Les Juifs ont-ils volé la Palestine aux Arabes ?

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Fermiers et combattants, la construction d’un pays

Si en rentrant de l’école votre fille vous disait qu’elle avait été interpellée par une élève disant que la Palestine est une terre arabe volée par les Juifs, pourriez-vous lui fournir une réponse ?

L’automne dernier, la Déclaration Balfour a fêté son centième anniversaire. Ce mois d’octobre marque le centenaire de la conquête de la Palestine et de la Syrie par le général britannique Allenby au cours de la Première Guerre mondiale. Ce centenaire renvoie à l’argument le plus important, le plus décisif, que les antisionistes utilisent contre Israël aujourd’hui.
C’est l’affirmation que la Palestine est une terre arabe que les Juifs n’avaient pas le droit de prendre aux Arabes palestiniens. Dans sa forme un peu plus sophistiquée, l’argument consiste à dire que les impérialistes britanniques n’avaient pas le droit d’enlever leur pays aux Palestiniens pour le remettre entre les mains des Juifs.
Si en rentrant de l’école,  votre fille vous disait qu’une camarade de classe l’avait mise en cause sur ce point, pourriez-vous lui fournir une réponse ?

Voici une façon de répondre. Au cours des 400 ans qui ont précédé la Première Guerre mondiale, la Palestine faisait partie de l’Empire ottoman. Elle appartenait donc aux Turcs, et non aux Arabes, et encore moins aux Arabes de Palestine.

La Palestine est un terme géographique ancien mais imprécis. Il est resté imprécis parce qu’il n’y a jamais eu de pays appelé Palestine. Même dans le passé lointain, la Palestine n’a jamais été gouvernée par ses habitants arabes.

Il n’est donc pas exact de dire que la Palestine était un pays, ni de dire que c’était une terre arabe. Ni les Juifs ni les Britanniques ne l’ont volée aux Arabes. Les premiers sionistes sont venus en Palestine sans le soutien d’une quelconque puissance impérialiste ou colonialiste. Ils ont acheté les terres sur lesquelles ils se sont installés. Et avant que la Grande-Bretagne n’envahisse la Palestine au cours de la Première Guerre mondiale, les Turcs ottomans s’étaient alliés à l’Allemagne et avaient attaqué les forces alliées.
La Grande-Bretagne commettait-elle une injustice en publiant la Déclaration Balfour, favorable à un foyer national juif en Palestine ?
La question est bien davantage qu’un point d’histoire, car elle est liée à la controverse actuelle sur la loi sur l’État-nation d’Israël, adoptée en juillet dernier. Entre autres questions controversées, cette loi disait : « L’exercice du droit à l’autodétermination nationale dans l’État d’Israël est accordé uniquement  au peuple juif« .
Prenez en compte le contexte de la publication de la Déclaration Balfour. Lorsque le cabinet de guerre britannique l’a approuvée, le 31 octobre 1917, le monde était entré dans la Grande Guerre depuis plus de trois ans. Cette catastrophe désormais baptisée « Première Guerre mondiale », a finalement détruit quatre grands empires. La Grande-Bretagne se battait pour sa survie et, comme la guerre tournait mal, le gouvernement du premier ministre britannique H.H. Asquith était tombé à la fin de 1916, laissant place à David Lloyd George.
Lloyd George était particulièrement sensible à l’importance de la propagande. Il fut le premier chef de gouvernement britannique de l’histoire à avoir grandi dans la pauvreté. Dans son enfance, sa maison n’avait pas l’eau courante. Son ascension politique témoigne de la démocratisation de la politique, et du pouvoir de l’opinion publique.
Dans les 48 heures qui suivirent son accession au poste de premier ministre, son cabinet décida d’évaluer la propagande britannique dans le monde entier. Il se proposa de conquérir  de nouveaux soutiens populaires au bénéfice des Alliés en Grèce, en Italie, en Russie, en Amérique, etc. Parmi les nombreux publics ciblés par la propagande britannique, il y avait les Juifs du monde entier. En toute logique, les Juifs étaient considérés comme généralement pro-sionistes, et leur influence pouvait être utile surtout, dans la Russie révolutionnaire et dans l’Amérique de Woodrow Wilson.
En soutenant le sionisme, le gouvernement britannique voulait que les Juifs trouvent un intérêt particulier à la victoire des Alliés. Dans ses mémoires, Lloyd George explique que la Déclaration Balfour « faisait partie de notre stratégie propagandiste, son timing étant déterminé par des considérations stratégiques de guerre « .
En d’autres termes, le colonialisme n’a pas amené la Grande-Bretagne en Palestine. La Grande-Bretagne ne s’est pas emparée de la Palestine face à une population indigène inoffensive. Elle a pris cette terre non pas aux Arabes, mais à la Turquie, qui (comme on l’a noté) s’était jointe aux ennemis de la Grande-Bretagne dans la guerre. Les Arabes de Palestine se sont battus pour la Turquie et contre la Grande-Bretagne. C’était un territoire ennemi.
Lloyd George, Balfour, et d’autres responsables soutenaient le sionisme en partant d’impératifs stratégiques mais aussi pour des raisons morales. Ils sympathisaient avec la cause nationale juive. Le sionisme était une réponse à la question historique juive, un moyen de remédier à certains dommages honteusement causés au peuple juif au cours de l’histoire. Et ce mouvement donnerait aux Juifs l’occasion de normaliser leur place dans le monde, en construisant un foyer national et un refuge, un pays dans leur ancienne patrie, où ils pourraient devenir la majorité et jouir de l’autodétermination comme peuple.
Lorsque ces responsables étaient des hommes jeunes, comme George Eliot dans son roman connu de 1876, Daniel Deronda, ils prévoyaient la naissance d’un mouvement capable d’inspirer une « nouvelle politique juive ». Elle écrivait, par la voix d’un personnage juif, « alors les Juifs auront un centre organique » et « le Juif outragé pourra se défendre devant la Cour des nations, comme l’Anglais ou l’Américain outragé. Le monde en tirera profit, en même temps qu’Israël. » Ce personnage se poursuivait ainsi :  » Il se produira une nouvelle grande migration, un nouveau choix faisant d’Israël une nationalité. Ses membres pourront aller aux confins de la terre, comme les fils de l’Angleterre et de l’Allemagne que leurs entreprises mènent au loin mais qui conservent un foyer national…  Qui a dit que l’histoire et la littérature de notre race sont mortes? Ne sont-elles pas aussi vivantes que l’histoire et la littérature de la Grèce et de Rome, qui ont inspiré des révolutions . . . ? C’était un héritage venu du fond d’une tombe. Le nôtre est un héritage qui n’a jamais cessé de vibrer dans des millions de corps humains. » Lloyd George, Balfour, Winston Churchill et autres dirigeants britanniques de l’époque de la Grande Guerre se sont fait l’écho de la sympathie lyrique et pro-juive du roman à succès d’Eliot.
A l’instar de la récente loi israélienne sur l’État-nation du peuple juif, la Déclaration Balfour établit une distinction entre les droits nationaux d’un peuple et les droits civils et religieux des individus. Après avoir approuvé « l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif« , la Déclaration Balfour stipulait : « Rien ne doit être fait qui puisse porter atteinte aux droits civils et religieux des communautés non-juives en Palestine« .
Les critiques ont fait valoir qu’il était injuste que l’on refuse aux Arabes de Palestine un foyer national en Palestine, et qu’il était désobligeant de penser qu’ils se contenteraient de droits civils et religieux dans un État à majorité juive. Mais on peut voir cela sous un autre angle. Comment les décideurs britanniques percevaient-il eux-mêmes ce problème à l’époque ?
Ils ne considéraient pas la Palestine isolément. Elle n’était qu’une petite partie d’une vaste région que les forces britanniques étaient en train de conquérir sur les Turcs. Bien que la plupart des Arabes se battaient pour les Turcs, les Alliés engagèrent le peuple arabe sur la voie de l’indépendance et de l’autodétermination nationale dans cette vaste région. Mais la minuscule Terre Sainte avait un statut particulier. C’était un territoire où chrétiens et juifs du monde entier avaient des intérêts profonds.
Considérer les Arabes comme un seul peuple était un principe de base du mouvement nationaliste arabe. En février 1919 par exemple, le premier Congrès palestinien s’était efforcé d’expliquer pourquoi la Palestine n’était pas un pays. Les résolutions adoptées disent que la Palestine n’a jamais été séparée de la Syrie. Selon elles, les Palestiniens et les Syriens ne formaient qu’un seul peuple  » cimenté par des liens nationaux, religieux, linguistiques, naturels, économiques et géographiques « . Les Arabes de Palestine n’étaient pas considérés par les autorités britanniques, comme par leurs dirigeants;  comme une nation distincte. (Cela a changé plus tard, bien sûr, mais c’était plus tard.)
L’idée qu’un petit segment du peuple arabe, les Arabes palestiniens, vivraient un jour dans un pays à majorité juive n’était pas considérée comme une situation unique. Il y eut des cas similaires en Europe. Après la Première Guerre mondiale, de nouvelles nations furent créées ou relancées : la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie et la Hongrie, par exemple. Inévitablement, certaines personnes ont dû vivre en minorité dans des États voisins. Sept cent mille Hongrois deviendront une minorité en Tchécoslovaquie, près de 400.000 en Yougoslavie et 1,4 million en Roumanie. En tant que minorités, ils avaient des droits individuels, mais pas des droits collectifs. En d’autres termes, les Hongrois de souche n’avaient pas de droits nationaux à l’autodétermination en Roumanie, mais seulement en Hongrie.
Le principe applicable aux minorités européennes s’applique également aux Arabes de Palestine. Dans un pays donné, un seul peuple peut être majoritaire, et en conséquence un seul peuple peut jouir sur place de l’autodétermination nationale. Le peuple arabe finira par s’auto-gouverner en Syrie, au Liban, en Irak et en Arabie. Il finira par prendre le contrôle de la quasi-totalité des terres qu’il revendiquait. Naturellement, il aspirait à être majoritaire partout. Mais alors, les Juifs ne le seraient nulle part. Les Alliés victorieux n’ont pas estimé que c’était juste.
Pour eux, si le sionisme réussissait, les Arabes de Palestine finiraient par vivre en minorité dans un pays démocratique à majorité juive. Il s’agissait d’une contrariété, mais, de l’avis des dirigeants britanniques, elle était relativement mineure pour le peuple arabe dans son ensemble. En 1922, Arthur Balfour répondit à la critique selon laquelle la Grande-Bretagne avait été « injuste envers la race arabe ». « De toutes les accusations portées contre ce pays, » dit-il, « celle-ci me semble la plus étrange. » C’était, rappelait-il,  » grâce aux efforts, en grande partie au sang britannique, à la compétence et à la vaillance britannique, au commandement des généraux britanniques, aux troupes acheminées de tout l’Empire britannique… que la libération de la race arabe de la domination turque a été réalisée. » Et de poursuivre : « Que nous, qui venons d’établir un roi en Mésopotamie, qui avions auparavant établi un roi arabe dans le Hedjaz, et qui avons fait plus que ce qui a été fait depuis des siècles pour mettre la race arabe dans la position à laquelle elle est parvenue,  soyons accusés d’être ses ennemis, d’avoir tiré un avantage mesquin du cours des négociations internationales, me semble non seulement très injuste pour ce pays, mais d’une extravagance presque extraordinaire« .
Dans les débats du cabinet de guerre britannique sur le sionisme, l’un des principaux opposants à la Déclaration de Balfour fut le brillant aristocrate conservateur Lord Curzon. Il décrivait la Palestine comme une « terre pauvre« , petite et aride, regorgeant « de malaria, de fièvres, de pathologies ophtalmies etc. », et ruinée par « des siècles de négligence et de mauvaise gestion ». Il disait qu’elle ne serait pas en mesure pendant de nombreuses années de faire face à une augmentation substantielle de sa population, qui était d’environ 700 000 personnes. Il considérait les Juifs comme particulièrement inadaptés aux défis de la Palestine. Selon lui, les contraintes de la terre nécessitaient les compétences agricoles d’un peuple « familier de l’agriculture« . Il ajoutait que les Juifs sont « dans une large mesure formés dans d’autres activités et professions ».
Curzon prédisait également que les Arabes ne se coucheraient pas devant le sionisme. Citant la Bible, il soulignait que les Arabes locaux refuseraient de servir de « coupeurs de bois et de tireurs d’eau » pour le compte des sionistes. Les Juifs ne seraient pas de taille à se défendre, laissait-il entendre, de sorte qu’ils seraient indéfiniment un fardeau pour les Britanniques. « Une perspective d’anxiété, d’angoisse, de vicissitudes et de dépenses se profile devant ceux qui désirent reconstruire le foyer national [juif] « .
En somme, selon Curzon, le sionisme était condamné parce que les Juifs ne sauraient pas cultiver et ne sauraient pas combattre. Il présenta son analyse dans une note qui était éloquente, raisonnable, et difficile à réfuter. Mais il avait tort. Les Juifs réfutèrent son scepticisme de façon,  je pense, tout à fait étonnante. Ils apprirent à cultiver la terre et à combattre.
En fait, leur art militaire a poussé leurs ennemis à se replier prudemment sur le champ de bataille politique. D’où la guerre idéologique actuellement menée contre Israël,  aux Nations Unies, sur les campus universitaires, dans les journaux, etc.. La campagne visant à délégitimer Israël a été couronnée de succès. Les efforts déployés pour mettre en échec cette campagne ont souvent été de peu d’effet. Cela aussi, je le trouve étonnant.
Dans le champ de l’argumentation, les Juifs ont de la pratique. Ils ont continuellement aiguisé leur génie du débat depuis qu’Abraham a interrogé Dieu sur Sodome. Ils devraient être redoutables quand il s’agit d’expliquer pourquoi Israël n’est pas un pays colonialiste et de réfuter toute sorte de calomnies. Pourtant, ils sont souvent battus à plate couture par les polémistes antisionistes. Il n’y a pas d’excuse à cela.
Les partisans du sionisme doivent apprendre leur histoire et se réapproprier les raisons pour lesquelles le sionisme est devenu un grand mouvement. Ils doivent approfondir le cas de l’État juif dans la patrie juive. Si les Juifs ont pu apprendre à cultiver la terre et à combattre, ils doivent pouvoir se rappeler comment on lit un livre d’histoire.
Auteur : Douglas J. Feith.  Membre de l’Hudson Institute, il a été sous-secrétaire d’État à la Défense sous Georges W Bush. Il a  publié un ouvrage fameux « Guerre et décision: de l’intérieur du Pentagone au début de la guerre contre le terrorisme. » Il rédige actuellement une histoire du conflit israélo-arabe.
Date de publication : 24 octobre 2018
Traduction : Jean-Pierre Bensimon

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