Espionnage : les nouvelles guerres du Mossad

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Marc – JForum

Espionnage : les nouvelles guerres du Mossad

Par Vincent Nouzille

ENQUÊTE – Réputé mondialement pour son audace, le service secret israélien a traversé ces dernières années une zone de turbulences : échecs, méfiance, conflits avec le premier ministre. Mais Benyamin Netanyahou a nommé un de ses fidèles à la tête du Mossad. C’est lui qui a désormais toute latitude pour mener la guerre secrète sans merci contre l’Iran, le principal ennemi.

« Depuis que le président Trump est au pouvoir, c’est très plaisant pour nous. Il différencie encore plus clairement qui sont les bons et qui sont les méchants ! » Invité le 22 octobre à une conférence organisée à Jérusalem par le ministère israélien des Finances, Yossi Cohen est sorti, de manière surprenante, de la réserve liée à sa fonction. Souriant, décontracté, l’homme qui dirige depuis début 2016 le Mossad, le service de renseignement extérieur israélien, a vanté publiquement les mérites du président américain, lequel a dénoncé l’accord international sur le nucléaire iranien signé en 2015 et fustige l’Iran comme un Etat terroriste. Le chef du Mossad applaudit sans retenue, puisque c’est exactement ce qu’il pense, tout comme le premier ministre Benyamin Netanyahou. Les «méchants» sont désignés et les «bons» doivent les combattre. Tant pis pour les nuances diplomatiques. Car le Mossad est en guerre. Contrairement à ses homologues des services secrets occidentaux, souvent plus discrets, Yossi Cohen, lui, ne s’en cache pas: «Un ami américain m’a demandé récemment ce qui se passerait si l’Iran était battu. Je lui ai répondu que si nous battions l’Iran, je serais au chômage, mais que si l’Iran n’était pas battu, je serais probablement sans domicile fixe…»

Un faucon sécuritaire proche de Netanyahou

Le maître espion du Mossad est ainsi: décomplexé. Et il a, pour le moment, la confiance de son ami Benyamin Netanyahou qui l’a nommé à ce poste stratégique après des années de frictions entre les patrons de ce service et le premier ministre. Vétéran du Mossad où il a grimpé les échelons durant trois décennies jusqu’au poste de numéro 2 – il était alors identifié sous le pseudonyme «Y» -, Yossi Cohen avait été appelé par Netanyahou en 2013 pour être son conseiller à la sécurité nationale, avant d’être propulsé à la tête du Mossad. Surnommé «le modèle» à cause de son allure soignée de play-boy, ce quinquagénaire polyglotte – qui parle notamment l’arabe et le français – est un religieux traditionaliste et, surtout, un faucon sécuritaire. «Sa proximité avec Netanyahou facilite les choses», estime David Elkaïm, analyste au Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), auteur d’une Histoire des guerres d’Israël (Tallandier). « Cohen a un background exceptionnel, qui le qualifie notamment pour la partie de jeu d’échecs que nous menons avec l’Iran », ajoute un expert israélien.

«David montre sa force»

L’heure des opérations les plus audacieuses est revenue, que ce soit pour assassiner en Malaisie un scientifique palestinien membre du Hamas en avril 2018, ou pour aider secrètement les Egyptiens à combattre l’Etat islamique dans le désert du Sinaï ces derniers mois. Bien sûr, le Mossad n’avait jamais stoppé ses activités clandestines. Depuis sa création en 1949, l’Institut pour les renseignements et les affaires spéciales – son nom complet – a accumulé les coups d’éclat, au point d’être considéré comme l’une des agences de renseignement les plus efficaces et redoutées de la planète. Avec la capture en Argentine de l’ancien dirigeant nazi Adolf Eichmann en 1960 et la traque des responsables présumés de la tuerie des athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich en 1972, le Mossad s’est bâti une réputation de service aussi intrépide qu’implacable. «Cette image est un peu surfaite, car le Mossad a connu également pas mal d’échecs, mais la communication autour de certaines de ses actions contribue à une forme de dissuasion. C’est David qui montre sa force», explique un ancien officier du renseignement israélien.
Cependant, depuis deux décennies, le Mossad semblait plus controversé et plus maladroit. En septembre 1997, deux de ses agents sont arrêtés en Jordanie après qu’ils eurent empoisonné sur place Khaled Mechaal, l’un des dirigeants politiques exilés du Hamas, le mouvement islamiste qui contrôle la bande de Gaza. Cet incident provoque une crise diplomatique entre Jérusalem et le royaume jordanien. Le premier ministre en poste – déjà Benyamin Netanyahou – est obligé d’envoyer en urgence l’antidote à Amman pour sauver la vie de Mechaal et calmer la fureur du roi Hussein. Suite à ce fiasco, le patron du Mossad, le général Danny Yatom, est poussé vers la sortie. Son successeur, Ephraïm Halevy, adopte un profil bas.

Dès 2002, le premier ministre Ariel Sharon veut un service «avec un couteau entre les dents» alors que de nombreux attentats kamikazes frappent les Israéliens

Gros raté à Dubaï

L’arrivée du général Meïr Dagan, un solide baroudeur, vétéran de l’armée, à la tête du Mossad en 2002 réveille la maison. Le premier ministre Ariel Sharon veut un service «avec un couteau entre les dents», alors que de nombreux attentats kamikazes frappent les Israéliens. «Dagan a remis la maison en ordre de marche. Il était partisan des assassinats ciblés et d’autres actions offensives», commente Eric Denécé, le directeur du CF2R, coauteur du livre Les Services secrets israéliens (Tallandier). Dagan trébuche néanmoins suite aux ratés d’une grosse opération en février 2010. Arrivée à Dubaï avec des faux papiers, une équipe de plus de vingt agents du Mossad exécute un responsable palestinien du Hamas, Mahmoud al-Mabhouh, dans la chambre qu’il occupe à l’hôtel Al Bustan. Mais les caméras de surveillance de l’établissement filment les espions israéliens dans les couloirs. Les autorités policières de Dubaï prennent un malin plaisir à rendre publiques ces vidéos, en accusant le Mossad de meurtre. Le service est dans le collimateur.

Le directeur du Mossad est de plus en plus en froid avec le premier ministre Benyamin Netanyahou. Lorsque ce dernier annonce, fin 2010, qu’il envisage sérieusement de lancer l’opération «Eaux profondes», autrement dit un bombardement aérien massif des installations nucléaires iraniennes, Meïr Dagan exprime son désaccord. Les ponts sont rompus. Malade d’un cancer, Dagan quitte son poste. À la retraite, il ne mâche pas ses mots pour fustiger publiquement les plans de Netanyahou contre l’Iran, jugés très dangereux pour la région. «C’est le projet le plus stupide que j’ai jamais entendu», clame Dagan en 2011. C’est la première fois qu’un ancien directeur du Mossad attaque aussi sévèrement un chef du gouvernement. Il ajoute à propos de Netanyahou: «Le fait que quelqu’un ait été élu ne signifie pas qu’il soit intelligent!» Quelques mois avant de mourir, début 2016, le vieux général réitérera ses critiques: «Depuis six ans, Benyamin Netanyahou est au poste de premier ministre. Six ans pendant lesquelles Israël n’a jamais été aussi bloqué.»

En charge des opérations clandestines

Son successeur à la tête du Mossad à partir de 2011, Tamir Pardo, un expert du terrorisme entré au Mossad en 1980, suit la voie tracée par son prédécesseur. Il n’a pas, lui non plus, sa langue dans sa poche. Même si son service est en pointe pour entraver les projets nucléaires iraniens, il s’oppose au déclenchement d’une guerre qui, selon lui, deviendrait vite incontrôlable. Surtout, il estime que le conflit non résolu avec les Palestiniens constitue une menace plus grave que l’Iran pour Israël. Sacrilège ! Netanyahou ne le supporte pas. C’est la raison pour laquelle il finit par l’écarter fin 2015 au profit de son homme de confiance, Yossi Cohen.

Pour les dirigeants israéliens, qui possèdent l’arme atomique depuis la fin des années 1960, aucun autre pays de la région ne doit pouvoir accéder à cet arsenal.

Netanyahou sait qu’il peut compter sur lui. Notamment pour affronter Téhéran. Car Yossi Cohen a eu, quand il était un cadre dirigeant du Mossad, la responsabilité de piloter certaines des opérations clandestines contre l’Iran. Cette guerre secrète a été menée sur plusieurs fronts depuis 2002. Dès cette époque, Ariel Sharon a chargé le Mossad de tout faire pour arrêter ou freiner au maximum le programme nucléaire des ayatollahs, lesquels ont déclaré à plusieurs reprises qu’ils voulaient rayer Israël de la carte… Pour les dirigeants israéliens, qui possèdent eux-mêmes l’arme atomique depuis la fin des années 1960, aucun autre pays de la région ne doit pouvoir accéder à cet arsenal susceptible de représenter une menace fatale. Grâce aux renseignements du Mossad, l’Etat hébreu a détruit la centrale irakienne de Tammuz en juin 1981 et il a bombardé en septembre 2007 le réacteur nucléaire d’Al Kibar, en Syrie.

Cyberattaques et explosions en série

En 2004, Cohen est propulsé à la tête des opérations du Mossad contre l’Iran, baptisées «plan Daniel». Associées à l’unité 8200 de l’armée, composée de spécialistes des interceptions et des cyberattaques, ses équipes réussissent à décoder certaines communications du gouvernement iranien. Avec l’aide de la NSA, l’agence américaine de surveillance électronique, ils auraient également mis au point un redoutable virus informatique dans le cadre d’une opération ultra-secrète. Nommé Stuxnet, ce virus va perturber gravement le fonctionnement des milliers de centrifugeuses de la centrale nucléaire iranienne de Natanz, qui enrichissent l’uranium. Une première version de Stuxnet augmente discrètement la pression des équipements, afin de les user plus vite que prévu. Une deuxième variante met hors de service les rotors des centrifugeuses. Le programme iranien est ainsi retardé de plusieurs années par ce virus, lequel se répand également dans de nombreuses installations en Iran, au point d’infecter plus de 30.000 appareils.

Le Mossad ne se contente pas de ces armes informatiques. Des explosions mystérieuses détruisent des avions transportant des officiers supérieurs iraniens et des sites de missiles en Iran. Avec l’aval du premier ministre Ehud Olmert, puis de son successeur Benyamin Netanyahou à partir de 2009, les services israéliens multiplient aussi les assassinats ciblés. Ils pratiquent de longue date ce type d’opérations contre des ennemis présumés, qu’ils soient palestiniens, irakiens, syriens, libanais ou iraniens: d’après le journaliste Ronen Bergman, auteur d’un livre de référence sur le sujet paru en janvier – Rise and Kill First (Penguin Random House) -, Israël a ainsi assassiné plus de personnes qu’aucun autre pays occidental depuis 1945. En février 2008, le Mossad, avec l’appui de la CIA, a réussi à tuer à Damas – grâce à une bombe télécommandée placée dans l’appuie-tête d’un siège de voiture – un vieil ennemi, Imad Mugnieh, le chef de la branche militaire du Hezbollah libanais, l’un des principaux alliés des Iraniens. Quelques mois plus tard, un commando de snipers israéliens a exécuté, depuis un bateau, le général Suleiman. Ce haut responsable syrien, qui supervisait des activités nucléaires de son pays, dînait ce soir-là avec des invités sur la terrasse panoramique de sa villa donnant sur la mer, près du port de Tartous.

«L’Iran est devenu plus agressif»

À chaque fois, le Mossad est accusé, sans jamais qu’il ne le revendique ou que le gouvernement israélien ne reconnaisse son rôle. Lorsque la communauté internationale signe, en juillet 2015, un accord avec l’Iran pour contrôler ses activités nucléaires en échange de la levée des sanctions, le Mossad ralentit ses assassinats. Cependant, Benyamin Netanyahou ne croit pas un instant que les ayatollahs respectent leurs engagements. Au contraire. «L’Iran a profité de la levée partielle des sanctions pour devenir plus agressif contre nous et plus interventionniste au Moyen-Orient, de la Syrie au Yémen», estime un haut responsable du renseignement israélien. Prenant les rênes du service début 2016, Yossi Cohen est chargé de surveiller les activités nucléaires secrètes iraniennes et d’entraver toutes les menaces contre Israël venant de Téhéran.

Vol de documents à Téhéran

Les actions clandestines reprennent de plus belle. Par une froide nuit de janvier 2018, des ombres furtives se glissent à l’intérieur d’un entrepôt qui semble désaffecté, dans le quartier Shorabad, au sud de Téhéran. En quelques minutes, les visiteurs nocturnes ouvrent des coffres-forts situés à l’intérieur du bâtiment, chargent des dizaines de dossiers dans une camionnette et disparaissent sans faire de bruit, prenant la route qui remonte vers le nord jusqu’à la frontière avec l’Azerbaïdjan, à six heures de trajet. Le Mossad vient de subtiliser en plein cœur de l’Iran plus de 50.000 pages de documents et près de 200 CD-ROM d’archives secrètes du programme nucléaire iranien.

Fier de cette opération préparée depuis deux ans, Benyamin Netanyahou dévoile, le 30 avril, ces classeurs et ces disquettes lors d’une allocution télévisée spectaculaire afin de convaincre l’opinion internationale que l’Iran n’a cessé de mentir sur son programme nucléaire. Ce show intervient juste avant que le président Donald Trump annonce sa sortie de l’accord nucléaire négocié en 2015 par la communauté internationale avec l’Iran. Selon les experts atomiques du monde entier, ces documents ne révèlent pas grand-chose de neuf. Mais, pour Benyamin Netanyahou, le Mossad a réussi une opération magistrale contre l’Iran. «C’était aussi une manière de dire aux Iraniens: voyez, nous pouvons agir où nous voulons, même à Téhéran. Aucun de vos secrets ne nous est inaccessible», précise un initié israélien. Le Mossad a d’ailleurs reçu les félicitations de certains services alliés – notamment des Français, avec lesquels ses relations sont parfois tendues – après que ceux-ci ont reçu des copies des principales informations dérobées à Téhéran.

Manipulation d’hommes d’affaires

La division Al-Qods, unité d’élite des Pasdarans, les Gardiens de la révolution, véritable pilier du régime iranien, mène la plupart de ces opérations clandestines à l’étranger. Forte de plusieurs milliers d’hommes, cette division est dirigée d’une main de fer par le général Qassem Soleimani. Proche du guide suprême Ali Khamenei, ce faucon iranien est devenu la bête noire du Mossad. En février 2008, à Damas, un sniper israélien l’avait dans sa ligne de mire au moment où Soleimani rencontrait son affidé Imad Mugnieh, le chef de la branche militaire du Hezbollah. Mais les Américains, partie prenante de cette surveillance, avaient donné leur feu vert uniquement à l’exécution de Mugnieh, pas à celle de Soleimani. Le haut gradé iranien a ainsi sauvé sa peau.

Le Mossad le regrette toujours. Car Soleimani orchestre des livraisons d’armes à ses alliés dans la région, comme le Hezbollah au Liban ou le Hamas et le Djihad islamique dans la bande de Gaza, qui sont autant d’ennemis pour Israël. Sa division Al-Qods s’est surtout illustrée à partir de 2014 en Irak, puis de 2015 en Syrie, venant au secours des forces loyalistes du régime d’Assad. Avec l’appui des Russes et des renforts du Hezbollah, le général Soleimani a combattu les rebelles islamistes et les opposants à Assad. «Il était omniprésent sur le terrain, sans se cacher. C’est le fer de lance de Téhéran», confie une source militaire israélienne. Qualifié en novembre 2018 dans CTC Sentinel, la revue de l’académie militaire américaine de West Point, comme «le général le plus puissant du Moyen-Orient», Soleimani a profité de ses succès pour établir des bases iraniennes au sud de la Syrie, à quelques kilomètres du plateau du Golan, occupé par les Israéliens depuis 1967. Ce sont autant de «lignes rouges» pour Netanyahou et le patron du Mossad. En septembre 2017, une usine de fabrication de missiles, en cours de construction en Syrie sous le contrôle de Soleimani, est frappée par un raid israélien. Deux mois plus tard, un centre d’entraînement de miliciens chiites subit le même sort. Soleimani réplique le 10 février 2018, en expédiant un drone militaire, équipé d’explosifs, dans l’espace aérien israélien, ce qui provoque aussitôt sa destruction et un raid de représailles.

Roquettes et bombardements

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