La Russie face au syndrome Afghan en Ukraine

La Russie face au syndrome Afghan en Ukraine

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On aurait pu dire que c’est David contre Goliath, mais les valeurs morales des uns et des autres interdisent la comparaison. Il n’en demeure pas moins que les conflits militaires ont changé de nature, puisqu’une armée conventionnelle fait face à des civils, et c’est une fois de plus une guerre asymétrique. C’est là le piège, car maintenant l’armée russe doit se battre contre des ombres. Elle ne peut que s’en prendre à des civils, puisque les combattants sont tapis en embuscade avec des armes d’une extraordinaire efficacité, tout en étant insaisissables. Dès lors, il faudra des années pour vaincre car cela passe par le renseignement sur le terrain, et si la Russie a bien là des chars et des soldats quelque peu motivés, elle n’a pas les moyens de renseignements suffisants pour vaincre des soldats qui se fondent dans le paysage.

Drone TB2 (notre photo), missiles Stinger et Javelin… Ces armes peu coûteuses mais redoutables qui font peur aux Russes.

Abreuvée de drones, de lance-roquettes et de lance-missiles antiaérien et antichars, l’Ukraine parvient à détruire l’armement lourd des Russes. Même si ces attaques ne suffiront pas à stopper l’invasion, elles infligent de terribles pertes qui déstabilisent jusqu’au sommet des troupes.

L’hiver a beau se retirer, en Ukraine la neige fond moins vite que les armes russes. Rois de la communication, les soldats ukrainiens filment et ébruitent leurs succès sur les réseaux sociaux. Un jour, c’est un hélicoptère russe qui explose en vol, le lendemain un convoi de camions citernes carbonisés. Agacé par la « mollesse » de l’offensive russe, Ramzan Kadyrov le président de la République tchétchène, a lui-même admis sur Telegram (une messagerie cryptée) que les Ukrainiens étaient « armés jusqu’aux dents, avec de nouvelles armes, des munitions, du matériel lourd de dernière génération ».

Certes, les Ukrainiens reculent, mais le prix à payer est gigantesque pour les Russes. 100 à 200 soldats russes seraient tués chaque jour. Au 13e jour de la guerre, ils auraient déjà perdu au moins 148 chars lourds, 280 véhicules de combat d’infanterie et 22 avions et hélicoptères, selon Oryx, un site tenu par deux analystes militaires néerlandais qui recensent les pertes matérielles documentées des deux camps.
Comment la puissante armée russe a-t-elle pu se laisser ballotter, voire humilier ainsi ? Le Kremlin avait sous-estimé la préparation de son adversaire. Bien avant son invasion, l’Ukraine était pourtant déjà arrosée d’armes. Depuis l’annexion de la Crimée en 2014, les États-Unis ont fourni plus de 3 milliards de dollars d’armes, d’équipements et autres fournitures aux forces armées ukrainiennes. Pressentant une attaque russe, Washington a encore débloqué dès l’automne dernier 60 millions de dollars, puis 200 millions, et enfin 350 millions le 26 février. Ces enveloppes ont financé l’envoi de munitions, de missiles antichars Javelin et de missiles anti-aériens Stinger, les cauchemars des Russes.

Des cibles faciles, dans les airs et sur terre

Si l’on prend l’exemple du lance-missile « sol-air » Stinger, de fabrication américaine, il s’agit d’un tube d’environ 15 kg pour 1,5 m, portable à dos d’homme. Doté d’un guidage autonome, il suffit de le tirer pour qu’il se dirige vers sa cible, avion ou hélicoptère. Avec un taux de réussite de 95 %, c’est une arme extrêmement fiable et facilement maniable. Redoutable…

Que ce soit dans les airs ou sur terre, les Russes facilitent le travail des Ukrainiens. Ils font partout des proies faciles. « Les Russes manquent cruellement de bombes guidées de précision, donc pour être efficace ils doivent voler bas, ce qui les place à portée des lance-missiles tirés à l’épaule », explique Xavier Tytelman, ancien aviateur militaire et spécialiste de la sécurité aérienne. Les Stinger ont ainsi abattu au moins quatre Soukhoï Su-34, un bombardier tactique, pourtant tout ce qu’il y a de plus moderne dans l’aviation militaire russe.

Tout aussi efficace, le Javelin, un autre lance-missile américain. Il peut attaquer à l’horizontale, pour détruire bâtiments et fortifications, ou à la verticale. Dans ce cas, il monte à 160 m avant de retomber en pic sur la cible, en général le toit des véhicules blindés, précise Midi Libre. Les Ukrainiens en possèdent beaucoup.

Et le dégel, qui transforme la terre ferme en boue collante, leur facilite la tâche. « Les blindés russes ont du mal à quitter les axes routiers à cause des conditions météorologiques », précise le général Dominique Trinquand. Dans le même genre, les Ukrainiens détiennent des NLAW (acronyme de Next generation light antitank weapon), des missiles antichars portables.

Ces divers lance-missiles, l’Ukraine en reçoit des dizaines de milliers. En provenance de l’Otan, mais aussi de l’Australie ou du Japon. Le 3 mars, l’Allemagne a décidé de dépêcher 2 700 missiles antiaériens supplémentaires, tous – curieuse ironie de l’Histoire – de fabrication soviétique.

Ils s’ajoutent aux 500 missiles antiaériens de type Stinger, 1 400 lance-roquettes antichar et neuf obusiers que le pays a déjà envoyés. « Certains de ces lance-roquettes, des RPG, sont beaucoup plus rustiques, à plus courte distance, mais c’est extrêmement efficace dans les villes où on ne tire pas à plus de 300 m de distance », remarque Dominique Trinquand. D’autres (AT4), fournis par la Suède, sont particulièrement utiles dans des endroits confinés en raison de son dispositif anti-déflagration à l’arrière.
L’autre arme qui parasite les plans de l’armée russe vient de Turquie. Il s’agit des drones TB2. Pourtant simples, petits et pas chers, ils sont devenus un outil de propagande tant ils font des miracles. Ils ne peuvent supporter que 150 kg de charge utile, soit quatre petites bombes. Mais si la frappe est juste, elle fait des ravages : « Une petite bombe a endommagé 80 véhicules d’un coup, parce qu’ils étaient parqués les uns à côté des autres… C’est très douloureux pour les Russes. »

Drones, cocktails Molotov et artillerie légère

Les Ukrainiens recèlent aussi quelque chose que les Russes n’ont pas. Des systèmes de visées infrarouges. « Dès qu’il fait nuit, les troupes russes sont foutues », assure Xavier Tytelman. La France, et bientôt l’Italie, livre par exemple des missiles antichars Milan, capables de tirer de jour comme de nuit grâce à un système infrarouge. C’est une arme précise et puissante, adaptée à la lutte contre les tanks, indique Le Monde.

En somme, l’Ukraine comble le manque de moyens lourds (véhicules blindés, chars, avions de chasse) par des moyens « low cost », entre drones, cocktails Molotov et artilleries légères. Des outils insurrectionnels suffisamment néfastes pour détruire chars et avions ennemis.

Enfin, l’arme la plus redoutable reste le peuple. Quarante millions d’Ukrainiens en colère. « Il faudrait 500 000 soldats en permanence dans le pays pour le maîtriser, c’est techniquement impossible de tenir sur la durée, calcule Xavier Tytelman. Même s’ils parviennent à l’envahir, ils devront forcément quitter le pays un jour ou l’autre. »

Par Anissa Hammadi

JForum

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