« Encore un complot pour éviter de parler des “gilets jaunes”. » Sur les réseaux sociaux, samedi 12 janvier, des internautes crient à la « manipulation » et au « comme par hasard » alors qu’une explosion de gaz vient de coûter la vie à quatre personnes à Paris. Un accident en plein acte IX des « gilets jaunes », qui ne serait – à les lire – qu’une manœuvre du pouvoir visant à « détourner l’attention ». Comme après l’attentat de Strasbourg, début décembre, certains n’hésitent pas à aller jusqu’à mettre en cause le président de la République lui-même. Et à assortir leur « il n’y a pas de hasard » de propos ouvertement antisémites.
En se servant du mouvement né le 17 novembre pour démultiplier leur influence, les complotistes et antisémites liés à l’extrême droite gagnent en visibilité depuis plusieurs semaines. Et ce qui ne semblait être porté que par un milieu confidentiel caché derrière l’anonymat du Web se répand aujourd’hui dans les rues, à visage découvert. « Le contre-récit a pris de plus en plus de terrain et commence à avoir des effets dans le réel, résume la spécialiste du complotisme Marie Peltier, auteure d’Obsession. Dans les coulisses du récit complotiste (éditions Inculte, 2018). Cette colère contre les institutions démocratiques a évidemment des explications sociales réelles, mais aussi des ressorts idéologiques mis en œuvre depuis plus de quinze ans sur Internet. C’est aussi le résultat de toute une entreprise idéologique. »
De fait, dérapages et fausses nouvelles se sont multipliés depuis le début du mouvement. Comme ce chant de La Quenelle – du nom du geste inventé par le sulfureux polémiste Dieudonné, et devenu symbole antisémite – entonné par quelques « gilets jaunes » sur le parvis du Sacré-Cœur, lors de l’acte VI. Ou cette intox largement répandue en ligne sur des « CRS étrangers embauchés par le gouvernement », relayée face caméra par une manifestante, lors du déplacement du ministre chargé des collectivités territoriales, Sébastien Lecornu, dans les Hautes-Alpes, le 10 janvier. Ou encore ces obsessions complotisto-antisémites autour d’Emmanuel Macron et de la banque Rothschild, s’affichant désormais dans les cortèges. « On le voyait sur le net pendant la campagne présidentielle, mais là, c’est dans la rue, c’est un basculement », observe Marie Peltier, qui invite à « tirer la sonnette d’alarme ».
Source www.lemonde.fr