L’impact du prénom sur la personnalité et… la destinée (le mazal)

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L'IMPACT DU PRENOM SUR LA PERSONNALITE

Service de maternité de Cha’aré Tsédeq, Moché fait les cent pas devant la salle d’accouchement. Ce jeune homme, d’ordinaire si calme, ne parvient pas à contenir son angoisse. Tout y passe : les lèvres, les doigts, les ongles. Le pauvre Moché s’est métamorphosé en véritable rongeur. Ses parents, sa sœur ainsi que sa belle-famille tentent de le rassurer, mais en vain, Moché souffre de stress. Voilà maintenant une demi-heure que Tsipora, son épouse, œuvre à donner naissance à leur premier enfant.

Les heures passent sans que Moché ne parvienne à s’apaiser. Enfin, l’une des sages-femmes passe la porte et demande Moché Mizrahi. « C’est moi ! » s’empresse de répondre le nouveau papa. »Mazal Tov ! Vous êtes papa d’un joli garçon. » Moché s’enquiert immédiatement de la santé de son épouse et est rapidement soulagé : grâce à D’, tout le monde va bien.

L’émotion est à son comble et toute la famille laisse éclater sa joie et les Mazal tov ; embrassades et youyous fusent de toute part. Le lendemain, Tsipora rejoint sa chambre et se remet progressivement des cinq heures d’accouchement, pendant qu’à ses côtés le petit bambin dort profondément. Moché ne manque pas à l’appel, et lui aussi se remet doucement de ses émotions. C’est alors que l’on toque à la porte de la chambre. Saba Yits’haq et savta Yokhéved, les grands-parents de Tsipora, sont venus rendre visite aux nouveaux parents, et bien évidemment au nouveau-né. Après les présentations d’usage et l’exposé détaillé de l’accouchement, saba Yits’haq ose demander aux jeunes parents s’ils ont réfléchi au prénom du bébé. Moché et Tsipora se regardent quelques instants, et Moché répond : « Bien sûr que nous y avons pensé ».

Alors que savta Yokhéved attend le scoop avec impatience, Tsipora poursuit : « Pour ne pas faire de jaloux, chacun de nous a choisi un prénom. Moché a choisi Datan, et moi Aviram ». Il s’agit de deux sombres personnages, dont Moché rabbénou a souffert encore en Egypte, puis également dans le désert… Saba Yits’haq ravale sa salive et savta les regarde d’un air consterné. « Etes-vous sérieux ? » demande saba. « Bien sûr que oui.  Pourquoi, cela vous pose problème ? » Saba, qui n’est pas du genre à mâcher ses mots, leur répond : « Non, pas du tout, mais pourquoi pas ‘Azazel ? » Moché et Tsipora éclatent de rire et rassurent les grands-parents qu’il s’agit bel et bien d’une plaisanterie.

Voilà une charmante petite histoire, qui suscite pourtant bien des interrogations. En effet, quelle est la valeur exacte du prénom ? Faut-il éviter de donner à son enfant certains d’entre eux ? Pourquoi la nomination a-t-elle lieu lors de la Brit mila pour les garçons et lors de la montée à la Tora du père pour les filles ? Peut-on changer de prénom ? Existe-t-il une corrélation entre le prénom et le mazal, le destin ?

Nos Sages nous enseignent (Wayiqra Rabba 36) : « Par le mérite de quatre choses le peuple d’Israël mérita d’être libéré d’Égypte. Malgré l’esclavage, les enfants d’Israël n’ont pas changé leurs prénoms, ils n’ont pas changé leur langue, ils n’étaient pas médisants et ne se sont pas livrés à la débauche ».

Il apparaît clairement que le choix du prénom, et plus précisément le respect de la tradition juive dans ce domaine, fut un élément déterminant dans la délivrance du peuple d’Israël. Il semble donc que nos Sages invitent à proscrire l’utilisation de prénoms non-juifs, qui expriment souvent une volonté d’assimilation au détriment du respect de la Tora.

Pourtant, on constate à travers l’histoire que de nombreuses autorités rabbiniques eurent des prénoms non-juifs, tel rabbi ‘Hiya bar Titus (Talmud de Jérusalem Teroumoth 42b), le tossafiste rabbi Péter (Guittin 8a), le décisionnaire rabbi Vidal, auteur du Maguid Michné, l’un des principaux commentaires sur la Yad ha’hazaqa du Rambam, et bien d’autres. Pourquoi furent-ils nommés ainsi alors que nos Sages semblent s’y opposer ?

On trouvera à cet égard différents avis parmi les décisionnaires.

D’un côté, le Maharam Shiq (célèbre décisionnaire hongrois, 1807-1879) déclare dans ses responsa (Y. D. 169) que la Tora interdit d’utiliser des prénoms non-juifs afin de se distinguer des idolâtres, comme l’exige le texte : « Vous vous distinguerez des peuples ». Il apporte comme preuve une citation de rabbénou Tam (Guittin 34b) qui fustige l’emploi de tels prénoms dans les actes de divorce (bien qu’il faille a priori les faire apparaître). Le rav Rosen, le « Rogatshover », déclare également qu’il est interdit d’utiliser de tels prénoms.

D’un autre côté, l’un des plus grands décisionnaires de notre génération, le rav Moché Feinstein (1895-1986), fait une distinction entre la période qui précède et celle qui suit le don de la Tora. Après le don de la Tora, il est possible d’employer des prénoms non-juifs, car le respect de la Tora suffit à nous distinguer des idolâtres. De nos jours, il est donc permis, d’après lui, d’utiliser de tels prénoms. D’importants décisionnaires partagent l’opinion du rav Moché Feinstein, comme le Maharchadam (Y. D. 189) ou le Maharit. Quoi qu’il en soit, tous les décisionnaires s’accordent sur le fait que l’utilisation de ces prénoms n’est permise qu’a posteriori, et à condition que ce ne soit pas pour renier sa judéité. De plus, même le rav Moché Feinstein admet qu’il est totalement interdit d’utiliser des prénoms d’idoles ou de mécréants, comme il est écrit : « Que le prénom des mécréants soit effacé » (Rachi explique que ce verset nous interdit d’utiliser des prénoms de mécréants comme ‘Essav ou Nimrod).

Il nous faut maintenant en analyser les raisons profondes.

A différents endroits du Talmud (dont Yoma 83b), nos Sages nous font part du comportement de rabbi Meir qui avait l’habitude d’analyser les prénoms et de les interpréter. Une fois, alors que rabbi Meir était en voyage avec rabbi Yossi et rabbi Yehouda, il refusa de confier ses affaires à un aubergiste dont le prénom avait un sens négatif. Le Talmud raconte comment, grâce à son interprétation, rabbi Meir évita de se voir « soulager » de son paquetage par l’individu en question. Le Midrach (Tan’houma Beréchith 30) confirme l’usage de rabbi Meir, en nous apprenant que celui-ci analysait les prénoms de ses contemporains afin de cerner leur personnalité.

Superstition ? Voyance ? Non, simplement rabbi Méïr a appris l’importance des noms, à partir d’un verset des Psaumes (46, 9), « Venez, contemplez les œuvres de l’Eternel, Qui a opéré des ruines (chamoth) sur la terre ! », le mot « chamoth » de ce verset étant lu par rabbi Méïr « chemoth », des noms. Pour ce maître, donc, les noms des gens étaient d’inspiration divine, et il était possible d’y percevoir la nature des gens les portant.

En fait, le prénom, tout comme l’appellation de chaque élément de la Création, n’est pas conventionnel. Il exprime l’essence de cet objet ou de l’individu qu’il désigne. Le fait est que nos Sages (Midrach Tan’houma Haazinou 7) demandent de faire très attention au choix du prénom, car celui-ci peut influencer le caractère de l’enfant en bien ou en mal. Il faut préciser à nouveau qu’il ne s’agit ni de magie, ni de déterminisme. Le prénom décrit les potentialités de l’âme, comme l’expliquent le ‘Hida (Pené David Wayiqra 7) et le Or ha’Haim (Devarim 19,29). Ce sont des outils parmi d’autres dont chacun peut exploiter les potentialités à des fins constructives. Ce n’est donc pas le prénom qui conduit au succès, mais les actions de celui qui le porte. Toutefois, un mauvais prénom peut signifier l’attribution d’outils moins performants.

Ceci dit, si le nom est inspiré par Hachem, où est le libre arbitre ? Les parents ont-ils réellement le pouvoir de choisir un prénom pour leur enfant ?

Le rav Ben Tsion Moutsafi explique dans son Mevasseret Tsion (I, drouch chem haadam) : « Bien que le prénom soit inspiré par Hachem Qui définit l’essence et les caractéristiques spirituelles de l’âme à venir, ce sont les parents qui choisissent son genre (« fine », « vulgaire », « féminine », « masculine », « spirituelle », « matérielle », etc.). Les parents choisissent et orientent donc le niveau spirituel de leur progéniture. Lorsqu’ils choisissent un nom de Tsaddiq, de Juste, ils offrent à leur enfant un potentiel spirituel plus fort et plus élevé ».

La nomination se fait généralement au moment de la circoncision, ou le Chabbath qui suit la naissance lors de la montée à la Tora, car ce sont des instants propices.

Notons que cette mise en garde ne concerne pas uniquement les prénoms d’idoles, de goyim ou de mécréants, mais certains décisionnaires déconseillent également les prénoms de personnes au destin tragique. Ainsi, l’auteur du Yam chel Chelomo (Guitin 4,31) écrit que la coutume est d’éviter d’employer les prénoms de personnes décédées prématurément. Il ajoute qu’il est préférable de nommer un enfant Yechaya plutôt que Yechay’ahou en raison de la fin tragique de celui-ci (le prophète Yechay’ahou fut assassiné par le roi Menaché, son petit-fils). Le Hatham Sofer corrobore ces propos et conseille même de modifier l’orthographe du prénom ‘Aqiva, mort assassiné par les Romains, si l’on souhaite l’utiliser. Rav Moche Feinstein rejette quant à lui ces avis et affirme qu’il n’y a aucun risque à utiliser des prénoms de tsadiqim, même si leur fin fut tragique, mais il précise que l’usage de tels prénoms doit se faire avec le consentement de la mère. Si la mère de l’enfant redoute l’influence néfaste du prénom en question, on se pliera à son avis sans chercher à la persuader du contraire. Les décisionnaires déconseillent également l’emploi de prénoms féminins pour des garçons et inversement.

Maintenant voilà… que faire après coup ? Comment réparer l’erreur de parents fantaisistes qui ont choisi d’affubler leur cher et tendre rejeton du prénom de l’un des pires mécréants de l’histoire humaine comme Nimrod ? Ou encore qui ont choisi de donner libre cours à leur esprit créatif et quelque peu excentrique en l’appelant Périphérique ?

Tout d’abord, pas de panique, rien ne résiste aux bonnes actions et au respect de la Tora dans la joie et la bonne humeur, car Ein mazal le-Israël (« Le peuple d’Israël n’est pas soumis au déterminisme », voir Chabbath 156a).

Toutefois, nos Sages enseignent (Roch hachana 15b) que quatre choses permettent d’annuler un mauvais décret : la charité, la prière, les bonnes actions et le changement de nom. Le changement de nom serait donc une option sérieuse pour améliorer son potentiel. Cependant, le Ari haqadoch, de mémoire bénie, déclare qu’à notre époque, personne n’est capable de changer un prénom et d’annuler les mondes spirituels liés au précédent. C’est pourquoi, on se contentera d’ajouter un prénom, et ce après avoir consulté une autorité rabbinique de renom.

Le livre de Chemoth signifie littéralement le « livre des Noms ». Ce titre fait référence au deuxième mot du premier verset de ce livre qui mentionne le nom des tribus d’Israël. Mais nos Sages (Chemoth Rabba 1,5) nous enseignent que le nom du deuxième livre de la Tora fait également allusion à quelque chose de bien plus profond et en rapport direct avec notre enquête. Les noms des tribus font allusion à la délivrance du peuple d’Israël ainsi qu’à sa gloire, comme l’énonce le Midrach : « Voici les noms des enfants d’Israël. C’est parce qu’ils font allusion à la rédemption que la Tora les mentionne ici. Le nom Reouven fait allusion au verset (Chemoth/Exode 3,7) « J’ai [Hachem] vu (le prénom Reouven prend sa racine du mot rao qui signifie « voir » en hébreu) l’affliction de Mon peuple ». Chim’on, (id. 2,24) « Et D’ entendit (le prénom Chim’on prend sa racine du mot cham’a qui signifie « entendre » en hébreu) leurs gémissements ». Lévi, en souvenir de la compassion de Hachem qui S’est associé (le prénom Lévi signifie qui « accompagne » en hébreu) à la souffrance du peuple d’Israël dans le buisson ardent ainsi que le décrit le verset (Tehilim/Psaumes 81,15) « Je suis en difficulté avec lui ». Yehouda, car ils ont reconnu (le prénom Yehouda prend sa racine du mot hodaa qui signifie « reconnaissance, aveux ou gratitude ») Hachem. Yissakhar, car Hachem leur a réglé (Yissakhar signifie homme de récompense, ich = homme, sakhar = salaire ou récompense) le salaire de leur servage en leur donnant les trésors de l’Égypte ainsi que promis dans le verset (Beréchith/Genèse 15,14) « Et ensuite ils sortiront avec un grand trésor ». Zevouloun, car Hachem  a apporté Sa présence en leur sein (Zevouloun signifie « attachant ») comme il est écrit (Chemoth/Exode 25,8) : « Faites-Moi un sanctuaire et Je demeurerai parmi vous. » » Le Midrach continue sur la même lancée avec les autres noms des chefs de tribu.

Le prénom décrit les caractéristiques de l’âme, ses potentialités, son essence. C’est une impulsion pour construire l’avenir. C’est donc pour cela que le livre qui relate la construction de notre peuple porte ce titre « Les noms », en référence aux noms des tribus d’Israël qui symbolisent notre identité, notre essence, la source de notre délivrance et les racines de notre gloire.

Par rav David E. Avraham

Kountrass numéro 180

2 Commentaires

  1. Que doit faire une femme qui porte un prénom mixte en français mais plus masculin en hébreu (Danielle, Emmanuelle…) et qui n’en a pas d’autre ?
    Merci.

    • Une question à poser à des Grands de la Tora ! Mais précisons que dans les milieux les plus traditionnels l’habitude était de donner aux femmes en particulier des noms en Yiddish, pas en hébreu.
      En tout cas, les rabbanim disent qu’il n’y a pas besoin de changer de nom. Quant à l’accorder a priori, il faut consulter un Grand de la Tora.

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