Le gouvernement conservateur polonais a entrepris de réécrire l’histoire de ce pays afin de se distancier des crimes antisémites de la Deuxième Guerre mondiale et de la période communiste qui a suivi. Cependant, ce travail de restauration de la mémoire nationale ne se fait pas sans rouvrir des blessures du passé.
Le vendredi matin, il y a foule au marché aux puces du quartier Kazimierz de Cracovie. Les badauds et les touristes se pressent autour des kiosques de breloques et de souvenirs.
Difficile d’imaginer que ce quartier très couru et branché de Cracovie était autrefois un faubourg très pauvre où se concentrait l’une des plus importantes minorités juives d’Europe centrale. Avant la Deuxième Guerre mondiale, quelque 60 000 Juifs vivaient à Kazimierz, soit le quart des habitants de Cracovie. Au total, la Pologne comptait à l’époque une population de 3 millions de Juifs.
En 1945, 90 % d’entre eux ont été exterminés, notamment au camp de concentration voisin d’Aushwitz-Birkenau, situé à une soixantaine de kilomètres de là.
Or, même si la population juive y est maintenant très modeste, on assiste, depuis quelques années, à un véritable renouveau de la culture juive à Cracovie. Des événements et des festivals viennent régulièrement souligner l’apport unique de la pensée et des traditions juives dans le patrimoine historique de la Pologne.
Le reportage de Frank Desoer est diffusé le 20 janvier à l’émission Désautels le dimanche sur ICI PREMIÈRE.
Le Centre communautaire juif de Cracovie, qui a ouvert ses portes il y a 10 ans, est certainement l’un des principaux foyers de cette revitalisation culturelle. Fait intéressant, la moitié de ses employés et bénévoles ne sont pas Juifs. C’est le cas notamment de sa directrice, Anna Golinska.
« On ne peut pas séparer l’histoire juive de l’histoire de la Pologne. C’est le devoir du peuple polonais de prendre soin de cet héritage. C’est pourquoi j’ai suivi des cours en études juives à l’Université Jagellone de Cracovie », raconte-t-elle.
La jeune génération dont je fais partie réalise l’ampleur de ce legs et fait de son mieux pour revitaliser cette communauté et pour se souvenir de son passé.
Au Centre communautaire, beaucoup de non-Juifs assistent aux causeries hebdomadaires sur la Torah, animées par le rabbin Avi Baumol. Ils veulent se réapproprier en quelque sorte un héritage culturel et religieux, longtemps dévalorisé, voire censuré en Pologne.
De nombreux Juifs polonais retrouvent aussi leurs racines. C’est le cas notamment de Marcjanna Kubala, 26 ans, qui n’a appris qu’à l’adolescence qu’elle était juive.
Des plaies historiques toujours vives
Au moment où la société civile polonaise réhabilite la mémoire et la culture juives, certains gestes du gouvernement nationaliste de droite du parti Droit et justice tendent à ranimer des tensions du passé.
Au printemps dernier, la loi sur l’Holocauste, visant à sanctionner toute tentative d’imputer à la nation ou à l’État polonais la responsabilité du génocide des Juifs commis au pays durant la Deuxième Guerre mondiale, a suscité de vives réactions, notamment de la part du gouvernement israélien.
Face au tollé, le gouvernement polonais a dû faire marche arrière en juin dernier. Mais selon l’historien et sénateur PiS (Droit et justice) Jan Zaryn, la loi sur l’Holocauste découlait d’un effort très louable pour restaurer la « véritable mémoire nationale de la Pologne ».
Nous voulons réécrire l’histoire de la Pologne parce que l’Europe, les États-Unis, le Canada ne connaissent pas la véritable histoire de notre pays. […] Nous voudrions aujourd’hui créer le mythe positif pour les jeunes de la nouvelle génération.
De son côté, l’historien conservateur Marcin Darmas, qui est professeur à l’Institut de sociologie de l’Université de Varsovie, juge qu’on a, dans le passé, considéré à tort que la Pologne était complice des actes antisémites commis durant la Deuxième Guerre mondiale et sous la période communiste, notamment durant la campagne de 1968, quand des milliers de Juifs ont dû quitter le pays.
Or, selon Darmas, on oublie que la Pologne n’avait pas d’État souverain et légitime pendant une grande partie du 20e siècle.
La Pologne est victime de l’histoire, à deux reprises. Il y a d’abord ici eu le paroxysme de la Deuxième Guerre mondiale […] Et ensuite, on a été victimes du communisme. […] D’où la nécessité de remettre les pendules à l’heure.
Toutefois, selon Konstanti Gebert, écrivain et journaliste juif polonais, ce révisionnisme historique fait l’économie d’un véritable examen de conscience. La Pologne ne peut pas, selon lui, se laver les mains aussi facilement du passé.
« La Pologne a une histoire difficile. On aurait aimé avoir une autre histoire. Vu qu’on ne l’a pas, on essaie de rédiger l’histoire pour que finalement elle se conforme aux désirs des gouvernants et aussi d’une certaine partie de la société polonaise qui en a ras-le-bol de l’histoire, qui voudrait avoir une histoire rangée dans le placard pour ne plus devoir s’en préoccuper », explique Konstanti Gebert.