Juifs de Sarcelles : entre attachement et inquiétude

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Surnommé « la petite Jérusalem », Sarcelles est l’une des rares banlieues parisiennes où la vie juive trouve encore un ancrage puissant. Malgré l’aggravation des tensions communautaires, comme a pu le montrer l’agression d’un enfant de 8 ans portant la kippa, nombre de ses habitants juifs ne sont pas prêts à renoncer à leur territoire.

«  J’ai vécu toute ma vie ici et je n’irai vivre ailleurs pour rien au monde. Ma maison, et ma vie sont ici », assure Fortune, la patronne de la boulangerie Nathania, à Sarcelles. En ce vendredi après-midi, cette quinquagénaire aux cheveux noués en queue de cheval sert des baguettes et des pâtisseries au miel à ses clients qui se pressent sur le pas de la porte. Ils font leurs dernières emplettes avant le début de Chabbath dans un climat d’effervescence. Restaurants, boucheries et épiceries cachers, synagogues, mikvé, écoles juives, sans compter l’incontournable librairie Otsar qui vend aussi bien des livres de Tora, que des kippoth et des verres de kiddouch : tous ces établissement se côtoient sur une poignée de rues. De quoi répondre aux besoins de la communauté la plus grande d’Europe en termes de concentration : près de 13 000 âmes, majoritairement sefarades, s’y sont établies sur un périmètre d’environ 1 km². Un petit village, en somme. «  Ici tout le monde se connaît, pour le meilleur comme pour le pire. Il y a des familles, des amis, nous avons nos habitudes et tout est facilité lorsqu’on est pratiquant », explique Hanna Cohen, chimiste de 27 ans, qui y vit depuis sa naissance. Les Juifs s’y sont installés par vagues successives dans les années 60, après la décolonisation de l’Afrique du Nord. Aujourd’hui les plus jeunes générations ont tendance à partir ailleurs, notamment après leur mariage, mais un noyau dur, attaché à son territoire, continue de vivre à quelques minutes de la station du RER D, Garges-Sarcelles, où les loyers défient toute concurrence. Si les Juifs vivent dans le rectangle composé des avenues du 8-Mai-1945 et Paul-Valéry, ainsi que des boulevards Albert-Camus et Édouard-Branly, ils côtoient d’autres communautés d’immigrés, notamment la communauté assyro-chaldéenne (chrétiens d’Orient), africaine… Cette mosaïque d’origines est telle que la ville a acquis le surnom de « Petite Jérusalem ». Et comme la ville trois fois sainte, les différentes cultures cohabitent tantôt dans une relative bonne entente, tantôt dans un climat de tensions palpables.

Des cocktails Molotov et des fumigènes ont été envoyés par des jeunes encagoulés
Le point d’acmé des tensions intercommunautaires a été atteint en juillet 2014, lorsqu’une manifestation pro-palestinienne interdite par la Mairie, a dégénéré en violentes émeutes. Des cocktails Molotov et des fumigènes ont été envoyés par des jeunes encagoulés vers la synagogue de l’avenue Paul-Valery, des vitrines de magasins ont été cassées, des feux de poubelles ont été allumés devant des lieux de culte… marquant au fer rouge les Sarcellois, et écornant encore l’image de cette commune du Val-d’Oise qui souffre déjà de la réputation d’être mal famée. De fait, Sarcelles est l’une des communes les plus pauvres de France, où le taux de chômage est deux fois supérieur à la moyenne nationale. La ville a aussi été marquée par la disparition de Yohan Cohen, jeune Sarcellois de 20 ans, assassiné lors de la prise d’otages de l’hyper Cacher le 9 janvier 2015. Une plaque à sa mémoire et une place à son nom ont été inaugurées quelques jours plus tard, par le maire de Sarcelles de l’époque, François Pupponi. « Il aimait la vie et faisait le bonheur des siens », peut-on notamment lire sur la stèle. Plus récemment encore, mi-janvier, une jeune fille juive âgée de 15 ans, en jupe, a été violemment agressée à Sarcelles et tailladée au visage par un individu qui a aussitôt pris la fuite et deux semaines plus tard, un enfant de huit ans qui portait une kippa a été agressé par deux garçons d’une quinzaine d’années alors qu’il se rendait à un cours de soutien scolaire. Un acte antisémite qui a suscité l’indignation de la classe politique dont le chef de l’État en personne.

Des cocktails Molotov et des fumigènes ont été envoyés par des jeunes encagoulés.
Parallèlement à ces événements douloureux, la vie tente de reprendre le dessus. Le rabbin de Sarcelles, en poste depuis 2004, refuse de dresser un tableau complètement noir de sa ville. « Nous organisons des grandes manifestations toutes les semaines, sans problèmes et sans incidents, les restaurants ne désemplissent pas. Pour Tou Bichvat, près de 250 personnes ont participé à l’événement que nous avons organisé. Nous sommes une communauté qui bouge, qui a plein de projets, qui nourrit des pôles importants de la vie juive et qui ne sont pas prêts de disparaître », assure Laurent Berros à Actualité Juive. « Hier encore, nous organisions un Jewish The Voice, durant lequel cinquante talents de toute la France se sont affrontés. Il faut aussi que tout cela soit su et que l’on ne parle pas de Sarcelles uniquement lorsqu’il arrive un drame antisémite ! », ajoute-t-il. Convaincu que le premier terreau de la violence contre les Juifs naît du manque de dialogue, il travaille à la rencontre inter-religieuse en allant dans les mosquées, dans les écoles publiques, dans tous les territoires de la ville que les Juifs ont déserté à cause du malaise. « On n’est pas toujours d’accord mais on essaie au moins de parler et de s’accepter. Le dialogue n’est plus si évident, car les quartiers de Sarcelles sont sectorisés, les Juifs vivent sur un périmètre bien défini », explique-t-il. Les pouvoirs publics eux, ont la responsabilité de sécuriser tout le territoire. Des patrouilles de militaires circulent à toute heure avec des mitraillettes, tandis que des vidéo-surveillances ont été installées aux quatre coins de la ville. « Le quartier juif vit dans une bulle où l’on vit très bien, mais dès que l’on s’en éloigne, ça devient chaud », ajoute madame Sfez Ohayon. Elle admet que des relations de bon voisinage peuvent se nouer, mais que «la confiance », elle, a toujours du mal à s’installer entre les différentes communautés. « Ma tante, ma grand-mère veulent rester là-bas, elles sont habituées, je les comprends, c’est très difficile de quitter Sarcelles lorsqu’on y a vécu », explique celle qui a fait son alya après son mariage. « Nous ne sommes pas aveugles, mais il est difficile pour nous de quitter un endroit où nous avons des habitudes si bien ancrées », explique M. Samama, retraité de 68 ans. Lui a le projet bientôt de quitter Sarcelles pour s’expatrier en Israël… mais « par sionisme plus que par peur », assure-t-il.

Source www.actuj.com

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