L’événement ne se revendique pas officiellement comme tel et joue justement sur les limites de la loi pour passer entre les mailles du filet.
ALLEMAGNE – Un festival de musique aux initiales douteuses, une date éloquente, un organisateur controversé et des participants très « patriotes ». La tension monte à Ostritz, en Allemagne à la frontière avec la Pologne. Ce vendredi 20 avril et pendant deux jours, cette petite ville va accueillir un festival particulièrement décrié dans tout le pays: le rassemblement de centaines de personnes se revendiquant « nationalistes », « patriotes » ou d’extrême droite pour écouter de la musique. Le tout, organisé -tout à fait « fortuitement »- le jour de l’anniversaire de la naissance d’Adolf Hitler.
Plus de 800 personnes, venues d’Allemagne mais aussi de Pologne et de République tchèque, sont attendues pour le festival « Shield and Sword » (le bouclier et l’épée), « SS » en abrégé. Un regroupement de « néonazis », dans le but de « célébrer l’anniversaire d’Hitler », selon les médias allemands. L’événement est organisé sur un terrain privé appartenant à l’un des membres du NPD, le parti d’extrême droite allemand. Au programme: spectacles d’arts martiaux, concerts et discours politiques des membres du parti, dont son ancien président Udo Voigt, explique Welt.
À l’annonce de la programmation, une quarantaine de maires de la région s’est battue pour l’annulation de l’événement. « Nous ne voulons et nous n’avons pas besoin d’un festival d’extrême droite ici! Ni à Ostritz, ni ailleurs! Ceux qui remettent en question les Droits de l’Homme, qui luttent contre la démocratie et le pluralisme ne sont pas les bienvenus ici », ont-il argué dans un communiqué relayé par les médias. En vain.
Hélène Miard-Delacroix et Valérie Dubslaff professeures en études germaniques, ont expliqué au HuffPost comment un tel événement pouvait avoir lieu aujourd’hui en Allemagne.
« C’est la faille de la démocratie. Avant que l’événement ait lieu, on ne peut rien faire car l’Allemagne est un État de droit et les citoyens ont le droit de manifester, de se réunir comme ils le veulent », nous explique Hélène Miard-Delacroix, professeur des universités à la Sorbonne, spécialiste de l’Allemagne contemporaine.
En effet, les organisateurs et ses participants ne se revendiquent pas officiellement comme « néonazis » ou ne présentent pas leur festival comme l’occasion de fêter la naissance d’Hitler, car, comme en France, l’incitation à la haine raciale et l’apologie de crime contre l’humanité sont punis par la loi. « Ils se disent ‘patriotes’ ou ‘nationalistes’, ils jouent sur les mots pour échapper à la loi et passer entre les mailles du filet », explique pour sa part au HuffPost Valérie Dubslaff, professeur en études germaniques à l’université de Caen.
De plus, nous précise-t-elle, « le festival se déroule sur une propriété privé, dans un complexe hôtelier. Impossible pour les autorités d’intervenir sur place et de s’assurer que des pratiques illicites ont bien été réalisées ».
Ce n’est qu’une fois le festival passé que la justice allemande pourra enquêter et constater si pendant l’événement, des gestes prohibés, comme le salut nazi, ou des paroles faisant l’apologie du régime nazi ont été prononcées.
En juillet 2017, à Themar, un festival de rock d’extrême droite, qui devait initialement accueillir quelques centaines de personnes, a regroupé près de 6000 personnes. S’il n’a pu être annulé par la mairie, l’événement et ses organisateurs sont aujourd’hui sous le coup d’une enquête pour déterminer le réel contenu de la manifestation. En effet, plusieurs vidéos montrant la foule faire le salut hitlérien ont déclenché une enquête (voir photo ci-dessus).
Même si au regard de la loi cet événement n’est pas condamnable, aux yeux des Allemands, il n’est pas question de laisser passer le festival sans se battre. En effet, près d’un millier de contre-manifestants sont attendus dans la région et cinq contre-événements ont été créés pour l’occasion, dont un « festival printanier » organisé par la commune d’Ostriz. Selon le média Welt, les forces de l’ordre se préparent à « l’une des plus grandes opérations de police de la Saxe orientale de ces dernières années », pour empêcher les heurts contre festivaliers d’extrême droite et manifestants.
Sur Twitter, la police de Saxe renseigne les riverains sur l’opération à venir.
289 événements rien que cette année
« Ce genre de regroupement existe depuis les années 80. Ce n’est que depuis ces dernières années que la tendance s’accentue, nous explique Valérie Dubslaff. Pour preuve, en 2017, de janvier à juin, il y en a eu 134. Cette année, simplement de janvier à avril, il y en a eu 289 ». « D’ailleurs, la région de la Saxe, là où se déroule le festival, est le fief de l’extrême droite allemande. Ils n’ont pas choisi l’endroit au hasard », souligne-t-elle.
Une analyse corroborée par Der Spiegel: le nombre d’événements organisés par l’extrême droite a largement augmenté depuis plusieurs années. Il est même « à son plus haut niveau depuis 2005 », assure le média. D’après le Berliner Zeitung, en 2017, le nombre de concerts d’extrême droite dans la seule région de la Saxe a doublé pour atteindre au moins 46 par rapport à l’année 2016. Une grande partie a eu lieu dans le district de Görlitz, là où a lieu le « Shield and Sword ».
Pour Welt, si ce festival n’est finalement pas épinglé par les autorités, « il devrait être le prélude à toute une série d’événements de ce type ». Les organisateurs ont d’ailleurs déjà annoncé une deuxième date pour novembre cette année.
« Ces concerts sont un bon moyen pour l’extrême droite de fidéliser les jeunes, explique au HuffPost Valérie Dubslaff. Grâce à ces événements, les ados créent des liens et ont l’impression de faire partie d’un tout. Ce phénomène s’est amplifié avec la crise des réfugiés en 2015, l’apparition du mouvement Pegidaet l’arrivée au Parlement européen du NPD. L’extrême droite se sent pousser des ailes et ça se traduit par la propagation de ces événements controversés ».
Source www.huffingtonpost.fr