Attaquer le régime Assad pendant que la guerre faisait rage au Liban et que le Hezbollah était confronté à Israël aurait pu laisser penser que les islamistes qui ont porté l’assaut jusqu’à Damas faisaient le jeu d’Israël, ce qui, en termes islamiques, aurait été perçu négativement dans le monde musulman. Le faire après qu’un cessez-le-feu ait été déclaré, quand bien même le cessez-le-feu n’existe pas vraiment, rend l’attaque islamiquement acceptable. Et sans le vouloir, en imposant le cessez-le-feu à Israël (par des chantages et des pressions intenses), l’administration Biden a offert un feu vert à l’offensive sur Damas.L’attaque a été menée essentiellement par Hayat Tahrir al-Sham – notre photo (organisation de libération du Levant), un groupe composé d’anciens membres d’al-Qaida et autrefois proche de l’État islamique, mais qui a pris ses distances avec ceux-ci. Hayat Tahrir al-Sham gérait la province d’Idlib au nord-ouest de la Syrie, et la gérait d’une manière relativement modérée : les Chrétiens y sont tolérés et pas persécutés et il en va de même pour les autres minorités présentes, les femmes peuvent étudier, travailler, conduire des voitures. C’est loin d’être parfait, mais ce n’est pas le régime taliban et ce n’est pas ce qu’a été l’Etat Islamique. Abou Mohammed al-Joulani (nom civil, Ahmed Hussein al-Shara), le chef du mouvement, a déclaré être hostile au « djihad global », et donc au recours au terrorisme au sein du monde occidental. Il a tiré les leçons de ce qui a conduit l’État Islamique, le Hezbollah et le Hamas vers la destruction. Il a l’appui de la Turquie de Recep Tayyip Erdogan, quand bien même celui-ci soutient surtout al-Jayš al-Watanī as-Sūrī (l’armée nationale syrienne), un autre groupe islamique, et l’armée nationale syrienne peut s’entendre avec Hayat Tahrir al-Sham. Al-Jayš al-Watanī as-Sūrī a surtout pour objectif, fixé par Erdogan, d’empêcher que les Kurdes, qui ont constitué Hêzên Sûriya Demokratîk (Forces Démocratiques syriennes) et qui tiennent plus de vingt pour cent du territoire de Syrie, dans le Nord-est du pays se renforcent et s’étendent.
L’attaque menée par Hayat Tahrir al-Sham a progressé rapidement de Alep à Damas en onze jours, sans que ce soit surprenant.
La Russie, l’Iran et le Hezbollah n’avaient plus les capacités de défendre le régime Assad, qui ne pouvait plus compter que sur l’armée syrienne, très faible et sans motivation, qui s’est dissipée sitôt l’attaque est venue et a volé au secours de la victoire de ceux qui ont pris le pouvoir.
La Russie est en train d’évacuer ses deux bases en Syrie, Lattaquié et Tartous, et ses bases en Méditerranée risquent de disparaître. Poutine tente de constituer une base de repli dans l’Est de la Libye, à Tobrouk, sur le territoire contrôlé par son allié, le maréchal Haftar, qui tient les trois-quarts du territoire libyen.
L’Iran a quitté la Syrie, précipitamment, par avion et par la route : les Gardiens de la Révolution sont partis au Liban.
Un pouvoir à Damas passant aux mains d’Hayat Tahrir al-Sham et d’al-Jayš al-Watanī as-Sūrī placerait le pays sous un régime islamique sunnite. Les zones du pays sous contrôle kurde resteraient et resteront sous contrôle kurde. Les minorités chrétiennes (elles représentent désormais une très faible partie de la population, un peu moins de trois pour cent) ne seraient pas menacées. Des tensions pourraient prendre forme avec la minorité alaouite, à laquelle appartient la famille Assad, et si les Alaouites se soulèvent, ils seront sans doute sévèrement réprimés : ils représentent un peu plus de dix pour cent de la population du pays. Tous les Syriens qui ont travaillé pour l’appareil répressif du régime Assad pourraient faire l’objet d’exécutions sommaires : le régime Assad a été d’une brutalité totale et barbare vis-à-vis de la population sunnite, qui représente 74 pour cent de la population. Un minimum de 600.000 musulmans sunnites ont été tués par la dictature de Bachar al-Assad au cours de la guerre civile, et huit millions de Sunnites ont dû se réfugier pour survivre en Turquie, en Jordanie et au Liban. Des retours sont en train de s’enclencher.
Hayat Tahrir al-Sham et al-Jayš al-Watanī as-Sūrī disent vouloir installer un régime modéré, et n’affichent pas d’intentions belliqueuses vis-à-vis d’Israël, mais les dirigeants israéliens ont raison d’être prudents. Le résultat, cela dit, semble plutôt positif pour Israël : le Hezbollah ne peut plus agir en Syrie, l’Iran ne peut plus y placer de gardiens de la révolution. Le Hamas, le Hezbollah et l’Iran sont en très mauvaise posture.
La Syrie qui va prendre forme doit être surveillée de près. Elle ne sera alliée ni du monde occidental ni d’Israël. L’influence de la Turquie fait qu’elle pourrait avoir des positions hostiles à Israël, sans que cette hostilité se traduise dans les actes : la Turquie sait ce que sont les limites à ne pas franchir si elle veut rester membre de l’OTAN, et elle veut rester membre de l’OTAN (et il vaut mieux pour le monde occidental qu’elle soit dans l’OTAN qu’à l’extérieur, car cela limite ses dérives islamiques). Le nouveau régime syrien étant sous le regard de la Turquie n’aura pas de dérive djihadiste.
Par prudence, Netanyahou a fait bombarder les stocks d’armes chimiques du régime Assad et pris position à Kuneitra et sur le mont Hermon, à la limite du plateau du Golan, dans la zone tampon établie en 1974, suite à l’accord de désengagement passé avec le régime Assad désormais défunt.
Les activités de l’Iran doivent aussi être surveillées de près : ébranlé comme il l’est, le régime des mollahs pourrait tenter d’accélérer son avancée vers l’arme atomique. Il est, cela dit, improbable qu’il y parvienne avant l’arrivée au pouvoir de Donald Trump dans moins de six semaines, et dès que Donald Trump sera au pouvoir, Israël aura les mains libres pour détruire les sites nucléaires iraniens si cela semble nécessaire.
Je pense que ce ne sera pas nécessaire : Donald Trump veut asphyxier le régime des mollahs, ce qui pourrait lui porter le coup de grâce, et ce qui pourrait porter le coup de grâce aussi au Hezbollah, ce qui libérerait le Liban. Le coup de grâce concernerait aussi le Hamas et les milices Houthi.
L’administration Trump veut aussi approfondir et élargir les accords d’Abraham, et y inclure l’Arabie Saoudite : celle-ci avait été agressée par l’administration Biden et s’était rapprochée de l’Iran et de la Chine, mais les conditions sous Trump vont être très différentes.
Si les accords d’Abraham s’approfondissent et s’élargissent, le monde sunnite va se rapprocher davantage d’Israël, et on peut s’attendre que le nouveau régime sunnite syrien ne veuille pas nécessairement rester à l’écart. Les accords d’Abraham incluaient une perspective de résolution de la question palestinienne, qui passait par la disparition du Hamas, par l’exigence présentée à l’Autorité Palestinienne demandant qu’elle se soumette en renonçant au terrorisme ou qu’elle se démette et cesse d’exister, et elle prévoyait la création de zones arabes autonomes sous contrôle israélien.
Nul ne peut savoir encore de quoi l’avenir sera fait, mais il n’y a pas de raison conduisant à être pessimiste.
La fin du régime Assad, l’affaiblissement de l’Iran, l’effondrement de la Syrie, l’émergence de régimes modérés sunnites, en particulier en Syrie et en Iran, ouvrent la voie à des lendemains qui chantent.
© Guy Millière pour Dreuz.info