de sécurité. Il est également membre de la faculté du Collège Shalem.
© Magali Marc (@magalimarc15) pour Dreuz.info.