L’espoir de la Techouva (1)

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L'espoir de la Téchouva (1)

La lassitude humaine est l’un des maux dont l’époque actuelle souffre le plus. L’homme est aux prises avec maints problèmes qui l’accaparent, le troublent, souvent le brisent, et dont il ne parvient pas à se libérer.

Sans doute oublie-t-on le passé mais on ne se remet pas de ses épreuves et le courage et l’espoir viennent parfois à manquer. Nous sommes ainsi témoins de l’affaiblissement progressif de la vitalité humaine.

Teéchouva : espoir de vie

Le roi David s’exprime ainsi dans les Psaumes 23 : « D’ est mon berger et je ne manquerai de rien, […] même si je devais marcher dans le gouffre de la mort, je ne craindrai aucun mal car Tu es avec moi .»

L’homme qui vit à proximité de son Créateur trouve l’apaisement et la confiance. Mais lorsque l’âme est déchirée et le corps rebelle, lorsque l’homme manque de confiance et de foi en sa propre valeur, parce que son monde intérieur est désordonné, parfois chaotique, parce qu’il ne trouve pas l’accomplissement de soi et qu’il se sent incapable de se détacher de ses fautes et de corriger ses travers, comment pourrait-il ouvrir son cœur à la présence divine ?

Il est une Mitswa, parmi les 613 commandements de la Tora, qui interrompt le processus de la dégradation humaine et de la décadence morale en provoquant la régénération spirituelle.

Cette Mitswa apparaît dès le début de la Création.

Lorsque Caïn tua son frère Abel, D’ s’adressa à lui en ces termes (Beréchith/Genèse 4, 7) : « Si tu t’améliores, tu pourras supporter ta faute.» Or il ne s’agissait pas d’une faute quelconque, mais du premier meurtre de l’humanité !

Cette notion d’amélioration morale qui peut effacer une faute aussi grave que celle de Caïn sera plus tard définie dans le texte divin et codifiée ; elle sera appelée la Techouva, qui au sens strict signifie « retour » et que l’on traduit généralement par « repentir ».

Dans le chapitre 30 de Devarim/Deutéronome, il est écrit : «Et ce sera […] lorsque toutes ces choses t’adviendront, la bénédiction ou la malédiction […] et tu retourneras à l’Eternel ton D. […] et l’Eternel ton D’ circoncira ton cœur […]. Car la Mitswa que je t’ordonne aujourd’hui n’est pas hors de ta portée ni éloignée de toi […], car cette chose-là est très proche de toi en ta bouche et en ton cœur, en vue de l’accomplir. » Précisons que selon le Ramban/Na’hmanide, et suivant l’enchaînement du texte, ces versets concernent le commandement de la Techouva, du repentir1 (et nous trouvons ici les trois éléments clefs de la Techouva, résumés dans les termes « en ta bouche, en ton cœur, en vue d’accomplir », éléments que nous évoquerons plus tard).

Un plan préparatoire au monde

En fait, bien que la Techouva soit plusieurs fois mentionnée dans la Tora (sans compter les passages innombrables où elle apparaît dans la Bible, tout au long des textes des Prophètes) et qu’elle fasse partie intégrante de la Loi, cette Mitswa possède un caractère particulier qui lui fait presque dépasser le cadre même de la Tora. Nous pouvons nous en convaincre par les propos de nos Sages (Nedarim 39b) : ne mentionnent-ils pas que sept choses ont précédé la Création, et parmi elles la Tora et la Techouva. Or la Tora, on le sait, se trouve être le plan préparatoire à l’œuvre du monde, comme les Sages le rapportent en maints endroits ; et si la Techouva était déjà présente avant même la Création du monde, c’est qu’au même titre que la Tora, elle revêt elle-même une fonction de prémisses par rapport à l’ensemble du plan divin. Mystérieuse vertu qui nous fait déjà pressentir que la Techouva possède un caractère particulier entre toutes les autres Mitswoth. Avec l’aide de D’, nous tenterons de cerner et d’expliquer sa particularité, tant au niveau individuel qu’au niveau collectif et historique, afin de révéler la dynamique fondamentale que représente la Techouva dans l’histoire du monde.

La double création du monde

Dans l’univers « profane », l’on peut « éduquer » l’homme, dans le meilleur des cas, ; dans le monde juif de la Tora, nous avons vu que nous pouvons « recréer » l’homme, ou plus justement que l’homme peut se recréer lui-même. Lorsque les enfants d’Israël péchèrent dans le désert avec le Veau d’or, Moché intervint en leur faveur et par sa prière réussit à annuler le décret qui prévoyait leur anéantissement immédiat. Et tandis que le peuple avait péché si gravement, Moïse s’éleva spirituellement par sa prière à un point tel que D’ Se révéla à lui, en lui octroyant cet ultime degré de la connaissance humaine du Créateur : les treize attributs de la magnanimité divine, qui révèlent le secret de l’infinie générosité de D’ et permettent de comprendre comment la gestion du monde est toujours, malgré les apparences, dirigée vers le bien. Ce Bien se développe parfois dans l’ombre, avant d’éclater au grand jour. En l’occurrence, ces attributs divins se traduisent au mont Sinaï par le pardon accordé au peuple et entériné par l’ordre de construction du Sanctuaire, catalyseur de la présence divine sur terre. Énoncés dans Chemoth/Exode 36,6, ces attributs sont précédés d’une répétition du Tétragramme, le Nom ineffable de quatre lettres. Or nous savons que la Tora nous appelle à percevoir la présence divine telle qu’elle se révèle à nous à travers les différents Noms de l’Etre suprême (au nombre de sept) ; chacun représente une des voies utilisées par D’ pour diriger le monde, et chacun nous offre en même temps une approche particulière de la divinité.

Parmi tous les Noms, le Tétragramme est le plus fondamental. C’est lui seul qui rend compte du D’ créateur ex-nihilo, et il renferme en fait toutes les particularités des autres Noms, et partant, la compréhension totale du monde créé.

Or si le Tétragramme qui introduit les treize attributs de la longanimité divine est répété deux fois, alors que nous savons bien qu’il n’existe pas de répétition stylistique dans le texte biblique, c’est pour nous enseigner, disent nos Sages, qu’il y a eu une double création du monde : la première, avant que l’homme n’ait péché, et la seconde après la faute2.

La première création est celle du monde authentique, véritablement harmonieux, qui seul mériterait d’exister. Dans cette structure, l’irruption du péché aurait dû entraîner la destruction physique de tout être, selon les lois divines inhérentes à cette création. Mais alors intervient une autre structure, une seconde création, qui, elle, est à même de tolérer le mal, tout en attendant sa disparition, point sur lequel nous reviendrons encore. Les deux Tétragrammes qui servent de préambule aux treize articles de Miséricorde englobent donc ces deux univers.

La Techouva individuelle : « recréation » d’un être

L’homme qui atteint le degré d’un vrai repentir quitte le monde brisé et chaotique pour retrouver le monde authentique : « D’ est mon berger et je ne manquerai de rien, […] même si je devais marcher dans le gouffre de la mort, je ne craindrais aucun mal car Tu es avec moi » (Tehilim/Psaumes 23, v.1 et 4).

Celui qui accède à un repentir véritable au prix d’un intense labeur, sent renaître les sentiments nobles qui lui semblaient éteints ; un élan de vie le secoue, emplissant son être d’un espoir nouveau. Soudain, à la lumière de cette renaissance, il comprend qu’auparavant il ne vivait pas.

Comme l’écrit rav Wolbe, qui est l’un des maîtres à penser du monde de la Tora contemporain, il suffit de vivre véritablement un Yom Kippour pour se convaincre que la Tora est de source divine, même si nous n’avions pas d’autres Mitswoth : l’esprit et le cœur se libèrent, l’homme se sent soudain plus léger, les rapports humains deviennent plus directs et plus faciles, signe de la pureté du cœur. Les sentiments et remords qui nous oppressaient et nous empêchaient de nous tourner vers l’avenir s’estompent. Bien plus encore : les objectifs moraux qui depuis des années nous semblaient hors de portée, malgré tous les efforts, apparaissent soudain proches, et Yom Kippour passé, nous arrivons à les mettre en application. Il ne s’agit pas d’une transformation psychologique de l’individu, celle-ci pourrait tout au plus lui rendre l’optimisme ; dans le cas de la Techouva, nous assistons à un changement objectif de la personne, qui le dépasse et qui constitue une réalité transcendante. Métamorphose possible si le cœur participe véritablement à la ‘Avoda (le service divin) de Yom Kippour. Mais comme nous l’avons indiqué plus haut, ce n’est qu’en vivant véritablement un Yom Kippour qu’on peut ressentir la véracité et la profondeur du bouleversement qui se produit à l’intérieur de soi.

La fonction de la Techouva : un être nouveau

C’est que la faute a pour conséquence d’entamer l’être en sa profondeur .: « La personne sera retranchée. Sa faute est EN ELLE » (Bamidbar/Nombres 15, 31 ). Chaque faute entame la perception des réalités spirituelles du monde. Lorsque l’âme s’écarte de son Créateur, elle aborde désormais les réalités intrinsèques du monde en termes matérialisés. Selon la nature précise de la faute, le cœur s’obstrue, les notions se troublent et s’obscurcissent, et ce bouleversement des valeurs peut être tel que l’homme en vient à les intervertir et à qualifier le Mal de Bien et le Bien de Mal.

Dans ce dernier cas, il est impossible de convaincre l’homme par le raisonnement et la parole, car il devient un être amputé : le cœur et l’âme sont absents, il lui manque les éléments vitaux et le réceptacle pour que le message soit intercepté.

Ce phénomène est en réalité dans l’Etre, aussi tangible que la réalité physique, et de fait le spirituel est le soubassement véritable du monde physique de l’individu.

Lorsque l’homme se repent sincèrement de sa faute, en retrouvant subitement en lui la présence de son âme et du D. vivant, le château de cartes du monde des mensonges s’écroule, et brusquement le cœur se libère, et la pureté et la droiture qui lui sont propres réapparaissent.

Annulation du temps : retour à la dimension du premier Tétragramme

Elle procure à l’homme grâce à la Techouva non seulement le pardon divin qui protège mais également l’annulation du temps passé et le retour à un être nouveau sur lequel l’empreinte même de la faute est désormais effacée. Or si l’on veut bien quitter la superficialité des choses et considérer qu’en profondeur la constante même de l’être était tronquée, déformée, comme se pourrait-il que l’âme retrouve sa vigueur et sa clarté, et que l’empreinte indélébile du passé disparaisse en un instant ? Il s’agit véritablement d’une « recréation » du monde. Nous nous élevons à nouveau à la dimension du premier Tétragramme. Et l’on comprend désormais un peu mieux le fait que la Techouva ait précédé l’œuvre de la Création et se place à un niveau différent des autres Mitswoth: car, à travers les commandements de la Tora, l’homme récolte le fruit de ses actions, selon l’effort qu’il a fourni, à savoir selon la constitution même des réalités du monde spirituel, tandis que la Téchouva touche à la source même de la générosité divine, qui ne connaît pas de limite et abolit les constantes de la réplique divine à la conduite humaine.

Mieux encore, nos Sages nous enseignent que pour celui qui fait Techouva par crainte de D’, ses fautes passées seront considérées comme involontaires et pour celui qui accomplit la Techouva par amour de D’, ses égarements lui seront attribué comme mérites.

Ce dernier point est fort étonnant. Cependant, que l’on ne s’y méprenne pas : celui qui dit « je fauterai puis je ferai Techouva » voit se fermer devant lui la porte du repentir, disent nos Sages.

Toujours est-il que, paradoxalement, c’est parce qu’il a péché que l’homme a l’occasion de faire l’acte de la Techouva et de ressentir la proximité de son Créateur.

La fonction du Mal : stimulateur du Bien

Et là on touche du doigt un des points clefs de la croyance vivifiante du judaïsme, à savoir que la création du Mal, de la faute, n’est qu’un moyen de stimuler le Bien : dans le cas général, c’est en refusant la faute et en reconnaissant par opposition la primauté absolue des valeurs du Bien et le mensonge que représente le Mal, et parfois comme dans le cas de la Techouva, même après que la faute ait été consommée, en la reniant rétroactivement et en en faisant le tremplin d’une élévation spirituelle – et nous reviendrons à ce point plus tard en traitant de la Techouva au niveau collectif.

Les trois étapes de la Techouva

D’autre part, la Techouva nous renseigne sur la nature profonde de l’homme : le terme de Techouva signifie Retour, parce qu’à travers elle l’homme retourne à sa source, et c’est en retournant à sa source, à son état initial et véritable que la faute se trouve annulée : mise en contact avec le fond de l’âme, elle ne trouve plus place à l’existence. Cela implique que la profondeur de l’être humain est entièrement pure et droite. Tous les matins nous exprimons notre reconnaissance envers le Créateur « D’ l’âme que Tu as insufflée en moi est pure… » et ceci est à prendre au pied de la lettre : « pure », dans la conception stricte et absolue du terme, pure sans aucune scorie

Et bien que malheureusement cette pureté ne se traduise pas toujours à l’extérieur, elle est cependant toujours présente en profondeur. Et l’on peut dire de façon imagée que l’homme ressemble en son état naturel à un diamant dont l’éclat ne peut se révéler que lorsqu’on l’aura taillé, séparé des scories qui l’entourent, puis lorsqu’on aura poli ses diverses facettes.

Et cependant pour retrouver en soi l »‘image » de son Créateur, il faut franchir une étape supplémentaire. « Le chemin des hommes rebelles est sombre comme les ténèbres ; ils ne savent pas ce qui les fait trébucher » (Michlé/Proverbes 4, 19).

L’homme sait qu’il trébuche mais sans savoir pourquoi ni comment et, malgré ses remords, il continue à mener une existence décevante (les « non-justes » sont remplis de remords non concrétisés toute leur vie, dit le Talmud).

Mais le Juif ne se complaît pas dans le passé et les regrets stériles. Le commandement de Techouva inclut évidemment le regret de la faute passée : plus ce regret est profond, plus il traduit la pureté de l’âme. Mais ce n’est que la première étape car l’accomplissement de la Mitswa demande encore l’énoncé de la faute devant D’ (Vidouy) par la parole (« en ta bouche et en ton cœur » cf. supra), car la parole – instrument-clé spécifique de l’être humain – constitue l’intermédiaire entre la pensée et l’acte et agit sur les tréfonds de l’âme. L’énoncé oral de la faute est une condition pour son effacement. C’est la deuxième phase.

La troisième étape consiste à s’engager pour l’avenir par la ferme décision de ne plus retomber dans ce péché. Et une fois l’âme purifiée et la faute pardonnée, l’homme repart à zéro ; dans le cas où il lui arriverait de retomber malgré lui dans son ancienne erreur, D’ ne lui en tiendrait compte que comme s’il péchait pour la première fois. Celui qui se décourage de faire Techouva par peur de retomber dans le même péché ressemble à celui qui refuserait de se laver sous prétexte qu’après quelque temps, il serait de nouveau sale3.

Condition préalable à la Techouva : retour à la Tora

Mais si la Téchouva est un processus dynamique, où donc l’homme puise-t-il la force de le mener à bien ?

La prière la plus élevée de l’office juif, la ‘Amida, que l’on dit trois fois par jour, nous place devant les devoirs et besoins principaux de l’homme. La troisième bénédiction traite de la Techouva car celle-ci n’est pas réservée aux êtres éloignés de D’, comme on le croit trop souvent : au contraire, à chaque étape dans la vie de l’homme juif, il existe une Techouva appropriée. « Fais-nous revenir, notre Père, à ta Tora et rapproche-nous, notre Roi, de ton service et ramène-nous à Toi par un repentir total » (Sidour).

La notion dynamique de la Techouva implique donc en premier lieu un retour à la Tora, comme l’exprime cette prière. Car la Tora est une Loi divine et son étude mieux que tout autre acte réveille en l’homme le lien avec son Créateur. Il est impensable pour un Juif d’avoir accès à D’ sans la Tora, ainsi que dit le Zohar : « Celui qui est proche de la Tora est proche de D’. Celui qui est éloigné de celle-d est éloigné de son Créateur.» Et dans le même esprit, le Midrach (sur Yirmiyahou/Jérémie 8) : « Même s’ils m’abandonnent, pourvu qu’ils gardent ma Tora, car la lumière qu’elle renferme, les purifiera et les remettra sur le droit chemin » (cet abandon ne signifie bien entendu pas un rejet voulu de la Divinité, car il serait impossible de concevoir une étude et application de la Tora, mais un éloignement du cœur).

Sans la Tora l’homme est incapable de se détacher de ses défauts, de se débarrasser de ses péchés et de trouver la force de concrétiser ses élans; le courant de la vie quotidienne le ramène sans cesse à son état premier. La volonté et l’aspiration aux valeurs morales sont insuffisantes parce qu’il ne s’agit pas seulement d’éduquer et discipliner sa personne mais de provoquer un bouleversement intérieur qui équivaut à une nouvelle édosion à la vie. C’est ce que les Sages ont enseigné (Qidouchin 30b) au sujet du verset « vous mettrez ces paroles (de la Tora) sur vos cœurs ». D’ S’adresse à nous en disant : « J’ai créé le mauvais penchant, et J’ai créé conjointement la Tora comme remède bienfaisant. » Et le Ram’hal, rav Moché ‘Hayim Luzzato zatsal d’expliquer dans le Messilath Yecharim (« La voie des Justes » chap. 5) que si D’, Qui Seul connaît les tréfonds de l’homme pour l’avoir créé, a donné ce remède contre les forces du Mal, c’est qu’il n’en existe pas d’autre et que sans l’étude de la Tora (qui va de pair avec son accomplissement) il n’est pas quasiment mais véritablement impossible de dominer les forces du mal qui sont en l’homme, et ceux parmi notre peuple qui étaient de si fervents adeptes de l’Humanisme du XIXe siècle, ont eu le triste privilège de se rendre compte au XXe siècle combien ce frêle bouclier était emporté par les passions et les instincts les plus bas et les plus destructifs, sans qu’aucune théorie authentique et exhaustive n’ait vraiment expliqué ce phénomène en profondeur.

En vérité, tous ceux qui ont eu l’expérience d’une étude véritable de la Tora, particulièrement de la Loi orale, ont ressenti qu’il ne s’agit pas d’une simple connaissance mais d’un contact vivifiant qui s’établit entre nous et la matière étudiée et agit comme un courant électrique. L’étude allume en nous un feu intérieur qui ne nous quitte plus, qui nous embrase et nous entraîne irrésistiblement vers la recherche absolue, celle du Bien et de l’Infini, qui est le propre de l’homme en quête de sa Source et de son Créateur.

L’image d’un peuple juif sans Tora

Par contre, sans la Tora, cette quête de l’infini propre à l’homme risque de l’orienter vers des horizons moins glorieux : «Di Zahav», littéralement « trop d’or » (Devarim/Deutéronome 1,1). C’est par cette formule lapidaire que la Tora reproche au peuple juif le péché du Veau d’or ; elle contient entre autres une allusion à l’excès d’aspirations spirituelles chez les Juifs, qui, si elles ne sont pas orientées vers la Tora, trouvent à coup sûr un exutoire dans des valeurs négatives (l’or représente les forces spirituelles, et le « trop » représente le surplus de ces forces lorsqu’elles dévient de leur objectif véritable). Ces aspirations seront alors canalisées dans la poursuite de l’argent, du pouvoir, des plaisirs, ou d’idéaux frelatés (comme au XIXe s. le nationalisme et le socialisme), avec une frénésie qu’on ne rencontre guère chez les autres peuples et qui est justement le reliquat de la quête de l’infini, à laquelle Israël est attachée depuis la révélation de la Tora au mont Sinaï (cette explication du verset a été rapportée par rav Moché Schwab zatsal au nom du Gaon de Vilna).

La Tora : dynamisme de la Techouva

En revanche, celui qui pratique l’étude de la Tora avec un attachement profond et authentique (de Talmid ‘Hakham) est lié à elle par des liens indéfectibles et se sent porté de façon naturelle et presque irrésistible à la Techouva, au point qu’il est dit dans la Guemara (Berakhoth 19a) : «Si tu vois un Talmid ‘Hakham qui a commis une grave faute le soir, n’aie aucune doute, au matin il aura fait Techouva»4.

C’est que la Tora possède en elle une force vitale, qui ramène l’homme et qui le pousse vers le bien ainsi que nos Sages nous l’ont expliqué d’après la formulation même de la bénédiction concernant la Techouva dans la prière de la ‘Amida (cf. supra).

Nous avons donc vu comment l’homme peut s’élever par la Techouva à un monde nouveau, le monde de la darté, de l’âme pure où l’unité divine fait régner la plénitude. Nous comprenons à ce moment que le monde quotidien entamé par le péché ne peut être et n’est pas le monde véritable. Nous quittons le monde du deuxième Tétragramme, pour revenir au monde initial du premier Tétragramme.


Notes

(1) Et bien que d’autres décisionnaires lisent l’énoncement de la Mitswa de Techouva dans d’autres passages de la Tora (comme …Et ils exposeront l’énoncé de leur faute (Bamidbar/Nombres 5, 6-7), ou bien …en ce jour là – de Yom Kippour – vous vous purifierez de toutes vos fautes devant D. Wayiqra/Lev. 16-30), tous s’accordent cependant pour inclure la Mitswa de Techouva dans l’ordre des 613 commandements, en y incluant les trois éléments clés cités plus haut.

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(2) Cf. Talmud Roch haChana 17b : Pah’ad Yitsh’aq sur Yom Kippour (1;1) de rav Y. Hutner, qui explicite entre autres les termes de la Guémara et développe l’idée fondamentale de re-création du monde par la Techouva, point qui a servi de fil conducteur à notre propos.

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(3) Il y aurait lieu de développer ici ces trois composantes de la Techouva : Eloul, les jours de pénitence, et Yom Kippour ; et de rendre compte en détail du développement de la Techouva durant la période de l’année qui lui est réservée. Mais notre propos est plus général et s’attache surtout au principe global de la Téchouva dans la Tora, au niveau individuel et collectif.

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(4) Cf. Cha’aré Techouva (1er chap. alinéa 3) – Rav Hutner zatsal dans Pa’had Yitzh’ak, Yom Kippour chap. 33.

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 Par le rav Moché Kaufmann, Bené Braq

Kountrass Magazine nº 36 – Elloul 5752 / Septembre 1992

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