Les Juifs d’Afrique du Nord face à l’Allemagne nazie

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Actualité Culture / Par Alexis Lacroix, L’Express

Un ouvrage collectif, coordonné par deux universitaires israéliens, raconte la confrontation des juifs d’Algérie, du Maroc, de Tunisie et de Libye au IIIe Reich. Passionnant.

Il est inhabituel d’évoquer la Shoah dans le contexte nord-africain. Pourtant, du Maroc à la Libye, tous les pays de cette région du monde ont été, à des degrés divers, survolés par la grande ombre menaçante du national-socialisme. L’ouvrage collectif dirigé par les historiens israéliens Dan Michman et Haïm Saadoun, éclaire donc un angle aveugle de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, à savoir les réfractions du nazisme au sud de la Méditerranée. A raison, les auteurs insistent sur l’extension globale du préjugé antisémite à cette époque.

Ceux qui s’évertuaient à « exciter le nerf antisémite »

Les années trente naturalisent en quelque sorte l’antisémitisme dans le débat public. Emmanuel Debono, dans sa contribution, fait valoir que « le Maroc, l’Algérie et la Tunisie ne sont pas épargnés par la recrudescence de l’antisémitisme qui touche la métropole française – et le reste de l’Europe -. » Et Debono d’ajouter : « Les questions soulevées par les dynamiques du phénomène au Maghreb sont plurielles ». Et de remémorer un accès d’hyperviolence antijuive comme les massacres de Constantine, en 1934, au cours desquels 24 Juifs de la cité est-algérienne furent tués. Et de remettre aussi en perspective le travail idéologique de ceux qu’on n’appelait pas encore « islamistes » mais qui étaient déjà bien là, et « s’évertuent » alors à « exciter le nerf antisémite ». Ils sont secondés dans leur entreprise de sape par les divers mouvements qui composent alors l’extrême droite nationaliste française, des Croix-de-Feu au PPF (Parti populaire français). Les Croix-de-Feu, installées en Algérie, décident symptomatiquement d’élargir son recrutement aux musulmans ». Tout se passe donc comme si « la révolution antisémite mondiale » que cherche à déclencher l’hitlérisme « inspirait consciemment ou inconsciemment les acteurs locaux les plus divers ».

Après la capitulation de la France en juin 1940 et l’installation du régime de Vichy, Pétain devance la volonté du vainqueur en retirant aux juifs algériens leur citoyenneté française : c’est la fameuse abolition du décret Crémieux. Le philosophe Jacques Derrida, alors enfant, sera marqué toute sa vie par ce traumatisme précoce qui touche 150 000 personnes. La foi en la République, dans laquelle ils avaient « tous trouvé un mode de vie idéal », s’en trouve ébranlée. Par bonheur, des nationalistes arabes importants, tels Ferhat Abbas et Messali Hadj, dirent leur nette opposition à ce déni de droit, tandis que l’ouléma Cheikh El Oqbi protesta en fondant avec des juifs et des chrétiens une « Union des croyants monothéiste ». Tandis que le roi du Maroc multiplia les efforts pour protéger ses sujets juifs. Ces belles initiatives ne purent hélas empêcher le IIIe Reich de procéder à des persécutions plus directes, contre les Juifs tunisiens et les Juifs libyens, assujettis à la double tutelle mussolinienne et hitlérienne.

 

Les Juifs d’Afrique du Nord face à l’Allemagne nazie, coordonné par Haïm Saadoun et Dan Michman. Perrin, 402 p.

 

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