Israël : de la guerre d’usure à la guerre préventive

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Par Francis MORITZ

Dans un contexte totalement différent de ce qu’on a appelé la guerre d’usure avec l’Égypte, de mars 69 à août 1970, il existe quelques similitudes et leçons à en tirer après plus de 50 interventions aériennes contre les implantations iraniennes en Syrie. La question qui se pose désormais avec urgence, Israël peut-il, doit-il poursuivre cette guerre d’usure, contre le Hezbollah et son maitre l’Iran, quoi qu’il en coûte, ou bien décider d’une autre stratégie ?

L’Iran dispose d’une base arrière dans le sud de la Syrie, pour alimenter ses milices et le Hezbollah. Rien de nouveau, si ce n’est que le chaos qui règne tant au Liban que dans le sud de la Syrie, lui facilite la tâche et renforce la milice terroriste jour après jour. L’Iran, par Hezbollah interposé, poursuit son objectif de créer un front nord face à Israël. La conjonction actuelle d’intérêts entre l’Iran et le Hezbollah rend le contexte actuel très dangereux. L’Iran se prépare à l’élection présidentielle de juin 2021. La présidence Rohani a beaucoup déçu. A priori on s’attend à ce que les ultras conservateurs d’Ali Khamenei et les Gardiens de la révolution en soient les vainqueurs. Ce probable résultat est lourd de menaces.

Un aspect est très peu abordé en Occident : il ne s’agit pas d’une théocratie, mais d’une façade religieuse. Les Gardiens de la révolution avec la force d’élite al Qods (qui fut dirigée par feu le général Soleimani) contrôlent tous les rouages de l’État. On dit d’ailleurs que le général-héros était leur candidat par excellence. Certains pensent même que les Américains l’ont éliminé pour cette raison. D’autres croient savoir qu’on serait à la veille du basculement d’une théocratie vers un militarocratie. C’est un régime dont le principal pilier est l’armée. Rappelons qu’en Iran ne vote pas qui veut et que l’on n’est pas candidat librement. Les sanctions américaines aggravées provoquent des problèmes sociaux-économiques majeurs. Tous les produits ont vu leurs prix exploser, alors que les revenus s’écroulent. La majorité du peuple ne protesterait pas si l’Iran et le Hezbollah attaquaient Israël et les États-Unis, ce qui créerait une diversion classique face à la situation dramatique dans laquelle le pays s’enfonce et permettrait à l’armée d’éliminer toute opposition.

Il est connu que les États-Unis et la Russie exercent de fortes pressions pour limiter les réactions d’Israël sans pouvoir les interdire. Si ce n’était pas le cas, il y a longtemps qu’on aurait vu l’armée russe et Tsahal s’affronter. Or le Kremlin, en modulant ses pressions, conserve ses marges de manœuvre vis à vis de Damas, de Téhéran, d’Ankara et d’Israël dont il fait un allié passif, mais réel.

L’axe chiite Iran-Hezbollah est en difficulté. Le Hezbollah est dans une situation plus que délicate. Défenseur auto-proclamé du Liban, il est tenté de lancer une opération d’envergure avant que le nouveau président américain ne prenne ses marques et pendant qu’Israël s’apprête à voter en mars, dans un climat d’incertitudes. Ce qui lui permettrait ensuite d’affermir son emprise au Liban dont il est la seule force constituée, opérationnelle et vis à vis de son mentor l’Iran.

Jérusalem pourrait prendre l’initiative, avant que ce ne soit le Hezbollah qui décide de rompre le statut quo, au-delà des déclarations belliqueuses habituelles. Il n’en reste pas moins que la conjoncture est un élément important. Il est vrai qu’Israël fait face à une élection, dans laquelle la valse des égos n’a pas son pareil. Ce qui est un handicap. Pour autant la question reste posée.

On ignore quelle sera la doctrine Biden en la matière. Il sera sous pression par l’aile gauche démocrate, qui n’est pas forcément le plus grand supporter de l’État hébreu. On imagine que le président voudra se montrer ferme mais engager sa diplomatie, afin de faire un état des lieux. C’est aussi le moment d’analyser la rivalité irano-russe. La situation dans les trois provinces du sud de la Syrie est chaotique. Le régime, supposé contrôler ce territoire depuis 2018, doit faire face à diverses milices dont certaines sont téléguidées par la Russie, l’Iran, la Turquie, voire les États-Unis.

Le Hezbollah est présent dans deux secteurs au sud de la Syrie avec ses officiers «conseillers» de l’armée syrienne, et l’unité du Golan sous son autorité, qui y crée des cellules terroristes. L’organisation est également proactive dans le trafic de drogue, les achats de terres et la fourniture de biens et services de base, pour développer son influence et obtenir un soutien local. Cette complexité impose la multiplication des frappes, qui ralentissent l’implantation iranienne, sans la stopper, notamment avec l’organisation terroriste dans le secteur de Quneitra, même si la Russie s’est engagée à interdire la pénétration de Téhéran au-delà des 80 kms de la frontière nord.

Israël aurait la possibilité de tirer avantage de la rivalité russo-iranienne croissante. L’Iran vise à renforcer et étendre sa pénétration dans le sud pour en faire une sorte de protectorat qui un jour serait sous son contrôle direct ou indirect. Le pouvoir de Damas n’a pas les moyens de l’en empêcher, sauf si l’ami russe s’y opposait frontalement. Ce qui n’est pas son objectif actuel. L’Iran propage son idéologie, soudoie, distribue des prébendes, apporte son concours aux plus pauvres, crée des tensions, fait la loi. En clair elle devient le protecteur des populations fortement touchées par le conflit. Elle pousse son affidé terroriste au Liban afin qu’il soit la seule force organisée capable de saisir le pouvoir qui s’écroule, s’il existe encore et créer ainsi un autre satellite.

La Russie, vise à stabiliser la situation dans le pays et particulièrement au sud syrien où grâce à sa puissance militaire, elle maintient le contact avec les différentes factions. Elle veut maintenir le clan Assad au pouvoir pour transformer son succès militaire en succès politique et économique. C’est littéralement sa porte ouverte sur le Moyen-Orient. Elle y a un port et une base aérienne et crée sa zone d’influence. Il faut se rappeler le plan russe de constitution fédérale de 2016 pour la Syrie. Ce qui supposerait des régions autonomes, voire sous protectorat.

Israël pourrait poursuivre sa stratégie actuelle de réactions, quoi qu’il en coûte et on n’en connaît pas le prix, ou décider d’avoir l’initiative et le choix des moyens. La coordination entre Israël et la Russie témoigne de leurs bonnes relations, avec ses limites. Il y a actuellement une convergence d’intérêts eu égard au sud syrien. Israël pourrait y intervenir activement pour y réduire l’influence iranienne et pourrait créer sa propre zone d’influence. Il y aurait un volet militaire et un volet humanitaire avec l’aide médicale, l’aide matérielle. La réalpolitique est que la Russie restera et qu’Israël aurait beaucoup plus de facilités à traiter avec le Kremlin qu’avec Téhéran.

Ce pourrait être le moment de changer de stratégie, car nul ne sait ce que le président Biden décidera, envers la Syrie, la Turquie l’Iran et l’accord de 2015, les sanctions. Bref, il semble qu’il y ait actuellement une fenêtre favorable pour modifier les positions sur l’échiquier local. Reste à savoir ce que décidera éventuellement Israël entre maintien du statut quo ou reprise de l’initiative.

 

 

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