Par Jacques BENILLOUCHE
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Selon les révélations d’Avigdor Lieberman, le chef du Mossad, Yossi Cohen, et le commandant militaire de la région sud, Herzi Halevi, se sont rendus au Qatar il y a deux semaines. Les responsables israéliens ont rencontré Mohammed Bin Ahmed Bin Abdullah Al-Masnad, conseiller de l’émir du Qatar pour les affaires de sécurité nationale et chef des renseignements. Il semble que les discussions aient porté sur la situation à Gaza. Le Qatar porte un grand intérêt à cette région en intervenant en médiateur entre les trois parties, Hamas, Autorité palestinienne et Israël et en la finançant à coup de millions de dollars.
Il ne s’agit pas d’une information révolutionnaire. Les États arabes s’ouvrent de plus en plus à Israël tandis que de leur côté, les Palestiniens perdent du terrain auprès d’eux. Le plan de paix de Trump a encore aggravé le clivage entre ceux qui l’approuvent en faisant passer leurs propres intérêts avant ceux du peuple palestinien et ceux qui persistent dans une volonté d’opposition systématique à tout effort de paix.
Les Israéliens ont toujours recherché des alliances avec ceux qui étaient censés être leurs ennemis, sur le papier du moins ; d’ailleurs la donne a changé puisqu’ils viennent de nouer des liens avec les États du Golfe, le Maroc et le Soudan. Certes dans plusieurs cas il s’agit d’une mesure de protection contre l’Iran dont les capacités de nuisance sont aujourd’hui démesurées. Une certitude cependant, le conflit israélo-palestinien n’est plus un frein à l’ouverture diplomatique avec Israël.
En fait, si l’on se réfère à l’Histoire, les dirigeants arabes ont toujours entretenu des relations cordiales mais secrètes avec Israël, déjà depuis l’époque historique du mouvement sioniste. David Ben Gourion avait institué en 1958 la doctrine «de l’alliance de la périphérie», qui devait déboucher sur une alliance régionale. Il estimait alors qu’Israël, étant entouré de voisins arabes qui refusent son existence, doit combattre son isolement total en créant des liens privilégiés avec les pays non arabes de la région, les pays dits «périphériques». C’est ainsi qu’il avait entrepris des négociations avec la Turquie, l’Iran et l’Éthiopie, pour une coopération stratégique dont le contenu détaillé est resté secret à ce jour. Certaines coopérations avec d’autres pays arabes, effectives malgré les apparences, n’avaient pas été dévoilées pour ne pas brusquer les masses populaires réfractaires à toute relation avec «l’entité sioniste».
Les exemples ne manquent pas et le plus récent concerne le Soudan. Son chef d’État Abdel Fattah al-Burhan veut défendre «la sécurité et les intérêts nationaux» de son pays mais il n’est pas pionnier en la matière. D’abord les Sud-Soudanais, longtemps tyrannisés et brutalisés par les dirigeants de Khartoum avaient demandé l’aide d’Israël. Entre 1969 et 1972, le Mossad avait fourni aux insurgés sud-soudanais, qui combattaient le gouvernement central, du matériel, des armes et une formation. Depuis, grâce aux accords, Israël a continué d’acheminer des armes dans le pays.
Un autre dirigeant soudanais avait recherché en 1982 les faveurs d’Israël. L’ancien président Gaafar Nimeiry, avec l’aide du milliardaire saoudien et marchand d’armes, Adnan Khashoggi, avait assisté à une réunion clandestine avec le ministre israélien de la Défense de l’époque, Ariel Sharon, au Kenya, et avait donné son accord de principe pour faciliter le transfert de milliers de Juifs éthiopiens vers Israël via le Soudan. Il y avait trouvé bien sûr son intérêt puisque Nimeiry avait obtenu en échange, d’une part des espèces et d’autre part une promesse d’une aide militaire.
Des ouvertures secrètes avaient déjà eu lieu dès les années 1950, lorsque le Soudan, alors gouverné par les Britanniques et les Égyptiens, avait délégué le parti Umma pour obtenir le soutien israélien pour l’indépendance du Soudan. Après l’indépendance, le Premier ministre soudanais Abdullah Khalil et Golda Meir, premier ministre israélien, s’étaient rencontrés secrètement dans un hôtel à Paris durant l’été 1957.
Ces relations secrètes, voire cordiales, n’étaient pas une exception car la coopération avec les Arabes remonte déjà au temps de l’arrivée des responsables sionistes en Palestine. Ainsi le 3 janvier 1919, avant le début de la Conférence de paix de Paris, l’émir Faysal Ibn al-Hussein, roi d’Irak, signa un accord avec le président de l’Organisation sioniste mondiale Chaïm Weizmann pour autoriser la création de colonies juives en Palestine s’il prenait la tête d’un grand royaume arabe indépendant dans toute la Syrie. Mais les autorités coloniales françaises s’opposèrent à son installation au trône et la colonisation sioniste fut annulée. Son frère, l’émir Abdallah de Transjordanie, qui s’était engagé dans une relation de coopération à vie avec les sionistes, dans l’espoir de devenir roi de Palestine et de Transjordanie, a été assassiné en 1951.
Son petit-fils, le roi Hussein de Jordanie avait autorisé la tenue de réunions secrètes, en 1960 à Jérusalem, entre l’un de ses généraux et des représentants israéliens. En 1963, Il avait même rencontré en secret des Israéliens dans le cabinet de son médecin à Londres. Au milieu des années 70, ses réunions secrètes avec les dirigeants israéliens auraient lieu régulièrement à l’intérieur d’Israël. Il s’ensuivit une longue amitié entre Hussein et Yitzhak Rabin. Le roi de Jordanie justifiait ces contacts par sa volonté de préserver son trône face à la pression du président égyptien Nasser et de l’OLP.
Au Liban la situation n’a pas été celle que nous connaissons aujourd’hui. L’Église maronite et les dirigeants maronites de droite, les phalangistes, ont été des alliés d’Israël depuis 1940 car leur objectif consistait à créer une république chrétienne autonome au Liban, sur le modèle d’Israël.
Autre péripétie peu connue, Israël a soutenu dans les années 1960, les efforts de l’Arabie saoudite au Yémen contre les républicains. Les Israéliens ont acheminé par avion des armes et de l’argent aux monarchistes yéménites.
Les pays du Maghreb n’ont jamais été techniquement en conflit direct avec Israël. Les premiers contacts entre Israël et la Tunisie ont été établies à New York en 1951-1952, au plus fort du combat de la Tunisie pour son indépendance, quand des représentants tunisiens ont approché la mission israélienne aux Nations Unies ainsi que des dirigeants syndicaux israéliens, par l’intermédiaire des Américains. Des dirigeants du parti Néo-Destour et parmi eux Bahi Ladgham, proche confident d’Habib Bourguiba, ont rencontré le 25 juin 1952 Gideon Raphael de la mission israélienne à l’ONU, pour obtenir un soutien pour l’indépendance tunisienne. Un autre tunisien, Salah ben Youssef, devenu par la suite nassériste et opposant à Bourguiba, s’était approché des Israéliens le 9 février 1953 pour se plaindre de leur manque de soutien à la Tunisie. Habib Bourguiba avait maintenu ses relations amicales avec Israël jusqu’à son départ du pouvoir en 1987.
Les relations les plus chaleureuses en Afrique du Nord ont été avec le roi Hassan II du Maroc. Des dirigeants israéliens ont rencontré des responsables marocains à la fin des années 1950, mais les relations se sont amplifiées après l’accession du roi Hassan au trône. À partir de 1960, les Israéliens, par le biais d’accords secrets avec le Maroc, ont transporté par avion des milliers de Juifs marocains vers Israël. En 1963, le ministre marocain Mohamed Oufkir avait conclu un accord avec les Israéliens pour former des agents de renseignement. Yitzhak Rabin avait été invité par le roi Hassan à se rendre secrètement au Maroc en 1976. Mais en 1986, il n’avait plus de raisons de garder le secret et Shimon Peres s’est rendu au Maroc en grande pompe. En 1994, le Maroc et Israël ont officiellement échangé des bureaux de liaison.
En 2018, Benjamin Netanyahou a rencontré secrètement à l’ONU le ministre marocain des Affaires étrangères pour offrir son aide pour la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental en échange de la normalisation officielle des relations diplomatiques et de l’approbation de «l’accord du siècle» de Donald Trump.
Depuis 1991, les relations se sont accélérées avec les États arabes puisque des dirigeants, des officiels et des athlètes israéliens ont visité ouvertement la plupart des pays du Golfe, y compris le Qatar, le Bahreïn, les Émirats arabes unis, Oman et secrètement l’Arabie saoudite, sans parler de l’ouverture de bureaux de liaison ou commerciaux dans ces pays. Contrairement aux apparences, les relations arabes avec Israël n’ont jamais été régies par les intérêts du peuple palestinien, mais plutôt par leurs propres intérêts. La seule ombre au tableau est l’échec d’Israël à gagner en popularité avec les masses arabes qui continuent à soutenir les Palestiniens malgré l’évolution politique de leurs dirigeants.