L’administration Biden change de cap… et charge Netanyahou

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Guerre à Gaza: l’administration Biden change de cap… et charge Netanyahou

Par Marc Semo

EDITORIAL – Joe Biden a estimé mardi qu’il « fallait un cessez-le-feu » à Gaza, et ce avant le début du ramadan ce dimanche. Une déclaration faite quelques jours après celle de sa vice-présidente Kamala Harris. En toile de fond, l’administration Biden ressert la pression autour de l’Etat d’Israël, et tente de projeter le conflit avec le Hamas dans l’ère post-Netanyahou. Un sujet majeur quelques mois avant la présidentielle américaine.

C’est un signal. Depuis le début de l’offensive de Tsahal à Gaza en réponse aux massacres du Hamas, jamais un haut responsable américain n’avait eu des propos aussi fermes à l’encontre des autorités israéliennes. « Etant donné l’ampleur des souffrances à Gaza, il doit y avoir un cessez-le-feu immédiat, au moins pour les six prochaines semaines », a martelé sous les applaudissements la vice-présidente américaine Kamala Harris, le 3 mars dernier, soulignant que « le gouvernement israélien doit faire davantage pour augmenter de manière significative le flux d’aide. Il n’y a pas d’excuses. »

Elle s’exprimait depuis Selma en Alabama, haut lieu de la lutte pour les droits civiques, de quoi donner encore plus de relief à ce discours qui dénonçait les crimes du Hamas mais mettait aussi Israël face à ses responsabilités. « Son ton, plus vif et plus pressant que celui du président Joe Biden ces derniers jours, témoigne de la frustration grandissante de la Maison Blanche à l’égard d’Israël », analyse le New York Times dans un éditorial. Les impératifs de politique intérieure de cette position d’une vice-présidente, restée quasi invisible depuis bientôt quatre ans, sont évidents. Mais ses propos n’en témoignent pas moins d’une évolution de l’administration Biden sur ce dossier.

Le spectre de l’abstention

Le plus souvent, les thèmes de politique étrangère sont absents, ou à tout du moins marginaux, lors des campagnes électorales américaines, à commencer par celles des primaires. Mais cette fois, la guerre à Gaza s’est invitée dans les débats au sein du parti démocrate toujours plus écartelé. D’un côté, un électorat plutôt centriste qui se reconnaît dans la ligne traditionnelle de soutien à Israël dont Joe Biden est l’incarnation. De l’autre, une frange beaucoup plus jeune où sont aussi massivement présentes les minorités qui s‘émeuvent du sort des Gazaouis et critique toujours plus ouvertement la solidarité sans faille du président démocrate vis-à-vis de l’État hébreu. En 2020, leur mobilisation avait été essentielle pour la victoire. Leur vote sera à nouveau crucial lors de la présidentielle de novembre, notamment dans un certain nombre de « swing states », ces États qui, de scrutin en scrutin, basculent côté républicain ou démocrate et dont les grands électeurs sont déterminants pour le résultat final. Ce d’autant plus que, selon les sondages nationaux, Donald Trump devance largement son rival démocrate.

« Ma plus grande peur, c’est qu’on ne souvienne plus de Joe Biden comme de celui ayant sauvé la démocratie américaine en 2020 mais plutôt comme le président qui l’a sacrifiée pour Benyamin Netanyahou en 2024 », écrit Abdullah Hammoud, maire de la ville de Dearborn dans une tribune pour le New York Times. Remporté par Trump en 2016 puis par Biden en 2020, avec à chaque fois à peine une dizaine de milliers de voix d’avance, le Michigan est l’un de ses Etats clefs où vivent quelque 300 000 américains arabo-musulmans. Mais un nombre croissant d’entre eux semble tenté cette fois par l’abstention. Beaucoup ne sont d’ailleurs pas allés voter lors de la primaire démocrate de fin février. On peut certes imaginer que le péril d’une victoire de Trump, qu’espère notamment Benyamin Netanyahou, les remobilise finalement. Mais l’avertissement est pris très au sérieux dans l’équipe Biden. D’où ce ton nouveau et le rôle croissant donné à la vice-présidente.

Femme issue de la diversité et brillante juriste, Kamala Harris avait incarné en 2020 un vrai ticket gagnant. Mais le rôle de vice-président est très ingrat et elle a d’autant moins réussi à s’y révéler qu’elle fut chargée du dossier pour le moins difficile de l’immigration. Il s’agit désormais de le lui redonner de la crédibilité, notamment sur le terrain international, d’autant qu’elle pourrait bien être la première présidente femme de l’histoire américaine si Biden ne peut aller jusqu’au bout de son mandat en raison de son âge et de son état de santé. Elle fut envoyée mi-février à la grande conférence annuelle pour la sécurité de Munich. C’est elle aussi qui a reçu à Washington le 4 mars Benny Gantz, membre du cabinet de guerre israélien, ancien ministre de la Défense et grand rival de Benyamin Netanyahou pour lui faire part de sa « profonde inquiétude » face à la crise humanitaire à Gaza.

L’impatience américaine

Le dossier du Moyen-Orient est crucial pour l’administration Biden. Certes, le soutien à l’État hébreu et à son droit à se défendre face au Hamas n’est pas remis en cause, sinon dans des franges marginales du parti. Une partie croissante de l’électorat démocrate n’en déplore pas moins la trop grande faiblesse montrée par Joe Biden. Ses appels répétés à épargner la population civile et à augmenter les passages d’aides humanitaires pour les Gazaouis au bord de la famine ne sont guère suivis d’effets. Les Etats-Unis se sont résignés à effectuer depuis une semaine des largages aériens comme la France ou la Jordanie. Mais c’est un moyen très aléatoire dont les résultats sont loin d’être à la hauteur des besoins d’une population affamée qui manque de tout. D’autant que la Maison Blanche dispose de nombreux moyens de pression sur Jérusalem, en premier lieu les livraisons d’armes et de munitions essentielles pour la poursuite de l’opération. Un pas qu’elle n’a pas voulu franchir.

Joe Biden ne cache néanmoins plus son exaspération. L’invitation faite à Benny Gantz de venir à Washington, où Netanyahou n’est plus convié, a valeur de symbole. Le Premier ministre israélien n’a d’ailleurs guère apprécié l’initiative et a interdit au ministre des Affaires étrangères Israël Katz de se joindre au voyage. Ce qui n’a pas empêché l’ancien chef d’État-major d’être reçu comme un quasi-chef de gouvernement aussi bien par Kamala Harris que par le patron de la diplomatie Antony Blinken et le conseiller à la sécurité Jake Sullivan.

A l’ordre du jour il y avait bien sûr les négociations pour une trêve d’au moins six semaines pendant la période du Ramadan, qui commence ce dimanche 10 mars, avec la libération de 42 des 130 otages toujours aux mains du Hamas. Un tiers d’entre eux seraient morts et aucune autorité indépendante n’a eu accès aux otages. Aucune liste n’a été donnée par le Hamas non plus. En échange seraient libérés quelque 400 prisonniers palestiniens en Israël.

L’après 7-Octobre, ou l’après Netanyahou

Benyamin Netanyahou assure qu’après la trêve l’opération reprendra, notamment pour prendre la dernière ville de l’enclave encore sous le contrôle du Hamas et à la frontière de l’Egypte où s’entassent des centaines de milliers de déplacés internes. Israël croit par ailleurs encore pouvoir infliger suffisamment de dégâts aux infrastructures du Hamas pour garantir sa sécurité, au moins pour quelques années. Pour le Hamas en revanche, le seul fait de n’avoir pas été anéanti est déjà en soi une victoire. C’est la logique de toutes les guerres asymétriques.

Les gouvernements israéliens successifs, à commencer par ceux de Netanyahou, « ont montré leur préférence pour une mauvaise sécurité permanente plutôt que pour une paix définitive », relève l’historien militaire Michel Goya dans son nouveau livre L’embrasement – Comprendre les enjeux de la guerre Israël-Hamas (aux éditions Robert Laffont/Perrin).

Quant à la vraie priorité de l’administration Biden, cela reste le jour d’après: que sera Gaza une fois que les combats se seront arrêtés et pour quelle solution à long terme impliquant les pays arabes limitrophes et en premier lieu l’Arabie saoudite. Cela implique le départ de Netanyahou du pouvoir. Grand favori en cas de nouvelles élections, Benny Gantz est l’interlocuteur incontournable de tous ceux qui aspirent à la création d’un Etat palestinien au côté d’Israël. C’est ce que veut aussi rappeler Joe Biden.

JForum.fr avec  www.challenges.fr
Des manifestants en soutien à Gaza réunis devant la Maison Blanche, le 4 mars 2024, en marge d’une rencontre entre le principal opposant à Netanyahou, Benny Gantz, et la vice-présidente Kamala Harris. SUSAN WALSH/AP/SIPA

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