Jean-Pierre Lledo – Première partie : les voleurs crient « Au voleur ! »
Procédé classique des voleurs. Jusque-là nous étions habitués à son emploi par les Falestiniens. C’étaient eux les victimes et nous les assassins. La Naqba, voilà la vraie Shoah. Que valaient les Hébreux, face aux descendants des Cananéens ? Etc… Etc…
Mais voilà cette rhétorique de l’inversion adoptée par ceux qui refusent d’accepter le verdict des urnes et leur humiliante défaite lors des dernières élections le 1er novembre 2022. Humiliante, puisque le Meretz antisioniste n’a même pas pu accéder à la Knesset, que la ’Avoda a failli connaitre le même sort, et qu’avec Gantz-Lapid, l’opposition ‘’centriste’’ arrive tout juste à 36 mandats face au 64 de la coalition de droite.
Ils appellent à tuer Netanyaou[1] – une grande première dans l’histoire d’Israël, ils séquestrent son épouse, agressent des députés à leur propre domicile, l’un d’eux se déguise en orthodoxe pour s’approcher de la demeure du Ministre de la Justice (avec quelle intention ?), ils perturbent l’ordre public, s’attaquent aux policiers mais ce seraient eux les GARANTS DE LA LOI !
Ils menacent de quitter le pays, ou au moins de le paralyser, ils tentent de semer la panique boursière et sollicitent l’intervention des Américains et les Européens, ils brandissent le drapeau de ceux qui nous assassinent et qui voudraient nous rayer de la carte, mais ce seraient eux les PATRIOTES !
Ils nazifient leurs adversaires politiques, profanent la Knesset en piétinant leurs pupitres de députés, ils la délégitiment en refusant de discuter en son sein du projet de Réforme judiciaire, et de ce fait quelques dizaines de milliers, voire même une centaine de milliers de personnes itinérantes, tentent d’annuler le vote de deux millions et demi de citoyens, mais ce seraient eux les DEMOCRATES !
Refus du résultat des dernières élections de novembre 2022, refus de la Knesset, destitution par la Cour Suprême d’un ministre pour lequel 400 000 citoyens ont voté grâce au recours du critère scélérat de la « raisonnabilité », le Premier ministre empêché de se prononcer sur la Réforme judiciaire et que l’on tente à présent de destituer purement et simplement, appel d’ex-généraux à la désobéissance civile et à la rébellion militaire, appel à la police et à Tsahal pour interrompre le processus législatif de la Knesset, appel des organisateurs à l’escalade, « à l’action directe », dénomination qui n’est pas fortuite, puisque rappelons-le elle désigna la branche française d’une organisation mondiale du terrorisme de gauche dans les ex-puissances de l’Axe fasciste, Allemagne, Italie, Japon (c’est l’Armée rouge japonaise qui organisa le massacre de l’aéroport de Lod le 30 mai 1972 : 26 tués)… Et alors que ce sont ces incitateurs qui devraient être illico arrêtés, jugés, et jetés en prison, c’est l’un des gouvernements parmi les plus représentatifs de l’histoire d’Israël (compte tenu du nombre des votants) qui est accusé de fomenter un COUP D’ETAT [2]!!!
Sont-ils devenus fous ces « chefs » irresponsables, la plupart militaires à la retraite, prêts à déclencher une guerre civile, alors que le terrorisme islamiste falestinien fait feu de tout bois : après deux frères assassinés, encore un jeune de 27 ans vient de nous être ravi ces derniers jours ?
Car croient-ils que les deux millions et demi qui ont voté pour que ça change, jusque-là patients, accepteront benoîtement de se laisser déposséder de leur victoire ? N’est-il pas tout simplement criminel d’appeler la police et l’armée à désobéir, et pourquoi pas demain à déposer le gouvernement ? Tsahal, par la voix de son chef d’Etat-Major, a déjà prévenu qu’il ne se mêlera pas de politique, respectant ainsi la décision du peuple et de ses représentants. Et la police vient de démontrer qu’elle n’obéira qu’au seul représentant de la loi – le gouvernement – puisque la Cour suprême est devenue soudain aphone, depuis que sa présidente Esther Hayut rompant avec l’obligation de réserve, a tenu à se joindre aux manifestants !
Il serait donc salutaire qu’au plus vite les organisateurs de la contestation comprennent qu’Israël n’est ni le Chili – où une grève de camionneurs, soutenue et subventionnée par la CIA, paralysa le pays, ouvrant la voie au renversement du gouvernement de l’Unité populaire par un coup d’Etat militaire – ni l’Ukraine dont le gouvernement actuel est issu d’un double coup d’Etat en 2004 et 2014, avec les tragiques conséquences que l’on sait depuis.
Victoria Nuland, membre du conseil d’administration du National Endowment for Democracy (Fondation nationale pour la démocratie. Officine de la CIA) qui au nom du gouvernement américain pilota sur place le renversement du président ukrainien Ianoukovytch pourtant élu à une majorité écrasante, ne viendra pas offrir ses petits pains briochés aux manifestants de Tel Aviv, comme elle put le faire à Kiev en 2014, avant de composer avec l’ambassadeur américain la liste du nouveau gouvernement[3]… L’ambassadeur américain en Israël a bien eu quelques velléités de s’ingérer dans le conflit actuel[4], mais une volée de bois, même pas vert, du ministre des finances Smotrich a suffi pour qu’il se voit obligé de rétropédaler illico presto, sans par ailleurs dissimuler ses sympathies…
Bras de fer entre peuple et Cour suprême
Malgré leur défaite électorale du 1ᵉʳ novembre 2022, les minoritaires comptaient conserver leurs pouvoirs grâce à la Cour suprême. Une Cour suprême comme il n’y en a nulle part au monde, dotés de pouvoirs exorbitants, imposant au peuple des choix de « gôche » alors même qu’il souhaite des choix de droite, ne se contentant pas de juger de la constitutionalité des lois, mais en mesure de les fabriquer, ayant le droit de veto sur les nominations politiques, et se donnant même le pouvoir de s’attribuer le pouvoir quasiment divin de juger ce qui est ou non « raisonnable » !
Avec une telle Cour suprême, il n’est même plus besoin de Knesset devenue un simple lieu d’entérinement de la volonté de la Cour ! Et il en est ainsi dans les pays totalitaires où les parlements fantoches ne font qu’avaliser la ligne du parti…
Mais quelle est donc la ligne de ce parti, dite « Cour suprême » ?
Changer la nature de l’Etat. Ce fut l’œuvre du nouveau Président de la Cour suprême, Aharon Barak à partir de 1992. La déclaration d’Indépendance de 1948 avait repris l’appellation fondatrice et sioniste de Theodor Herzl d’Etat juif. Cette appellation fut modifiée en « Etat juif et démocratique ».
Modification en apparence anodine, mais mettre sur le même plan l’identité d’un Etat et son mode de gouvernance, qui sont deux choses qualitativement bien différentes (ainsi les peuples d’Europe ont connu différents régimes, démocratiques et dictatoriaux, sans effet sur leur identité nationale et culturelle), était déjà une hérésie justement du point de vue du droit, sans parler du but politique recherché.
Et alors que seuls les pouvoirs totalitaires tentent de se masquer derrière l’attribut « démocratique » (« démocratie populaire », « république démocratique et populaire »), pour quelle raison la Cour suprême, contrairement aux législations des pays démocratiques, a-t-elle cru nécessaire de s’en affubler, sinon précisément pour contredire toutes les lois qui pourraient découler de la nature juive de l’Etat d’Israël ?
Et il ne fait aucun doute, qu’attendant la bonne heure, une heure pas très éloignée, la Cour suprême avait le projet de faire transiter cette appellation vers celle « d’Etat de tous ses citoyens » que réclament depuis longtemps les députés arabes et qui gommerait la nature juive de l’Etat d’Israël et de tous ses symboles, drapeau et hymne national inclus. Ce qui consacrerait l’enterrement définitif du sionisme dans un premier temps, et d’Israël dans un second.
Ici, une pause avec Gershom Sholem s’impose…
Rappelons brièvement que cet intellectuel fut un des premiers à faire son alya d’Allemagne (1923) et qu’entre histoire et philosophie, il est un des plus grands chercheurs en matière de Kabbale et de messianisme, et qu’au moment du procès d’Eichmann il réprimanda durement Hanna Arendt pour la relation et l’interprétation qu’elle en fit. Avec des intellectuels comme Buber, Bergmann, Magnes président de l’Université de Jérusalem, et quelques autres il fut un des fondateurs en 1925 de « Brit Shalom » (Alliance pour la paix), l’ancêtre de « Shalom archav » (Paix maintenant) qui prôna le rapprochement judéo-arabe, y compris sous la forme d’un Etat bi-national. Mais comprenant très vite que le but des Arabes, dirigeants et intellectuels, n’était pas la coexistence mais l’éviction des Juifs, il rompit avec ses collègues.
Les Cahiers de l’Herne (N° 92 de 2009) ont rassemblé 4 entretiens d’une extrême richesse et profondeur… Les extraits qui suivent sont aussi d’une extrême actualité.
3ème Entretien avec Ehoud Ben-Ezer (Avril-Mai 70)
« Mon sionisme tient à une donnée de base : sans sionisme pas d’existence pour le peuple juif. Le sionisme affronte la Question juive. Mais que peut-on faire de plus sur le plan de l’Histoire ? Il n’y a rien en histoire dont il ne faille payer le prix. »
« Nous avons payé un prix élevé pour avoir vécu dans l’inappartenance pendant les 2000 ans passés en exil : le prix de la haine, des persécutions, de la conversion forcée et du martyre.»
« Aux Arabes qui nous rejettent je dirais : « Vous avez raison, vous avez des droits. Mais ceux du peuple juif sont plus importants. » »
4ème Entretien avec Zéev Galili (Nov 74)
Le mouvement juif dit « cananéen » fondé par le poète Yonathan Ratosh en 1942, mais actif dès 1930, qui considère qu’en Israël est née une nouvelle Nation hébraïque sans rapport avec l’histoire juive et appelle à la formation d’un Etat de Canaan où Juifs et musulmans se dépouilleraient de leurs identités religieuses pour se fondre dans une nouvelle nation qui ferait revivre une antique culture proche-orientale, antérieure au monothéisme….
Réactions de Scholem :
« Tous leurs concepts ont un caractère fictif à commencer par cette idée de « pays de l’Euphrate’ » ! Comme s’il était possible à un peuple de se couper de ses racines ! Ils se privent de leur propre substance, de leur moelle vitale.
« Leur solution débouche sur l’assimilation, car les Arabes n’iront pas dans la direction d’un nationalisme laïque de ce genre, sauf dans la propagande… Si nous n’avons pas été emportés par les remous de l’histoire, c’est bien parce que nous avons été anti-cananéens. L’Etat de Canaan ne m’intéresse pas ! »
« Tout cela dérive de leur refus de reconnaître que le judaïsme pouvait être un organisme vivant, susceptible de se développer…. S’il est impossible qu’en terre d’Israël le peuple juif existe en tant qu’organisme manifestant sa vitalité dans l’histoire, responsable de lui-même, alors dans quel but sommes-nous venus ici ? Pourquoi devrais-je habiter un pays gouverné par les « Cananéens », si notre seul point commun était l’hébreu ? »
« Ils veulent, comme Trotsky, mener une révolution démocratique et laïque chez un peuple étranger, au sein des Arabes ! »
« Si les Juifs ne veulent pas de leur renaissance, l’Etat d’Israël ne tiendra pas. »
« Les thèses de ces intellectuels qui ne veulent s’identifier à aucune entité nationale, sont vieilles ! S’il existe des cananéens au sein de la société juive en Israël c’est en raison du simple fait que toute société se permet d’entretenir des paradoxes. »
Féroce raillerie de cette utopie suicidaire dont « l’Etat de tous ses citoyens » n’est qu’une nouvelle mouture.
Et si ce n’est pas la première fois dans l’histoire d’Israël que ressurgit l’idée que la paix avec les Arabes devrait se payer du prix de l’abandon par les Juifs de leur souveraineté nationale et de leur spécificité culturelle, c’est bien la première fois qu’une telle idée loin de n’être que l’apanage de quelques intellos farfelus jouxtant les Arabes mais ignorant tout de leur société et de leur culture, s’est emparée d’une Junte de 15 juges non-élus dite « Cour suprême » qui prétend dicter sa loi au peuple juif d’Israël tout entier !
Fin 1ere partie
[1] Lors d’un forum télévisé Zeev Raz, l’ancien pilote qui en 1981 participa à l’attaque du réacteur nucléaire irakien Osirak… Un avocat se livra aussi au meurtre du Premier ministre….
[2] « Coup d’Etat institutionnel » titre le dernier bulletin de la Ména, ce journal francophone en ligne, dirigé par Stéphane Juffa, homme-orchestre auteur de la quasi-totalité des articles plein de haine envers « Bibi » et les religieux, et qui signe sous une dizaine de noms tous aussi fantomatiques les uns que les autres, ses seules vraies et rares informations crédibles provenant sans doute de ses amitiés auprès de certains services…
[3] https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-le-yeti-voyageur-a-domicile/20140311.RUE9766/le-coup-d-etat-ukrainien-a-bien-ete-pilote-par-les-etats-unis-la-preuve.html
[4] https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20230219-l-ambassadeur-am%C3%A9ricain-en-isra%C3%ABl-s-attire-les-foudres-du-gouvernement-netanyahu