« Sans le Juif, comment pourrait-on trouver une cause commune aux riches Libanais, aux habitants du Koweït, aux Bédouins des tribus, au roi hachémite, au Syrien marxiste ou au fellah égyptien combattant au Yémen dans une guerre sans objet ? L’unité arabe ne pouvait s’exprimer que par la négative : la destruction des Juifs ! Mais sans les Juifs, cette expression lui était refusée. Quant à restauration de la Palestine, Jarrah savait mieux que quiconque que si jamais elle était restaurée, elle serait démembrée du jour au lendemain par ses voisins jaloux », Mossis West.
« Si un homme vient pour te tuer, lève-toi plus tôt et tue-le en premier », phrase tirée du Talmud.
« A partir du moment où un service de renseignement commence à agir conformément à la loi, il cesse d’être un service de renseignement », Isser Bééri (premier commandant d’Aman).
« Ainsi, tandis que le monde libre se trouve confronté à ce qui apparaîtra peut-être un jour comme l’un des plus grands défis de son histoire – son combat contre deux menaces potentiellement mortelles –, les moyens dont il dispose pour recueillir les données vitales afin d’estimer le danger n’ont jamais été plus limités. Les difficultés qu’implique une collecte fiable sont colossales. Le temps normalement alloué à cette tâche a été allongé dans l’optique de parvenir à des résultats, au moment même où les délais pour déjouer les agissements machiavéliques de l’ennemi se sont raccourcis », Ephraïm Halevy.
Dans l’arsenal de sa défense, Israël a mis assez souvent en œuvre, et hors de ses frontières, le « traitement négatif », soit l’assassinat ciblé. Le « traitement négatif » a été pratiqué avant même la refondation de l’État d’Israël, avec les nokmim (mot hébreu pour vengeurs), un groupe fondé au printemps 1945, à Bucarest, par Abba Kovner qui avait organisé la résistance du ghetto de Vilnius, en Lituanie. Les nokmim assassinent de nombreux nazis ayant directement participé à la Endlösung, soit dans les Konzentrationslager et Vernichtungslager, soit en tant que membres des Einsatzgruppen. Parmi les opérations menées par les nokmim, l’empoisonnement à l’arsenic de près de deux mille prisonniers allemands en avril 1946, au Stalag 13, à Nürnberg. Combien sont morts ? On ne sait toujours pas. De plus, même si les nokmimsont fortement soupçonnés, un doute subsiste. Parmi les projets des nokmim, celui d’empoisonner l’approvisionnement en eau de plusieurs grandes villes d’Allemagne, un projet qui restera à l’état de projet, après dénonciation de plusieurs nokmim, probablement par des leaders sionistes effrayés par les conséquences internationales d’un tel acte par ailleurs jugé préjudiciable à la création de l’État d’Israël.
En Palestine même, des groupes juifs clandestins s’en prennent à la puissance mandataire notamment par des attentats et des assassinats ciblés contre des personnalités britanniques tant civiles que militaires ainsi que contre des Arabes. Parmi leurs victimes, également, des coreligionnaires coopérant avec la puissance mandataire. Par ailleurs, ces groupes en viennent à s’affronter à la Haganah, le Lehi (ou Groupe Stern) surtout, dirigé par Yitzhak Shamir, car refusant tout compromis avec les Britanniques. La stratégie du Lehi s’inspire de celle des mouvements communistes révolutionnaires mais surtout de l’I.R.A. Le Lehi est notamment responsable de l’assassinat du diplomatie suédois Folke Bernadotte, de celui du ministre d’État britannique Walter Edouard Guinness (Lord Moyne) et du colonel français André Sérot.
Le premier chef du gouvernement d’Israël, David Ben Gourion, commence par s’opposer aux assassinats ciblés. Pourtant, en 1956, il autorise le premier assassinat ciblé mené par l’État d’Israël, celui de Mustafa Hafi, chef des services secrets égyptiens de la Bande de Gaza. Août 1962, Opération Damoclès visant à éliminer les scientifiques allemands ayant travaillé à Peenemünde et passés au service de l’Égypte. C’est un fiasco mais une solution diplomatique est trouvée : la R.F.A. propose des emplois à ces scientifiques qui sont rapatriés.
C’est surtout après l’assassinat de onze athlètes israéliens aux Jeux Olympiques de München, en 1972, que la politique des assassinats ciblés va prendre de l’ampleur, sous l’impulsion de Golda Meir alors Premier ministre. Les cibles potentielles sont réparties en trois catégories : les terroristes, les responsables civils et militaires des États ennemis, les fabricants ou trafiquants d’armes de destruction massive en contact avec des ennemis d’Israël.
Parmi ces derniers, des scientifiques travaillant pour le programme nucléaire iranien ; ils sont particulièrement ciblés depuis les années 2000. Auparavant, ce type d’action visait à châtier ceux qui soutenaient un peu trop les groupes terroristes palestiniens et le Hezbollah. Ainsi, en juillet 2001, l’un des pères du programme balistique iranien, le colonel Ali Mahmoudi Mimand, est abattu dans son bureau d’une balle en pleine tête. En janvier 2007, un scientifique qui produisait de l’hexafluorure d’uranium (un gaz nécessaire pour enrichir l’uranium) décède suite à une « intoxication due au gaz ». Le Mossad pourrait être à l’origine de cet « accident ». 12 janvier 2010, le physicien Massoud Ali Mohammadi de l’Université de Téhéran est assassiné devant son domicile par l’explosion d’une moto piégée. 29 novembre 2010, deux des meilleurs physiciens nucléaires iraniens sont victimes d’attentats : Majid Shahriari est tué par l’explosion d’une bombe magnétique que deux motards fixent sur sa voiture alors qu’il conduit. Quelques minutes plus tard, même stratagème contre Fereidoun Abassi-Davani qui, soupçonnant le pire, parvient à sortir précipitamment de sa voiture, juste avant l’explosion.
Ces assassinats hautement ciblés et professionnels mettent en œuvre des techniques inhabituelles en Iran, qu’il s’agisse du piégeage d’une motocyclette ou de l’utilisation de ce type de bombes magnétiques, autant de techniques destinées à tuer la cible tout en minimisant les dommages collatéraux. L’Iran a dénoncé (mais sans pouvoir en apporter la preuve) le soutien apporté par des services étrangers, notamment israéliens, à des groupes armés d’opposition opérant depuis l’étranger. Ces groupes armés sont constitués par l’Organisation des moudjahidines du peuple iranien, le Jundallah (une organisation sunnite armée basée dans le Baloutchistan iranien) et des groupuscules royalistes. Ces attentats ne mettent pas en péril le régime, il n’empêche qu’ils sont pour lui un sujet de préoccupation. En voyant leurs collègues se faire tuer les uns après les autres, des scientifiques ont demandé à travailler à des projets civils et non plus militaires ; et il faut multiplier les mesures visant à les protéger.
Juin 2011, cinq ingénieurs russes impliqués dans la remise en service de la centrale de Bushehr sont tués dans un « accident » d’avion, au nord de Moscou. Ils venaient de réparer les dégâts causés par le virus informatique Stuxnet. Juillet 2011, un ingénieur nucléaire, Darioush Rezaeinejad, est abattu. Janvier 2012, Mostafa Ahmadi-Roshan, un chimiste employé à Natanz, est tué par une bombe magnétique fixée à son véhicule par deux motards. Octobre 2013, le responsable du programme de cyberguerre iranien, Mojtaba Ahmadi, est retrouvé mort dans une zone boisée non loin de Téhéran, avec deux balles dans la poitrine. Deux motards seraient impliqués dans cette affaire. Novembre 2013, à Téhéran, le vice-ministre de l’Industrie, Sfadar Rahmat Abadi, est abattu de deux balles alors qu’il montait dans sa voiture. Il n’est pas dans l’habitude du Mossad se revendiquer les « traitements négatifs » mais il pourrait être impliqué d’une manière ou d’une autre dans ces affaires.
Quoi qu’il en soit, la stratégie formalisée par le patron du Mossad, Meïr Dagan, dans le « Plan Daniel » est payante. Des scientifiques civils et militaires iraniens impliqués dans le programme nucléaire du régime sont passés de vie à trépas, une partie du matériel indispensable à ce programme a été sabotée, piégée ou simplement réduite en morceaux. Les dégâts touchent aussi bien des chaînes de production de missiles que des infrastructures destinées à l’enrichissement de l’uranium.
Pour bien appréhender la gêne causée par ces diverses actions, il suffit d’étudier le programme nucléaire pakistanais. Ainsi le Pakistan a-t-il pu produire de l’uranium faiblement enrichi en seulement deux ans, avec des ressources financières limitées et sans disposer des dernières technologies de commande numérique. Pour le même résultat, il aura fallu plus de dix ans à l’Iran, avec d’importants moyens financiers (venus de la vente du pétrole brut) et la collaboration d’Abdul Qader Khan (connu comme « le père de la bombe atomique pakistanaise ») et son équipe.
Dans le livre d’Éric Denécé et David Elkaïm intitulé « Les Services secrets israéliens – Aman, Mossad et Shin Beth » on peut lire : « A chacune des opérations d’élimination attribuées au Mossad, de nombreux médias qualifient ces pratiques de “terrorisme d’État”, ce qui est un grave contresens. En effet, même si on est farouchement opposé au fait qu’un exécutif démocratique demande à ses services spécialisés de conduire des assassinats, il est tout à fait erroné de parler, pour de telles actions, de “terrorisme d’État”. Il s’agit en réalité d’“éliminations ciblées”. Cela n’est pas plus moral, mais la démarche est totalement différente. Une “élimination ciblée” est techniquement l’exact opposé d’une action terroriste. D’un côté, un homme seul va essayer de faire le maximum de victimes innocentes avec sa ceinture d’explosifs ou sa voiture piégée. De l’autre, une équipe importante conçoit et exécute une action – certes moralement condamnable – pour éliminer une seule cible, qui n’est généralement pas un “innocent”. Enfin, les assassinats ciblés n’ont pas vocation à “terroriser” les populations civiles. »
Israël a surveillé de particulièrement près la Syrie. Les derniers conflits avec ce pays remontent à octobre 1973 et à juin 1982, un conflit exclusivement aérien et quelque peu oublié. C’était au cours de l’intervention israélienne au Liban. Une centaine d’avions syriens furent abattus ; Israël n’en perdit pas un seul.
La Guerre du Golfe (1990-1991) va donner des idées aux Syriens. En effet, au cours de ce conflit, la 9ème division mécanisée syrienne est intégrée à la coalition dirigée par les États-Unis contre l’Irak de Saddam Hussein désireux de s’emparer du Koweït. Le commandant de cette unité est subjugué par la machine de guerre américaine, plus particulièrement par les munitions de précision utilisées par l’USAF. Il parvient à convaincre le chef d’état-major et Hafez el-Assad de s’intéresser à ce type d’armes. Parallèlement, l’état-major de l’armée syrienne étudie de très près la menace que représente l’Irak de Saddam Hussein pour Israël. Je n’entrerai guère dans les détails de cette nouvelle orientation syrienne ; simplement, cette Guerre du Golfe va stimuler les visées belliqueuses de la Syrie envers Israël.
La Corée du Nord aide la Syrie à produire des missiles. Parallèlement, la Syrie intensifie ses efforts pour produire armes chimiques et biologiques via le Centre d’études et de recherches scientifiques (C.E.R.S.), avec bombes au gaz sarin conçues pour être larguées d’avions, puis têtes chimiques destinées aux missiles Scud, puis fabrication du VX, l’un des agents chimiques parmi les plus toxiques.
Un proche de Boris Eltsine, le général Anatoly Kuntsevich, fournit à Damas (moyennant finance) les moyens de fabriquer du VX. C’est probablement le Mossad qui se chargera de l’éliminer, après avoir eu la gentillesse de l’avertir de cesser son trafic.
Le C.E.R.S. ne cesse de se développer ; il va compter jusqu’à dix mille employés. Son principal centre de production se trouve non loin d’Alep, à Al-Safir, et s’étend sur plusieurs dizaines de kilomètres carrés. Sur ce site, outre l’assemblage et l’entreposage des armes chimiques, une partie des missiles Scud et leurs lanceurs sont entreposés.
Lorsque Bachar el-Assad succède à son père, en juillet 2000, il poursuit le programme chimique et biologique ainsi que les recherches atomiques. A cet effet, il passe un accord avec la Corée du Nord pour la fourniture d’un réacteur destiné à la fabrication d’armes nucléaires. Les mesures prises par la Syrie autour de ce projet sont telles que les services de renseignement israéliens ne soupçonnent d’abord rien ; ils surveillent pourtant de prêt la Syrie, le plus hostile des voisins et doté d’un puisant arsenal militaire.
Depuis les années 1990, Israël surveille étroitement le C.E.R.S. de Damas. Début 1991, Israël dispose de sources en interne. Une opération destinée à couler un navire nord-coréen chargé de missiles Scud est annulée in extremis. Yitzhak Shamir, alors Premier ministre, redoute d’amplifier la guerre au Moyen-Orient. Des années plus tard, en 2004, des scientifiques syriens employés aux programmes nucléaires syrien et iranien seront tués dans l’explosion de l’usine de Ryongchon, en Corée du Nord, et un train transportant des matières fissibles sera détruit. L’ombre du Mossad plane sur ces affaires…
25 juillet 2007, un « accident » dévaste le complexe d’Al-Safir et toute la ligne d’assemblage des têtes de missiles VX est ravagée par un incendie. Les gaz toxiques se répandent sur l’immense site. Les victimes, tués et blessés, sont nombreuses parmi les Syriens mais aussi parmi leurs collègues iraniens. L’enquête conclura à un sabotage. Comme à son habitude, Israël ne revendique pas ce sabotage afin de ne pas provoquer inutilement le régime et poursuivre son travail aussi intelligemment et efficacement que possible. Ne pas revendiquer un attentat évite toute provocation d’État à État pouvant conduire à une guerre ouverte. Cette discrétion met par ailleurs celui qui est attaqué dans l’embarras ; il lui faut apporter des preuves à ses soupçons, ce qui dans le cas présent va se révéler impossible pour une raison précise comme nous allons le voir.
Ainsi que nous l’avons dit, Israël va mettre du temps à découvrir le programme nucléaire syrien – plusieurs années – considérant les mesures de sécurité prises par la Syrie. Mais en mars 2007, le Mossad dérobe à un haut responsable du programme nucléaire syrien des données contenues dans le disque dur de son ordinateur et dans des clés USB. Il y découvre de nombreux clichés en couleur qui indiquent la présence d’un réacteur nucléaire fonctionnant au plutonium ainsi que d’Asiatiques, probablement des Nord-Coréens. Le Mossad (alors dirigé par Meïr Dagan) transmet au Premier ministre Ehoud Olmert qui transmet à Washington. George W. Bush donne aussitôt l’ordre de vérifier ces informations. Elles s’avèrent fiables. George W. Bush refuse pourtant de frapper le site malgré l’insistance israélienne.
Israël déclenche sans tarder l’Opération Orchard contre le réacteur nucléaire d’Al-Kibar dans la nuit du 5 au 6 septembre 2007. Elle est conduite sur le modèle de l’Opération Opéra (contre le réacteur irakien d’Osirak, le 7 juin 1981). Cette opération contre la Syrie ne sera jamais revendiquée par Israël ni même dénoncée par la Syrie. Le régime syrien qui a caché son programme nucléaire militaire à la communauté internationale et à l’A.I.E.A. (International Atomic Energy Agency) ne peut accuser Israël de la destruction d’un site qui n’aurait pas dû exister. Ce qu’il en reste (soit des gravats) après passage de l’aviation israélienne et des dix-sept tonnes de bombes larguées par huit F-15 et F-16 sera soigneusement nettoyé afin d’éviter toute inspection de l’A.I.E.A.
Ci-joint, « Operation Opera: Israel Airstrike on Irak Nuclear Reactor – 1981 » :
https://www.youtube.com/watch?v=1ovMqRk2J4M
Ci-joint, « Operation Orchard: Israel’s strike on the Syrian Reactor » :
https://www.youtube.com/watch?v=gY5fTxSxmS8
Olivier Ypsilantis