Par Maurice-Ruben Hayoun
Ou les enseignements d’une débâche évitée de justesse. Il s’en est fallu de très peu pour vivre un drame national de très grande ampleur. Le moment n’est pas encore venu pour les historiens de prendre la parole et de communiquer les résultats de leurs enquêtes, avec la distance requise. D’ici là, on peut opérer un survol contrôlé de ce qui s’est passé. Dans cet éditorial on se contentera d’un examen préliminaire afin de tenter de comprendre ce qui s’est passé effectivement.
Les ennemis d’Israël savent que le sauvetage, la libération des otages juifs est un devoir de la tradition religieuse juive. Ils ont donc exploité à fond ce qu’ils ont perçu comme une faiblesse.
Avec du recul, on put parler de la haine de soi, si chère à Théodore Lessing… Et je n’ose même pas évoquer le cas de ces pilotes de chasse, menaçant de cesser leur entrainement : comment les enfants d’Israël peuvent-ils en arriver là ? Et je relève encore une autre attitude tut aussi incompréhensible : lorsque le gouvernement parlait de l’enrôlement des jeunes religieux, un Grand rabbin a menacé de quitter le pays d’Israël si on l’empêchait d’étudier la Tora sur place… Mais comment est ce possible pour un dignitaire religieux de proférer une telle menace ? Cette attitude montre combien l’opposition entre laïcs et religieux est profonde. Et nous sommes censés être le même peuple. Parfois, je me demande…
Les observateurs israéliens les mieux informés tiennent qu’une grande partie de l’attaque honteuse du 7 octobre ne serait pas déroulée de cette façon sans cet appui, involontaire et inconscient des protestataires, Cela va bien plus loin que ce qui s’est passé effectivement.
Dans ses Mémoires de guerre, le général de Gaulle parle des «ferments de la discorde» qui paralysaient le renouveau de la société française après le Seconde Guerre mondiale. Les oppositions entre les différents secteurs de la société israélienne avaient atteint un point d’ébullition encore jamais vu…On comprend bien que les ennemis de l’Etat juif aient saisi l’opportunité d’agir. L’occasion était trop belle et ne s’offrirait plus une nouvelle fois. Dans cet état d’aveuglement généralisé, on ne peut pas passer sous silence les failles des organes de sécurité et de renseignements. J’ai une pensée émue pour ces jeunes scrutatrices ou observatrices de ce qui se passait à Gaza, dans l’indifférence générale, du côté israélien.
Lors de l’attaque rares sont ceux qui ont saisis lé réelle finalité de cette attaque : non seulement tuer le plus d’hommes, de femmes et d’enfants, mais procéder à une vaste campagne d’enlèvements, de vivants comme de morts. C’est cet aspect de la guerre qui a tardé à s’imposer aux yeux des gouvernants. Ce qui explique l’attitude du gouvernement israélien face à ce phénomène : le marché des esclaves, comme s’il s’agissait d’un cheptel humain. Un pays civilisé, doté de valeurs éthico-religieuses comme l’Etat d’Israël, ne pouvait pas imaginer une telle barbarie où les humains ont à peine plus de valeur qu’un troupeau. Et puis, il y avait les tardives retombées de l’affaire Shalit que les Israéliens ont échangé contre plus de mille personnes dont Sinwar en personne.
C’est ainsi que s’explique l’attitude originellement ambiguë du gouvernement d’Israël : au début, il traînait les pieds, pensant qu’il avait l’éternité devant lui. Donc, le gouvernement ne s’était pas vraiment mobilisé. Pourtant, c’est un devoir religieux que des siècles de malheurs et de calamités avaient validé. Mais lorsque les manifestants se liguèrent puissamment, les responsables politiques comprirent que la lutte en faveur du retour des otages devenait une priorité nationale absolue… Ce changement de perd est nettement perceptible quand on revient sur les événements : c’est la mobilisation des familles des otages qui a bousculé le chef du gouvernement, le contraignant à agir et à se mobiliser, comme il semble le faire aujourd’hui. Je dois reconnaître que la situation n’était pas claire, ce qui illustre la nature intrinsèquement mauvaise de l’ennemi.
Mais il reste un fait que l’on ne comprend pas. Comment l’opinion publique internationale, comment l’ONU , comment la Croix rouge et tant d’autres ONG ne condamnent pas urbi et orbi cette réification d’hommes, de femmes et d’enfants (même des nourrissons), qui ne suscite aucune indignation… Désormais, c’est de bonne guerre. Alors que les geôliers du Hamas refusent de donner une liste des otages, morts ou vivants, de permettre de rencontrer les captifs, aucune voix ne s’élève pour les condamner. Les instances internationales si promptes à se manifester chaque fois que l’Etat juif est en cause, à tort ou à raison, font preuve dans le cas présent, d’une étrange lenteur…
Cette nouvelle confrontation d’Israël et du Hamas ne ressemble à aucune autre, d’abord par sa durée et ensuite par la mobilisation d’acteurs plus lointains ; ce qui veut dire que l’Etat d’Israël se bat sur presque sur six ou sept fronts. Et si cela dure depuis presque un an, bientôt, c’est parce que la question des otages impose un tempo bien particulier. L’armée israélienne sait à peu près où sont les otages mais évite de bombarder sévèrement les sites concernés. De jour comme de nuit, Tsahal cherche le moyen de parvenir à libérer tous les captifs.
Ce n’est pas faire preuve de parti pris que de dire que nous avons affaire à une armée qui respecte des valeurs éthiques face à des terroristes qui exploitent les interdits que l’armée juive s’impose à elle-même.. On sait, et Maimonide l’atteste aussi en son temps, que la libération de captifs juifs, tombés entre les mains des pirates ou de l’ennemi, est un devoir religieux. De même de donner à un défunt juif une sépulture juive digne. D’où la réaction du Hamas qui retient les corps et refuse d’en donner le nombre, ne serait-ce que pour mettre un terme à la douleur de leurs familles. Confronté à une telle situation, le peuple d’Israël se retrouve enfermé dans un terrible dilemme : ou s’auto-renier ou renier ses propres valeurs. Ne l’oublions pas, les droits des Juifs sur ce territoire repose sur la Promesse divine. Cette terre est une terre de Promission : cela peut paraître étrange comme argument de philosophie politique, mais il n’en existe pas d’autre. Près de trois millénaires d’histoire juive s’appuient sur cette réalité.
Ce qui renvoie à des horizons non plus historiques mais métahistoriques. Il en est de même pour la politique qui devient une métapolitique car on s’en réfère à des concepts qui sont des théologoumènes. Ces gens qui se combattent d’une manière aussi impitoyable n’utilisent pas la même langue ; elle ne renvoie pas aux mêmes référents.
En surfant sur la toile, je suis tombé sur deux citations en arabe d’Isma’il Haniyéh : dans la première il prenait son auditoire à témoins pour répéter à trois reprises : jamais nous ne reconnaitrons Israël. Mais voici la plus terrible est à venir. La voici : nous aimons la mort sautant que vous aimez la vie.
Une impression s’impose : la vulnérabilité d’Israël dont la dépendance à l’égard des USA avance à pas de géants. Dès à la mi-avril on a évité la catastrophe grâce à l’armada américaine. Et depuis quelques jours, le pays semble frappé de langueur, dans une douloureuse attente, sous protection américaine.
Mais comme le dit le proverbe biblique tiré du livre des Juges : mé-az yatsa matok. Les dirigeants d’Israël ont desserré l’étau de la tenaille : avant le 7 octobre il y avait la menace du nord et la menace du sud. Sauf erreur de ma part, l’une des deux branches de la tenaille s’est considérablement relâchée, mais toute menace n’est pas encore enterrement éloignée… L’Etat d’Israël doit rétablir sa souveraineté sur tout son territoire.
Maurice-Ruben Hayoun
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