La stratégie de Yahya Sinwar pour survivre

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Yahya Sinwar, le chef du Hamas à Gaza, a une stratégie pour s’en sortir et la voici :

Le chef du Hamas à Gaza, Yahya Sinwar, aurait une stratégie pour s’en sortir, qualifiée de jusqu’au-boutiste et suscitant bon nombre de désaccords au sein du Hamas.

Atlantico : Selon le média Gaza Report, le chef du Hamas à Gaza, Yahya Sinwar, aurait une stratégie pour s’en sortir, qui viserait à prolonger les combats en surface pour fragmenter l’opinion publique israélienne, et ainsi forcer Tsahal à quitter Gaza.
Qu’en est-il réellement ? 

David Khalfa : C’est la stratégie de Sinwar depuis le départ. D’ailleurs, il y a des tensions au sein du Hamas entre Sinwar et la branche politique extérieure. Tensions qui ne sont pas nouvelles. Certains au sein du Hamas estiment que la stratégie de Sinwar est suicidaire, que son jusqu’au boutisme peut déboucher sur une impasse stratégique et peut mettre en péril l’existence même du Hamas sur le plan politico-militaire à Gaza. D’autant que le pari de Sinwar, c’était que les massacres du 7 octobre provoqueraient une onde de choc telle que l’Iran et le Hezbollah rentreraient dans la danse de manière massive, ce qui n’a pas été le cas. Yahya Sinwar a commis une erreur de calcul. Elle lui est reprochée par Ismaël Haniyeh qui est le chef de la branche politique extérieure du Hamas.

La stratégie de Sinwar, c’est une stratégie de guerre d’usure. C’est une erreur. Quand on regarde à la fois les derniers sondages, l’état de l’opinion publique israélienne et les déclarations de ses dirigeants (quelle que soit leur couleur politique), il y a une détermination très grande de l’opinion publique israélienne. Elle veut mener cette guerre jusqu’à son terme, c’est-à-dire la destruction du politique et militaire du Hamas, ainsi que la libération des otages. La question qui se posera, c’est surtout le niveau de soutien de la communauté internationale, notamment les Américains qui vont rentrer en période électorale. Jusqu’à présent, ce soutien est clair, net et précis. Mais les Américains attendent d’Israël qu’ils basculent dans une troisième phase de guerre qui serait plus ciblée, avec moins de manœuvres de très grande envergure et plus d’opérations de ratissages et de nettoyages des poches de terroristes du Hamas et du Jihad islamique, notamment dans le Sud de la bande de Gaza.

NDLR Ce que l’opinion publique n’a toujours pas compris, c’est la double détermination d’Israël à éradiquer la structure militaire du Hamas. La première provient du massacre du 7 octobre 2023. La seconde provient de la mort des soldats israéliens durant cette guerre qui doit militairement, politiquement et moralement aboutir à la destruction du Hamas. Si pour le 7 octobre 2023 Israël a été surprise non par le Hamas, mais par Sinwar qui a pris l’initiative de cette guerre, pour ce qui est des soldats morts au combat, Israël doit une victoire nette et totale, en leur mémoire, afin que ces soldats ne soient pas morts en vain. Faute de quoi cette trahison serait à jamais impardonnable.

Comment l’armée israélienne arrive-t-elle à localiser et tuer le numéro 2 du Hamas au Liban et pas le numéro 1 du Hamas à Gaza (Yahya Sinwar) ?

La différence, c’est que Saleh al-Arouri estimait qu’il était protégé par le Hezbollah. Ce qui était le cas d’ailleurs. Il résidait dans le quartier le plus protégé dans la banlieue sud de Beyrouth. Il a pensé qu’Israël n’oserait pas s’en prendre à lui puisque l’éliminer reviendrait à prendre le risque d’une déflagration généralisée d’un conflit régional. Sauf qu’Israël avant le 7 octobre et Israël après le 7 octobre, ce n’est plus du tout le même pays. Il est profondément traumatisé. L’onde de choc des massacres continue à se diffuser au sein de la société israélienne, notamment parce qu’un certain nombre de corps n’ont toujours pas été identifiés et parce que la description de ces massacres, notamment des crimes sexuels, ont été révélés assez récemment dans les médias. C’est le cas par exemple dans une récente enquête du New York Times très fouillée là-dessus. Tout ceci contribue à prolonger l’effet de choc. D’un point de vue opérationnel, Arouri vivait dans un appartement alors que Sinwar vit enterré.

Yahya Sinwar vit dans les tunnels creusés sous Gaza. Il aurait rassemblé autour de lui les otages israéliens et les brigades martyrs d’Al-Qassam pour exploser les soldats israéliens qui pénétreraient le tunnel, où il se trouve, pour venir le chercher. Est-ce le cas ?

C’est probable. Mais on ne parle pas du tout du même type d’opération. Vous avez d’un côté ce qu’on appelle une « special ops » dans le langage militaire qui est une opération chirurgicale, un assassinat ciblé. Elle implique un haut degré de coordination entre le service de renseignement extérieur et le service de renseignement militaire, probablement avec une source humaine. C’est une chose de cibler un haut dirigeant qui est dans un appartement et qu’on peut identifier par des renseignements croisés, c’est autre chose de mettre la main sur le chef d’orchestre des massacres du 7 octobre. Sinwar se terre dans les tunnels, probablement dans un bunker enterré à plusieurs centaines de mètres sous le sol de Gaza. Il communique de façon extrêmement rudimentaire avec son entourage. Pour recueillir du renseignement, c’est beaucoup plus compliqué parce que c’est d’abord plus risqué. Vous avez probablement des otages qui l’entourent. Il sera sans doute neutralisé ou éliminé lorsque l’opération militaire israélienne sera menée à son terme. Or là, on sait que dans le cas de la deuxième phase, les Israéliens n’ont pas terminé la conquête de la ville de Gaza elle-même. Il reste encore les quartiers orientaux de la ville (la partie Est de la ville), deux quartiers de la partie est de Gaza City, de la ville de Gaza. Ça prend beaucoup de temps. Les combats urbains sont très longs. La progression de l’armée israélienne est plus lente.

On dit qu’entre Sinwar et les autres responsables politiques du Hamas, la confiance serait rompue. Le renseignement peut-il venir par-là ? Peut-il être trahi ?

Oui, bien sûr. Il peut être trahi aussi par des opposants internes au Hamas. On sait qu’il y a une vraie opposition de vision stratégique de ce que devra va être le mouvement islamiste après la guerre de Gaza. La branche politique extérieure (Arouri et Haniyeh) négociait une intégration du Hamas à l’OLP sur le modèle du Hezbollah, c’est-à-dire un Hamas qui gouvernerait dans le cadre d’une coalition sous la houlette de l’OLP. Il maintiendrait cependant sa capacité de décision autonome, notamment sur le plan de la lutte armée. Comme une espèce d’État dans l’État, sur le modèle de Hezbollah. Ce qui n’est pas du tout étonnant puisqu’ il y a un rapprochement ces dernières années entre le Hezbollah, le Hamas et l’Iran. Il y a un resserrement des liens tactiques et stratégiques.

La ligne de Sinwar est différente. Il est beaucoup plus « jusqu’au-boutiste ». Lui considère que le Hamas peut sacrifier une grande partie des populations civiles (ce qu’il fait déjà). Il y a au moins un tiers des combattants du Hamas qui ont été tués ou blessés dans les combats, ce qui est quand même considérable. Mais lui, il estime que l’organisation peut survivre, même si elle est affaiblie militairement et politiquement. Il veut jouer la montre en espérant que les pressions internationales conduisent Israël à accepter un cessez-le-feu.

ATLANTICO, et JForum.fr

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