TRIBUNE. Rien ne peut légitimer les crimes génocidaires du 7 octobre. Ni le retour de la haine que l’on voie à l’œuvre depuis cette date en France.
Par Iannis Roder – Les invités du Point
Vous les voyez sur les murs des grandes villes occidentales. Avec leurs bandes rouges sur lesquelles on peut lire « kidnappée », « kidnapped » ou encore « entführt ». Elles rappellent que plus de deux cents otages, de tous âges, dont certains sont Français, sont détenus à Gaza par le Hamas après avoir été enlevés le 7 octobre dernier lors de l’attaque terroriste la plus meurtrière depuis le 11 septembre 2001.
Placardées à l’initiative de jeunes gens, ces affiches sont là pour lutter contre l’oubli dans cette société où une émotion en chasse si vite une autre. Elles sont comme un rappel de ce qu’ont commis, contre des populations civiles, les terroristes du Hamas en territoire israélien ce 7 octobre. Les témoignages des survivants comme de ceux qui sont chargés du ramassage des corps et de leur identification sont effroyables et renvoient, nécessairement, aux descriptions des pogroms qui accompagnent l’avancée allemande sur le front de l’Est, comme celui de Jedwabne le 10 juillet 1941 quand des centaines de Juifs étaient massacrées par la population polonaise du village, battus à mort, les femmes violées, les enfants fracassés contre les murs, les gens brûlés vifs.
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Les événements du 7 octobre renvoient aux collines du Rwanda, quand les miliciens hutus Interahamwe poursuivaient les hommes, les femmes et les enfants, les assassinant méthodiquement, violant et tuant, ouvrant les ventres des femmes enceintes pour écraser la tête des fœtus, éclatant les crânes à coups de crosses, de gourdins, de machettes, abattant à bout portant toute personne qui n’avait plus, à leurs yeux, la qualité d’être humain car ils étaient Tutsi. C’est bien de violences génocidaires dont il s’agit car ce type de violence de masse systématique, ce type de passage à l’acte ne sont rendus possibles que parce qu’on dénie à celui qui est visé, au groupe cible, la qualité d’être humain. Ils sont devenus des bactéries, des « Inyanzi », soit, en langue kinyarwanda, des « cafards » à éliminer, à effacer.
Si les souffrances se valent, il n’en va pas de même des intentions.
Il ne faut pas être naïfs et nous savons que ceux qui ont commis les abominations du 7 octobre dans les kibboutz de gauche du sud d’Israël, qui ont assassiné, violé et kidnappé cette jeunesse largement pacifiste, ont été conditionnés à la haine, non pas d’Israël mais des Juifs. La documentation sur le bourrage de crâne d’enfants de Gaza dès leur plus jeune âge ne manque pas. Malgré le terrible choc du 7 octobre, nous ne devons pas être surpris car l’histoire nous a appris que la haine ne peut déboucher que sur ce type de violence débridée, de transgression absolue.
En revanche, comment comprendre que dans les rues de nos villes, les affiches rappelant que le Hamas détient plus de deux cents otages soient presque systématiquement arrachées ? Comment comprendre qu’avenue de l’Opéra, au cœur de Paris, l’affiche portant la photo de la petite Aviv, 2 ans, soit déchirée ? Que peut donc penser cette étudiante de l’université de Tolbiac, photographiée en train de déchirer méthodiquement ces affiches accolées sur les murs de l’université ? Qui peut se rendre coupable de tels gestes qui non seulement légitiment les kidnappings du Hamas, mais sont, encore, exempts de toute empathie et, en réalité, de toute humanité. Et au nom de quoi ? Eh bien au nom d’une lutte pour laquelle il semble que la fin justifie les moyens, comme au temps de la Révolution culturelle de Mao. Peu importent les morts, peu importent les victimes, seule compte la cause.
En réalité, la question n’est pas ici celle du conflit entre Israël et le Hamas, ni même entre Israël et les Palestiniens. La question est celle d’une humanité partagée…, ou pas. La cause des Palestiniens est légitime tout comme l’est le droit d’Israël de vivre et de se défendre, mais rien ne peut légitimer les crimes du 7 octobre, tout comme rien ne peut justifier d’arracher ces affiches si ce n’est la volonté de continuer le crime et d’effacer les victimes. On m’opposera, comme à l’habitude, par une mise en équivalence paresseuse, les morts civils provoqués par les avions israéliens. Mais si rien n’excuse la mort de civils, d’hommes, de femmes et d’enfants, ni les contextes ni les actes ne sont de même nature. Si ceux qui tirent un trait d’égalité entre les souffrances ont raison, lorsque ce trait d’égalité est tiré entre les actes des uns et des autres, ils se trompent et nous trompent. Si les souffrances se valent, il n’en va pas de même des intentions.
Rien ne semble pouvoir interdire l’éternel retour de la haine
Alors quand, en France en 2023, des jeunes arrachent des affiches d’otages qui pourraient être nos enfants, nos parents, nos grands-parents, on se dit que nous avons raté quelque chose, que les messages d’universalité que nous avons portés à l’école n’ont que peu de prises face à des croyances qui divisent le monde de façon binaire entre gentils et méchants au regard de qui dominerait qui et qui oppresserait qui, entre « eux et nous ». Nous apprenons à nos élèves que l’humanité ne se divise pas, qu’il n’y a pas de bonnes et de mauvaises victimes civiles. Ce n’est visiblement pas ce que pensent ceux qui arrachent les visages d’Aviv, 2 ans, d’Elma, 84 ans, d’Ortal, 24 ans, et de tant d’autres.
Nous vivions dans une société qui, depuis 1945, a fait de l’Universel et de l’humanisme, les idéaux à atteindre. Nous y avons cru, notamment en enseignant l’histoire de la Shoah et des génocides, et nous nous sommes visiblement trompés. La haine de l’autre est un moteur si fort que rien ne semble pouvoir interdire son éternel retour.
Mais que ceux pour qui la fin justifie les moyens le sachent. Leur haine de l’humanité, non seulement salit la cause qu’ils pensent défendre d’une tache à jamais indélébile, mais légitime la violence, celle qu’ils appellent de leurs vœux, et qui se retournera contre eux. Ils se condamnent, et nous avec, à la guerre.
*Iannis Roder, professeur d’histoire-géographie, directeur de l’Observatoire de l’éducation de la Fondation Jean-Jaurès.