Pour comprendre pourquoi l’Arabie Saoudite revient à l’ordre du jour, il faut comprendre les intérêts derrière l’accord maritime avec le Liban signés par le gouvernement Benett-Lapid.
Cette semaine, suite à une conversation intéressante que j’ai eue avec un ami analyste senior dans les Cercles de la défense, je vais tenter une interprétation géopolitique dans le contexte de l’accord de paix tant attendu avec l’Arabie saoudite ; et en même temps essayer d’expliquer la vision du Moyen-Orient de Benjamin Netanyahou.
L’accord naissant avec l’Arabie saoudite, s’il se concrétise bientôt, aura deux principaux axes d’influence dont le premier est l’axe russe.
Les États-Unis sont au milieu d’un processus de sortie du Moyen-Orient, qui dure depuis l’époque de Bush Jr. La Russie est entrée dans le vide laissé, ce qui renforce sa position dans la région et prend lentement le contrôle de tous les pays qui fournissent de l’uranium aux États-Unis. Le dernier d’entre eux, le Niger, est en plein coup d’État militaire avec le soutien de la Russie. À ce jour, 9 % de l’uranium des États-Unis proviennent d’importations, d’abord du Kazakhstan, puis du Canada, ensuite l’Afrique et enfin la Russie.
La position régionale de la Russie est remise en question, notamment au vu de l’avancée de la guerre en Ukraine. L’Occident s’est appuyé sur les Ukrainiens pour parvenir à une décision sur le front des combats d’ici la fin de l’été, mais ce plan ne progresse pas comme ils l’avaient prévu. Les Russes parviennent à conserver la ligne de fortifications malgré l’armement massif de l’ouest de l’Ukraine. Mettre fin aux combats dans un accord de cessez-le-feu sur les lignes actuelles renforcera considérablement la position de la Russie parmi les pays de l’axe sunnite, en raison de l’actuel armement russe.
Le deuxième axe, ce sont les élections aux États-Unis. Le 23 août, la saison des primaires commencera. Comme en Israël, la campagne électorale américaine s’accompagne d’une menace judiciaire. D’une part, l’enchevêtrement judiciaire de Trump, et d’autre part les accusations de corruption contre le président Biden. Jusqu’à présent, les médias américains n’ont guère traité des accusations portées contre le président Biden. Mais le comité d’audit du Congrès recueille des documents et en a téléchargé un certain nombre sur son site web. Lorsque le Congrès reprendra sa session d’automne en septembre, le flux de nouvelles liées aux accusations augmentera et servira de cadre à toutes les actions des Républicains dans l’année à venir.
Les réseaux démocrates, comme ABC, CNN et MSNBC, ne couvriront pas la question dans un premier temps, mais les réseaux sociaux – et notamment X (ex-Twitter) – et les chaînes de radio feront avancer l’histoire. Le Parti démocrate tentera de resserrer les rangs, mais les indépendants et les démocrates tièdes prêteront pas mal d’attention aux accusations portées contre le président de l’establishment. Les processus électoraux internes du parti chez les démocrates seront plus intéressants que ceux des républicains. Et ne soyez pas surpris si nous arrivons à une procédure de destitution contre Biden.
Et qu’en est-il de l’Arabie Saoudite ?
Nous avons déjà été dans ce scénario, sous l’administration Trump. Les accusations contre le président terniront la politique étrangère de l’administration Biden, – de facto de la troisième administration Obama –, et nuiront aux chances de conférer à Biden une grande réussite en matière de politique étrangère.
Première condition à tout cela : le respect par les États-Unis des accords sur le commerce des armes entre les Saoudiens et l’administration Trump que Biden a gelés. Netanyahou pourrait essayer d’aider les Saoudiens à y parvenir. Une réalisation limitée, qui peut être attribuée aux républicains, pas à Biden.
Ben-Shehi affirme que les Iraniens traîneront et obtiendront des succès intermédiaires. Par exemple, comme la récente réalisation – la libération de cinq prisonniers au prix de la libération de fonds détenus en Corée du Sud. Les Iraniens, qui sont un miroir pour les Saoudiens, prévoient une perte des démocrates lors des élections, d’où leur pression pour parvenir à un accord. Mais les Iraniens attendront aussi jusqu’en novembre pour les résultats en Ukraine.
Netanyahou passera le plus clair de son temps à raviver sa vision régionale du gaz. Dans ce but, il semble que Netanyahou soit prêt à céder aux Saoudiens sur la question nucléaire sachant bien que l’accord entre les puissances et l’Iran ne laisse pas d’autre choix à Israël. Lapid dira des sottises comme d’habitude, et les Saoudiens obtiendront ce qu’ils veulent d’une manière ou d’une autre. Il y a des Chinois. Il y a des Russes. Il y a une bombe pakistanaise. La reconnaissance du droit iranien à enrichir l’uranium a provoqué une course nucléaire régionale, c’est cela la réalité. Obama n’a pas écouté. La Turquie construit déjà un réacteur et enrichira seule l’uranium. L’Égypte construit, l’Algérie construit et l’Arabie saoudite le fera aussi.
Combien de discussions y a-t-il eu au Cabinet avant la décision d’annuler le projet énergétique commun avec les pays du Golfe ?… Zéro !
Sous le mandat précédent, Netanyahou avait une vision régionale du gaz. Netanyahou s’appuie sur le développement économique de la région et, en cours de route, sur une alliance de défense régionale. Sur le plan économique, par exemple, les installations de dessalement israéliennes qui conduiront à un développement au cœur du désert. La vision régionale du gaz faisait partie des dividendes que l’État d’Israël devait récolter après les accords d’Abraham. Cette vision avait plusieurs partenaires : les Émirats, les Saoudiens, les Chypriotes, les Grecs et les Américains.
La vision avait plusieurs objectifs : l’un d’eux, en coopération avec les Américains, était de produire une alternative au Nordstream 2 (paix à son âme), de réduire l’exposition européenne au gaz russe et de renforcer la position d’Israël aux dépens de l’Iran et de la Turquie. Cette vision était multipartite : dans un premier temps, acheminement de sources d’énergie vers Eilat et utilisation des infrastructures du pipeline Eilat-Ashkelon. Dans la deuxième phase, un nouveau chemin de fer et un gazoduc devaient être construits des rives du Golfe jusqu’à Ashkelon et Haïfa. La troisième étape était l’interfaçage de toutes les étapes du pipeline et qui était censé conduire le tout vers la Grèce et le sud de l’Italie.
Passons maintenant à la partie mystère
Peu de temps après l’investiture du gouvernement Bennett, le 25 juillet 2021, le ministère de la Protection de l’environnement gèle l’accord entre le pipeline Eilat-Ashkelon et l’Émirati Med-Red. Le 16 décembre, alors qu’il y a une requête à la Haute Cour, l’État répond qu’il n’a pas l’intention d’intervenir. Début 2022, l’administration Biden annonce qu’elle retire son soutien à l’East Med, après avoir levé ses sanctions sur Nordstream 2 et l’ensemble du projet s’effondre.
L’annulation du projet et le gel américain des accords de commerce d’armes de l’administration Trump avec l’Arabie saoudite sous le gouvernement Bennett ont non seulement conduit à la mort du projet, mais ont également poussé les Saoudiens à renouer des liens avec les Iraniens. L’une des alternatives que l’administration Biden préconise pour le projet depuis un certain temps est un gazoduc irano-irakien-syro-libanais (dont fait partie l’accord gazier entre Israël et le Liban), qui acheminerait l’énergie iranienne vers l’Europe et renforcer sa position dans la région.
Savez-vous combien de discussions il y a eu au cabinet avant la décision d’annuler le projet énergétique conjoint avec les pays du Golfe ? Zéro. Il n’y a pas eu de travail d’état-major, aucune alternative n’a été présentée aux membres du gouvernement ou du cabinet alors que la loi l’exige. Il n’y a rien eu1. Alors que l’establishment de la sécurité s’est déshonoré et a été crédité de l’accord gazier de voisinage avec le Liban de Nasrallah, le plus grand projet de l’État d’Israël au cours des 50 dernières années, avec un impact direct sur les relations étrangères avec les États-Unis, la Russie, l’Arabie saoudite et l’Europe, est annulé sans le minimum du minimum de la part de ceux qui crient « démocratie ! ».
Et Netanyahou homme d’État, géant parmi les nains, tente désormais de restaurer les ruines.
ES
Erel Segal, IsraelHayom
Traduction : Michel Grinberg
1 Le gouvernement Lapid a refusé de saisir la Knesset du projet alors qu’il y a eu cession à un pays ennemi d’une très grande superficie de la zone maritime économique d’Israël. Qui plus est, cette même conseillère du Gouvernement, Gal Beharav-Miara, a jugé que le gouvernement était libre d’agir ainsi alors, qu’au quotidien, elle refuse à un ministre le renvoi d’un haut fonctionnaire désobéissant (note du traducteur MG).