Les manifestations propalestiniennes sur les campus américains font tache d’huile, en France : après Sciences Po Paris puis la Sorbonne, c’est au tour des IEP de Lyon, Rennes, Strasbourg, Menton et Saint-Étienne d’être paralysés par des blocages orchestrés par une poignée de militants. Un mouvement de colère qui plonge ses racines dans la pensée woke anglo-saxonne. Sylvie Perez a travaillé dans la presse écrite (L’Express, Le Nouvel Économiste) et à la radio (France Inter, Europe 1). Elle contribue depuis plusieurs années à l’Incorrect et Causeur. Dans un ouvrage extrêmement fouillé, En finir avec le wokisme – Chronique de la contre-offensive anglo-saxonne (Éditions du Cerf), elle mène l’enquête sur la riposte au wokisme orchestrée par des esprits agiles qui refusent de céder aux pressions. Cet ouvrage tombe à point nommé : il nous éclaire sur ce mouvement woke qui explose à présent en France et donne de bonnes raisons d’être optimistes quant à la pérennité de cette idéologie désormais combattue dans le monde anglo-saxon.
Sabine de Villeroché. Qu’est-ce qui caractérise le mouvement woke ? Quelles sont ses victimes et ses sphères d’action ?
Sylvie Perez. Le wokisme se présente comme une idéologie protectrice des minorités opprimées. C’est pourquoi on parle parfois de « néo-marxisme postmoderne ». Mais là où le marxisme se souciait de l’exploitation du prolétariat, les opprimés du wokisme ne relèvent plus d’une classe sociale mais de catégories ethniques, raciales ou d’orientations sexuelles particulières.
Le wokisme assimile les sociétés occidentales à des régimes oppressifs dans lesquels les minorités sont assujetties. Notre civilisation aurait même prospéré uniquement grâce à ces systèmes de domination, patriarcat, esclavagisme, impérialisme, sexisme. Le génie de Sophocle, Newton, Lavoisier ou Schubert étant considérés comme accessoires…
Le mouvement woke regroupe un faisceau de doctrines – antiracisme, néo-féminisme, décolonialisme et théorie du genre – qui ont pour point commun le fait d’envisager toute relation humaine selon un rapport de pouvoir entre dominants et dominés. L’antiracisme postule que les Noirs sont maltraités par les Blancs. Le néo-féminisme présuppose que les femmes sont opprimées par les hommes. Le décolonialisme affirme que les minorités ethniques sont brimées par les ex-colonisateurs. Le transgenrisme allègue que les transgenres sont marginalisés dans une société qui leur impose une définition biologique et binaire du sexe chez l’humain.
Confondant disparités et inégalités, le mouvement woke actionne des outils (quotas positifs, lois contre les discours de haine, langage inclusif) dont on constate les résultats ineptes. Sans grande surprise, étant entendu que le wokisme est l’avatar d’un égalitarisme anticapitaliste, disqualifié depuis belle lurette.
Au final, le wokisme instrumentalise les minorités et ne sert que ceux qui s’en prévalent.
S. d. V. Faites-vous un lien entre l’emprise tentaculaire de ce mouvement woke dans les pays anglo-saxons et la défense du mouvement palestinien qui se manifeste à Science Po Paris et dans d’autres universités françaises ?
Sylvie Perez. Le mouvement étudiant a commencé sur le campus de l’université Columbia à New York où les activistes ont établi un campement propalestinien. Notons que Columbia est l’université d’Edward Saïd. Celui-ci y a enseigné pendant 40 ans. Edward Saïd est l’auteur de L’Orientalisme – L’Orient créé par l’Occident, texte fondateur des études post-coloniales. Columbia (partenaire de Sciences Po) est le berceau du décolonialisme. En 2004, déjà, le département de langues et cultures moyen-orientales de Columbia faisait parler de lui. Les professeurs étaient accusés de propagande anti-israélienne et d’intimidation envers les étudiants juifs. Au point qu’un documentaire intitulé Columbia Unbecoming avait révélé le scandale. Ce film est disponible sur Internet : le parallélisme avec l’atmosphère actuelle à l’IEP ou la Sorbonne est frappant. Rien de nouveau sous le soleil…
Les étudiants, des deux côtés de l’Atlantique, « contextualisent » les pogroms du 7 octobre, tiennent Israël pour responsable des atrocités perpétrées par le Hamas et, pour certains, se rangent du côté des terroristes. C’est que le wokisme est un récit figé, déconnecté de la réalité. Selon la doxa, l’Occident est coupable. Israël est la figure de l’Occident au Moyen-Orient. Donc Israël est coupable au moment où ses civils sont massacrés, brûlés vifs, amputés. Les étudiants ne montrent aucune compassion pour les otages détenus à Gaza, dont certains ont leur âge. Le Hamas vient de produire la vidéo d’un garçon de 23 ans amputé du bras gauche.
Ces étudiants protestataires, confortablement installés sur de dispendieux campus américains (scolarité annuelle : 60.000 €) ou, pire, confortablement installés à la Sorbonne qui ne leur coûte rien, expriment leur soutien au Hamas. Tandis que les Gazaouis, eux, risquent leur vie s’ils critiquent le régime autoritaire mis en place par le Hamas qui les gouverne depuis 2007 sans jamais organiser d’élections. Des Palestiniens américains et anglais nés à Gaza ont publiquement désapprouvé les manifestations pro-Hamas qui desservent leur peuple. Parmi eux, Ahmed Fouad Alkhatib (@afalkhatib), John Aziz (@aziz0nomics), Hamza Howidi (@HowidyHamza) ou encore Loay Alshareef (@lalshareef). Ils se sont fait bloquer sur X par l’association Columbia Students for Justice in Palestine. Les islamo-gauchistes soutiennent le Hamas, pas la cause palestinienne.
S. d. V. Vous écrivez « les plus précieux alliés du wokisme sont ceux qui regardent passer les trains » et évoquez, dans votre ouvrage, les initiatives anglo-saxonnes, individuelles et collectives, qui montent au créneau pour s’opposer au wokisme et défendre la liberté d’expression. Imaginez-vous la même contre offensive en France?
S. P. La contre-offensive est à l’œuvre en France. Le wokisme nous arrive avec quelques années de retard, nous pouvons donc nous inspirer des outils élaborés dans le monde anglo-saxon pour freiner ce train fou. C’est tout le propos de mon livre.
Il faut d’abord informer. À cet égard, saluons le travail de L’Observatoire des idéologies identitaires, collectif d’universitaires qui s’opposent à la déconstruction des savoirs et l’intrusion du militantisme woke à l’université. Leur colloque de décembre dernier, « Union européenne : pressions identitaires », révélait les montants astronomiques des bourses de recherche allouées par l’UE à des projets fortement idéologisés. Quant à L’Observatoire de la petite sirène, collectif franco-belge de professionnels de l’enfance (médecins, psychologues, enseignants), il est une ressource essentielle sur le sujet du transgenrisme. Il prône une approche de la dysphorie de genre selon le principe primum non nocere (« avant tout, ne pas nuire »).
Le Syndicat de la famille mène une contre-offensive importante au niveau supranational, auprès de l’ONU et de l’UE. C’est à partir de l’échelon international que se diffusent les oukazes woke. C’est ainsi que le « genre » a remplacé le « sexe » dans les documents officiels. L’impulsion a été donnée par les Principes de Jogjakarta sur l’application de la législation internationale des droits humains en matière d’orientation sexuelle et d’identité de genre, texte rédigé en 2006 à l’issue d’une réunion de 29 fonctionnaires internationaux, membres d’ONG LGBT, juristes et experts des droits de l’homme.
Enfin, sur le plan juridique, le Collectif Justicia (Institut Thomas More regroupe des avocats résolus à freiner l’intrusion de la théorie du genre à l’école, à défendre la liberté d’expression et la laïcité. L’association Défense des serviteurs de la République protège la liberté académique et combat le terrorisme intellectuel.
Après avoir identifié le phénomène woke, la France aborde la phase 2 : le combattre. Les irruptions islamo-gauchistes dans les universités sont là pour nous rappeler combien s’opposer au wokisme est nécessaire, sinon vital !