Réfutant cette présentation simpliste et erronée, Georges Bensoussan observe que “ce serait une erreur de réduire l’antisémitisme arabo-musulman à une figure d’importation, même si l’on assiste ici, sans conteste, à l’islamisation des poncifs de l’antisémitisme occidental… Car, en réalité, l’antisémitisme musulman trouve sa source en lui-même. Le Coran abonde d’invectives sur les Juifs “traîtres”, et depuis que ces derniers ont rompu leur promesse antérieure avec Lui, les musulmans figurent le peuple élu de D’. Pour la plupart des commentateurs, le conflit israélo-arabe n’est que la poursuite de la lutte entre l’islam et les Juifs”. A l’appui de cette dernière remarque, essentielle à la compréhension du contexte historico-culturel de l’antisionisme arabe contemporain (ou de ses origines historiques, dans le “temps long” de l’histoire musulmane), mentionnons cette phrase, déjà citée, tirée du quotidien égyptien Al-Ahram : “Notre guerre contre les Juifs est une vieille lutte, qui débuta avec Mahomet” (6).
Shmuel Trigano confirme cette analyse, en faisant remarquer que “la culture islamique n’avait pas à se forcer pour construire l’image du Juif falsificateur, dans la mesure où elle tient les Juifs (et les chrétiens) pour les falsificateurs de la parole de D’, le Coran” (7). Dans cette perspective, c’est toute la présentation chronologique, ou encore la généalogie traditionnelle de l’antisémitisme musulman qui est inversée : non seulement les musulmans n’ont pas eu besoin d’aller chercher l’antisémitisme en Europe (ce qu’ils ont fait, par ailleurs, notamment par le biais des chrétiens d’Orient, comme l’ont montré les travaux de Bat Ye’or, voir notre Introduction), mais en réalité, ils ont souvent été les premiers à développer certaines thématiques antijuives et antisionistes, dont ils ont trouvé le substrat dans leur propre univers culturel (8). Il convient donc de garder à l’esprit, avant de poursuivre plus avant notre analyse, cet élément essentiel que G. Bensoussan résume de manière limpide : “L’antisémitisme musulman trouve sa source en lui-même”.
(1) E. Yakira, Post-sionisme, Post-Shoah, p.1. Presses universitaires de France, 2010.
(2) Un exemple récent de ce phénomène est donné par le dernier livre du romancier israélien Ishaï Sarid, intitulé de manière significative Le monstre de la mémoire, publié aux éditions Actes Sud. Ce livre est présenté (de manière trop laudative) sur le site Akadem.
(3) S. Trigano, Les frontières d’Auschwitz p. 64, Librairie Générale Française 2005.
(4) R. Wistrich, “L’antisémitisme musulman, un danger très actuel”, Revue d’histoire de la Shoah, no. 180, Antisémitisme et négationnisme dans le monde arabo-musulman, la dérive.
(5) Revue d’histoire de la Shoah, no. 180. Antisémitisme et négationnisme dans le monde arabo-musulman, la dérive, op. cit. p. 6-7.
(6) Al-Ahram, 26 novembre 1955.
(7) S. Trigano, Les frontières d’Auschwitz, p. 65
(8) C’est précisément cette affirmation du caractère endogène à la culture arabo-musulmane de l’antisémitisme qui a valu à l’historien Georges Bensoussan les déboires que l’on sait.