Gordon Thomas, le Mossad, les nouveaux défis. Enquête

Gordon Thomas, le Mossad, les nouveaux défis. Enquête

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Illustration : Yossi Cohen, l’actuel dirigeant du Mossad

Maurice-Ruben Hayoun
Après l’Histoire sécrète du Mossad, voici un nouvel ouvrage qui complète parfaitement 
ce que cet auteur nous avait appris précédemment.

Le titre comporte aussi un détail qui conserve toute son importance quand on commence la lecture, c’est le terme : enquête. Gordon Thomas (un nom d’emprunt ou de plume ?) a mené rondement son enquête, puisant aux meilleures sources, notamment celles du Mossad qui lui a largement accordé sa confiance.

D’ailleurs, l’un des chefs de cette vénérable et redoutable institution, Méir Dagan qui a la préférence de notre auteur aurait pu figurer auprès de lui comme co-auteur, tant il est nommé, cité et décrit à longueur de pages.

L’impression qui s’est imposée à moi à la fin de cette instructive lecture est que le Mossad est le couteau suisse de tous les gouvernements israéliens, quelle que soit leur orientation, à droite ou à gauche.

Lorsque les fonctionnaires du ministère des affaires étrangères ne veulent pas ou ne peuvent pas accomplir une mission, on se tourne vers le chef du Mossad qui prend les contacts nécessaires.

C’est valable aujourd’hui encore : au moment où je rédige, c’est Yossi Cohen, l’actuel chef de cet Institut, qui négocie avec le Qatar l’argent à distribuer aux indigents de la bande côtière de Gaza. Et ce n’est pas la première fois. Enfin, il y a de nombreuses années, ce fut déjà Méir Dagan qui effectua un voyage éclair en Chine afin de régler un problème entre les deux pays.

Difficile de résumer tout ce que relate ce beau livre, écrit certes, avec de la bienveillance mais sans parti pris. Ce sont deux choses différentes. Ce qui me frappa, c’est l’étendue du spectre dont dispose cet institut qui veille non seulement sur la sécurité d’Israël, mais disons le sans exagération, sur la survie du pays des Juifs. Cela fait penser au verset d’un Psaume célèbre qui dit ceci : D’ ne somnole ni S’endort, tant Il est le gardien d’Israël.

L’Etat d’Israël n’aurait sûrement pas survécu aux attaques et aux projets de destruction qui le menacent depuis le jour de sa naissance, n’étaient la grande efficacité et le professionnalisme de ce glaive qui n’est jamais dans son fourreau.

Il est toujours brandi au-dessus de la tête de ses ennemis qu’il poursuit souvent jusqu’à leur élimination. En une phrase, la réputation de ce service secret n’est plus à faire puisque des gouvernements de grandes puissances l’associent souvent à leurs recherches pour découvrir les commanditaires d’attentats ou l’identité des criminels qui agissent contre leurs intérêts…

Mais il y a un point sur lequel je me suis posé quelques questions, et c’est un point qui figure au tout début de ce livre : selon l’auteur, le Mossad se serait allié aux services spéciaux chinois pour dérober des documents secrets américains concernant la bombe atomique.

Cela me paraît invraisemblable et n’aurait, de toute façon, jamais été pardonné par les USA. Je pense que l’auteur n’a pas recoupé ces informations avec d’autres renseignements provenant d’autres sources..

En revanche, il est fondé à dire que sur la requête de l’allié US, Israël a dû annuler des livraisons de matériels informatiques jugées trop sensibles par Washington. Ce dédit a coûté aux industries de pointe israéliennes des dizaines de millions versés aux autorités chinoises.

En revanche, que le Mossad soit intervenu auprès des chinois afin de dissuader la Corée du Nord de se lancer dans la fabrication d’armes chimiques et bactériologiques, cela paraît parfaitement possible. Surtout en raison de ses connexions avec le régime des Mollahs…

Le Mossad a des antennes partout dans le monde, plus encore que ce que l’on croit communément, si l’on s’en tient à ce que décrit le présent ouvrage. Ceci s’explique par le surcroît d’ennemis du peuple et de l’Etat d’Israël.

Comptant sur des milliers d’informateurs, pas tous nécessairement juifs, d’ailleurs, de par le monde, le Mossad recueille toutes sortes d’informations susceptibles de l’intéresser : c’est ainsi qu’il a pu suivre et identifier les collaborateurs les plus proches du père de la bombe pakistanaise, observer chez eux leurs faits et gestes, ainsi qu’à l’étranger : ce sont eux qui ont aidé la Corée du Nord laquelle a mutualisé ses profiys dans le domaine nulcéaire avec le régime des mollahs iraniens.

Même Ben Laden a intéressé le Mossad qui détenait sur le commanditaire des attentats du 11 septembre des informations très sensibles. Suite à un cataclysme naturel dans le no man’s land entre le Pakistan et l’Afghanistan, les services ont intercepté une conversation entre le terroriste en chef et sa mère qu’il priait de l’excuser car il ne serait pas présent à son anniversaire !

Donc, les informations qui le donnaient pour mort étaient fausses. Il était bien vivant, car il communiquait avec son fils aîné qu’il jugeait digne de lui succéder. Ce fils a récemment, en 2010, été tué par la CIA.

D’autres secteurs du monde intéressaient et intéressent toujours le Mossad, notamment l’Iran des Mollahs avec sa névrose anti-israélienne.

L’auteur raconte en détails la frappe préventive envisagée par les Israéliens contre ce pays qui s’était juré leur perte. On dit que sur un bâtiment officiel de Téhéran, on peut lire un message en lettres géantes : Israël doit brûler…

Le Mossad développe aussi de nombreuses guerres psychologiques afin de discréditer les ennemis de l’Etat d’Israël, en l’occurrence Yasser Arafat qui aurait largement profité, à titre personnel, des dons financiers internationaux qui auraient dû profiter aux masses palestiniennes. Certains de ses proches ont même été invités par la justice française à rendre des comptes.

Ce qui m’a le plus frappé ici, c’est le portrait brossé du l’ancien président iranien, Mahmoud Ahmanihenjadh qui avait fait carrière dans les gardiens de la révolution avant d’occuper les fonctions de chef d’Etat après avoir battu Rafsandjani, plus ouvert à une entente avec l’Occident.

On voit évoluer sous nos yeux un homme victime d’obsession, notamment la venue du Mahdi, qui signerait l’aube de la domination musulmane sur le monde. Il y croyait vraiment et vénérait le martyre, l’encourageant de toutes ses forces.

On peut avancer sans trop de risque de se tromper que la surveillance de l’Iran et les activités d’espionnage dans ce pays revendiquent, avant tout le reste, l’attention vigilante du Mossad.

Lequel semble disposer de bien des sources sur place ou dans le voisinage. Mais cette animosité mortelle de l’Iran vis-à-vis de l’Etat juif a des retombées positives : les Etats arabes modérés (il y en a) collaborent avec Israël en cachette car ils se sentent menacés par le pays des Mollahs qui rêve de jouer le rôle si envié de gardien des lieux saints. Ce qui revient en clair à neutraliser l’Arabie Saoudite… Une telle action déséquilibrerait le rapport de forces dans la région et ne serait jamais permis par Washington.

L’auteur consacre des pages éclairantes au rôle de l’Arabie dans la région : le pays des Ibn Saoud finançait longuement le terrorisme en faisant mine de le combattre. Les attentats du 11 seeptembre l’ont prouvé.

Mais l’Arabie a soudain changé de pied quand elle s’est rendue compte que les Iraniens, d’un côté, Al-Quaida, de l’autre, ne feraient preuve d’aucune clémence à l’égard des familles princières régnantes. D’où le rapprochement très marqué avec Israël avec des allées et venues afin de brouiller les cartes et ne pas trop indisposer les Palestiniens…

Au moment où je rédige, depuis hier, on appris la décision historique des Emirats Arabes Unis de normaliser leurs relations avec l’Etat hébreu. Le terme normaliser doit être examiné avec soin ; on ne parle pas de traité de paix puisque l’état de belligérance était virtuel, limité à une rhétorique guerrière verbale. Sans faire preuve d’un excès d’optimisme , c’est un tournant historique dont il faut créditer le Premier Ministre Benjamin Netanyahou et aussi le président Donald Trump.

Le Mossad a été associé à maintes opérations anti-terroristes montées par des services occidentaux amis, notamment la CIA et le MI6 anglais. Il a bénéficié des aveux arrachés sous la torture des prisonniers afghans ou d’Al-Quaida.

Tout le monde a eu vent de ses sites noirs où l’on disparaissait après avoir donné les informations dont on disposait. Les descriptions des moyens de coercition sont horrible, mais cela pose un problème de philosophie éthique : doit-on permettre que la vie de civiles innocents soit menacé et traiter humainement les suspects ou déployer des moyens que la morale, que l’éthique réprouvent ?

Je ne me sens pas en mesure de trancher, même si je souhaite que nos vies soient épargnées. Le Mossad n’a pas, nous dit-on, participé à ces interrogatoires musclés mais a pris connaissance de toute information susceptible de l’intéresser…

Le monde du renseignement est certes fascinant mais aussi fort angoissant, surtout quand on lit les menaces de guerre chimique et bactériologique pesant nos démocraties comme une redoutable épée de Damoclès.

Après tout, les terroristes islamistes avaient projeté d’introduire aux USA une bombe dite sale, capable de créer un désastre inouï dans le pays. Il a bien fallu poursuivre et arrêter le cerveau de toute l’opération. Je doute qu’il ait livré ce qu’il savait si on lui avait parlé avec douceur…

(A suivre)

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

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