Pourquoi les États-Unis donnent-ils carte blanche à Erdogan ?

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L’administration Trump se fait silencieuse sur la question des violations des droits de l’homme par Ankara, en comparaison à d’autres régimes.

« Avant tout, nous arracherons la tête de ces traîtres. » À l’occasion de la commémoration du premier anniversaire du putsch raté du 15 juillet 2016, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a donné le ton sur le sort réservé aux putschistes. C’est donc dans un contexte de violence verbale affichée que s’est ouvert hier le plus grand procès de près de 500 putschistes présumés dans la prison de Sincan, non loin d’Ankara.
Depuis le décret instaurant l’état d’urgence dans le pays il y a un an, les purges se sont enchaînées, visant des personnes soupçonnées d’avoir contribué au putsch manqué au sein de l’administration, de l’armée ou encore des médias. Les chiffres donnent le tournis : 46 000 personnes ont été mises en détention et près de 100 000 ont été congédiées ou suspendues de leur poste.

Mais le climat général est un peu plus tendu encore ces derniers mois alors que la répression s’intensifie à l’égard des pro-Kurdes et des critiques de M. Erdogan. Pas plus tard que la semaine dernière s’ouvrait également le procès de 17 journalistes et collaborateurs du journal Çumhuriyet accusés d’avoir aidé des « organisations terroristes armées », notamment le mouvement de Fethullah Gülen, ennemi du président turc exilé aux États-Unis.

Face à cette politique répressive, la communauté internationale n’est pas restée silencieuse. Les déclarations des Nations unies, de l’Union européenne et des ONG se multiplient pour dénoncer les violations des droits de l’homme dans le cadre de cette chasse aux opposants (usage de la torture sur les personnes incarcérées, entraves à la liberté d’expression, incitation à la violence). Les conditions dans lesquelles s’est déroulé le référendum sur la présidentialisation du système politique, remporté d’un cheveu par M. Erdogan en avril dernier, ont également suscité de fortes critiques sur la scène internationale.

Le cas Trump

Mais un acteur majeur de cette scène s’est démarqué sur la question. Le président américain Donald Trump s’est empressé de féliciter M. Erdogan pour sa victoire à l’issue du référendum. Suite à ces félicitations, la directrice d’Amnesty International États-Unis, Margaret Huang, avait estimé que « cette attitude reflète le mépris du président Donald Trump à l’égard des droits humains ». « Fouler aux pieds les libertés des journalistes et des manifestants n’offre aucune raison de se réjouir », avait-elle déclaré.
Et peu avant la première rencontre à Washington le 16 mai entre les dirigeants américain et turc, M. Erdogan avait renchéri, déclarant être « convaincu » qu’il écrirait avec M. Trump « une nouvelle page dans les relations turco-américaines ». À l’occasion de cette visite, le président turc avait également salué le « triomphe légendaire » de Donald Trump lors de l’élection présidentielle américaine le 8 novembre 2016 tandis que le locataire de la Maison-Blanche avait volontairement omis d’évoquer le sujet des droits de l’homme en Turquie.

« La vision des deux hommes sur le pouvoir présidentiel converge et notamment leur hostilité envers la presse », observe Corentin Sellin, spécialiste de la politique américaine, contacté par L’Orient-Le Jour. « Après cette rencontre, M. Erdogan a bien compris qu’il n’aurait pas de problème sur la question des droits de l’homme avec Donald Trump », poursuit-il.
« Tous les deux sont des leaders populistes charismatiques, au sens wébérien du terme », précise pour L’OLJ Jana Jabbour, professeure de sciences politiques à Sciences Po (Paris) et à l’USJ (Beyrouth), et auteure du livre La Turquie : l’invention d’une diplomatie émergente (Paris, éditions du CNRS, 2017). « Ce sont des leaders souverainistes, qui entendent défendre coûte que coûte les intérêts de leur pays et redonner à ceux-ci une place importante sur la scène internationale : en ce sens, le « Making America Great Again » de Trump ressemble au slogan « Buyuk Millet, Buyuk Huc » (Grande nation, Grand objectif) du Parti de la justice et du développement (AKP) et d’Erdogan », ajoute-t-elle.

Carte blanche

La différence de traitement entre M. Erdogan et d’autres régimes ne respectant pas les droits de l’homme est dès lors flagrante. L’exemple le plus récent ne remonte qu’à hier, les États-Unis ayant imposé de nouvelles sanctions à l’encontre du « dictateur » vénézuélien, Nicolas Maduro. Interrogé sur la différence entre M. Erdogan et M. Maduro, le conseiller à la Sécurité nationale, le général H.R McMaster, a estimé que M. Maduro a « rejoint les rangs de Bachar el-Assad et de Kim Jong-un sur la répression brutale ». Une justification qui a laissé perplexes de nombreux commentateurs américains.
Si le dernier rapport annuel du département d’État américain sur les droits de l’homme pointe pourtant du doigt les violations perpétrées par le régime turc, « l’administration Trump ne les reprend pas à son compte », constate Corentin Sellin.

Et au-delà de la relation personnelle qu’entretiennent les deux dirigeants turc et américain, il convient de rappeler le statut d’allié de la Turquie (et deuxième plus grande armée de terre de l’OTAN) dans la lutte contre le groupe terroriste État islamique en Syrie pour les États-Unis. Les forces américaines, qui disposent d’une base militaire à Inçirlik dans le sud de la Turquie, « ont besoin de la Turquie sur le plan stratégique, militaire et politique », estime Jana Jabbour. Selon la chercheuse, « Donald Trump entend » sous-traiter « le dossier syrien (et plus généralement les conflits du Moyen-Orient) aux puissances régionales en place, afin de pouvoir libérer les États-Unis du » fardeau « moyen-oriental et permettre au pays de se concentrer sur la montée en puissance de la Chine et les défis intérieurs ». « Erdogan sait que les Américains ne peuvent pas le contrarier car ils ont besoin de lui… Cela lui donne en quelque sorte une « carte blanche » », conclut-elle.

Source www.lorientlejour.com

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