Le Steipeler était un de ces Tsadikim qui ont auréolé de leur présence notre génération. Sa proximité ne rend pourtant pas plus aisée la tâche de qui doit rendre compte des grandes lignes de sa personnalité et de son existence. Il serait trop facile et trop tentant de ne parler de lui qu’en termes de Roua’h hakodech, de prodiges et miracles. Ce serait éluder ce qui aura été sa vraie grandeur, la plus difficile pour nous à cerner celle d’un Talmid ‘Hakham dont toute l’existence aura été amour pur de la Tora (Tora Lichema).
Rabbi Ya’aqov Israël naquit le 9 Tamouz 5659 (1899) dans la ville de Horon-Steipel en Russie, (de là son surnom le « Steipeler« ). Son père, rav ‘Hayim Perets Kanievsky, était au nombre des ‘Hassidim de Tchernobyl, et mourut alors que son fils n’était âgé que de sept ans. La nourriture était rare dans la famille Kanievsky privée de son chef. Aussi, lorsque les élèves de la Yechiva de Novardok vinrent chercher de nouveaux élèves pour leur institution, sa mère envoya-t-elle rabbi Ya’akov Israël avec eux : » Prenez-le avec vous étudier à la Yechiva. Là-bas, il aura en plus de quoi manger à sa faim « … Il célébra seul à la Yechiva sa Bar-Mitswa : il reçut une paire de Tefilinnes, fit un bref discours, et retourna à ses études. A l’âge de 18 ans, il se vit confier la direction de la Yehiva de Rogatchov. Mais la révolution bolchévique battait son plein, et rabbi Ya’aqov Israël fut recruté de force dans l’Armée Rouge. Il fit une fois une brève allusion à cet épisode de sa vie refusant de travailler Chabbath, il avait été contraint de passer entre une haie de soldats s’acharnant sur lui à coups de crosse. Jamais, confia-t-il, il n’oublierait la joie ressentie en l’honneur du Chabbath. Alors qu’il devait monter une garde de nuit en Sibérie, par un froid mortel, il s’abstint de porter la capote d’uniforme, de crainte qu’il n’y ait du cha’atnez. Il parvint à terminer la nuit, grâce à la force de volonté extraordinaire qui l’a toujours caractérisé. Mais, de ce jour, ses oreilles mises à mal commencèrent à perdre la faculté d’entendre. Il parvint enfin à se faire réformer, et tenta avec d’anciens camarades de maintenir des Yechivoth sous le nouveau régime communiste. Constatant l’échec et le danger d’une telle initiative, il décida alors de passer en Pologne, pour étudier à la Yechiva de Bialystok. Son dévouement dans l’étude de la Tora lui conférait une place déjà particulière : il s’était, au cours des années, imposé un rythme de vie impressionnant, étudiant de longues heures d’affilée puis dormant quelques heures pour un repos minimal. Au témoignage de ses camarades, son lit à la Yechiva restait la plupart du temps inoccupé … Il publia, en 1925, son premier livre, Cha’aré Tevouna. Ce livre fit son chemin jusqu’au ‘Hazon Ich, à Vilna. Il ne connaissait pas l’auteur du livre, mais la lecture de l’ouvrage lui suffit pour décider que c’était là le mari qu’il fallait pour sa sœur Myriam …
Le mariage fut effectivement célébré, et rabbi Ya’akov Israël commença à enseigner à la Yechiva de Novardok, à Pinsk. Un tournant décisif se produisit dans sa vie en 1934 poussé par le ‘Hazon Ich, il partit s’installer en Erets Israël, dans ce qui était alors la petite bourgade de Bené Brak. Il y dirigea tout d’abord la Yechiva de Novardok, puis assista son beau-frère dans la direction du « Kollel ‘Hazon Ich« . Il continua dans cette fonction après la mort du ‘Hazon Ich, assumant la charge des cours magistraux. Dans ses dernières années, il se contentait de prononcer un chi’our pour le Yahrtzeit de son beau-frère. Cette charge officielle, pour importante qu’elle fût, serait loin de rendre compte de la place occupée par le Steipeler. Sa chambre ne désemplissait pas, et s’y succédaient élèves de Yechivoth et directeurs d’institutions, tout comme commerçants, artisans, médecins, industriels, mères de famille, achkenazes comme sefarades, etc … Tous cherchaient à la foi le père, le maître, le conseiller, le Tsadik de la génération …
Durant de longues années, le Steipeler reçut, à la synagogue Lederman de Bné Braq, l’honneur d’être le « ‘Hatan Tora« , à qui revient d’inaugurer le nouveau cycle annuel de la lecture de la Tora. Il offrait donc un Qidouch chez lui après l’office, où tout le public se pressait. Sitôt la fête terminée, il ôtait sa « capote« , prenait un tablier, et se chargeait de la vaisselle comme du nettoyage de la maison. Ceci, jusque dans ses dernières années. Il justifiait cette conduite en disant : » Ce n’est pas parce que j’ai une Sim’ha (réjouissance), que ma famille doit en faire les frais ! » Puis, pour compenser le temps perdu, il passait le reste de la nuit à étudier.
On cherchait un parti pour l’une de ses petites-filles. Il recommanda à la personne chargée de l’affaire de veiller à trois choses principales, dans le choix du futur époux : droiture d’esprit, Hatmada (dévouement à l’étude), et bon caractère.
Extrait de Kountrass Magazine nº 6 – Elloul 5747 / Septembre 1987