La dynastie de Radzin

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La Dynastie de Radzin

Par Moché Wolf, Bné Braq

La dynastie ‘hassidique de Radzin, née il y a quelque 200 ans, remonte à rabbi Mordekhaï Yossef Lainer d’Izbitsé. Elève de rabbi Sim’ha Bounim de Psyscha, et ami de rabbi Mena’hem Mendel de Kotsk, il puisa auprès de ces deux géants de la ‘Hassidouth l’inspiration d’une voie spirituelle exigeante et sans concessions. Fidèle collaborateur du rabbi de Kotsk durant plusieurs années, il finit pourtant par rompre avec la voie extrême de son maître et ami. Installé à Izbitsé, il attira autour de lui un nombre grandissant de ‘Hassidim trouvant dans son enseignement, outre l’idéal exigeant de perfection et de sacrifice de soi hérité de Psyscha et de Kotsk, un amour attentif à chaque Juif, le plus simple soit-il. Deux de ses élèves les plus éminents devaient eux-mêmes devenir des maîtres de la ‘Hassidouth : rabbi Leibele Eigger, petit-fils du décisionnaire rabbi Aqiva Eigger, et rabbi Tsaddok haKohen de Lublin (auteur de nombreux ouvrages tels que Peri Tsadiq, Tsidqath haTsadiq). A sa mort, en 1854, lui succéda son fils rabbi Ya’aqov qui, tout en maintenant les grandes lignes de l’enseignement de son père, chercha à mettre un terme aux tensions avec la « maison-mère » de Kotsk, et renonça à imposer à tous l’idéal élevé mais sans concessions proposé par rabbi Mordekhaï. Connu pour sa grande patience et son amour d’Israël, il accueillait de toute la Pologne des consultants attirés par son esprit perspicace et avisé. C’est sous sa direction que ce mouvement ‘hassidique s’installa à Radzin, et connut sa plus grande influence.
Une nouvelle page de l’histoire de Radzin allait s’ouvrir avec son fils, rabbi Guerchon ‘Hanokh. Chéri par son grand-père, qui appréciait son assiduité à l’étude comme la vivacité étonnante de son esprit, rabbi Guerchon ‘Hanokh reprit une voie fondée sur une quête exigeante de la perfection et de la vérité. Soucieux de la pureté et de la qualité spirituelle et morale de ses ‘Hassidim, il leur imposa des règles strictes quant à l’étude de la Tora et de la ‘Hassidouth, comme à leur mise en application.

Reconnu comme un des grands érudits de sa génération, par ailleurs autodidacte de génie versé dans les sciences naturelles, la chimie et la médecine, il travailla durant 10 ans à la rédaction d’une œuvre magistrale sur le traité de la Michna Taharoth : ce traité n’ayant pas été « doté » d’une Guémara le commentant, il entreprit de rassembler toutes les explications disséminées à travers le Talmud, et de les présenter sous la forme d’une discussion talmudique classique, entourée de commentaires anciens comme de commentaires de son crû. Cette œuvre remarquable – dont une partie seulement a été conservée – suscita un grand intérêt lors de sa parution, bien que les autorités de Lituanie se soient montrées très réservées à son égard, craignant de la voir considérée comme partie intégrante du Talmud.
Mais l’œuvre la plus importante de rabbi Guerchon ‘Hanokh, qu’il considéra comme une mission personnelle et providentielle, fut la recherche du ‘Hilazon et du Tekhélèth. Cette recherche, menée avec la fougue et l’assurance qui le caractérisaient, l’amena jusqu’en Italie, où il apprit quelques rudiments d’Italien et se livra à de longues observations sur les divers animaux marins présentés au Musée de Naples. Il en publia les résultats en 1889, mais disparut deux ans plus tard, âgé seulement de 52 ans. A sa grande déception, et malgré son désir fervent de répondre à toutes les objections, l’accueil réservé à sa découverte fut mitigé sinon hostile. Certains grands décisionnaires, tout d’abord enthousiastes, firent par la suite machine arrière, et c’est en pleine tempête que disparut cette personnalité si riche et controversée. Son fils, rabbi Mordekhaï Yossef Eli’ézer, reprit les rênes à sa suite jusqu’en 1929, et sut apaiser quelque peu les esprits.

On comptait pourtant à son époque quelque 15.000 ‘Hassidim arborant fièrement le fil de Tekhélèth remis à l’honneur par leur Maître.

Son fils rabbi Chemouël Chlomo, dernier rabbi de Radzin avant la guerre, fut mis à mort par les Allemands en 1942. Il avait pris la précaution de transmettre le secret de fabrication du Tekhélèth à 10 fidèles, mais ils disparurent eux aussi en déportation. Le secret du Tekhélèth était-il donc à nouveau perdu ? Fort heureusement, on découvrit après-guerre aux Etats-Unis une lettre du rabbi Mordekhaï Yossef Eli’ézer, détaillant la technique de fabrication mise au point par son père. Le « fil » de la tradition se trouvait ainsi perpétué…

Rabbi Chemouël Chlomo de Radzin, dernier détenteur du secret du Tekhélèth

Printemps 1942. Une à une, les lumières se sont éteintes dans le ghetto de Vladowa, petite ville de la région de Lublin. L’occupant nazi est dans la ville, et le Judenrat – l’administration juive aux ordres de l’oppresseur – tient le ghetto sous sa coupe. Seule une maisonnette est restée éclairée dans laquelle un petit groupe de jeunes gens sont assis en cercle ; au centre, un homme encore jeune aux traits volontaires, graves, décidés. Il parle, explique, enseigne, et les jeunes gens écoutent, notent et questionnent. Cet homme, c’est rabbi Chemouël Chlomo de Radzin, dernier chef spirituel d’une famille ‘hassidique qui, pendant cinq générations, eut une importance capitale dans le développement de la ‘Hassidouth. En cette soirée là, rabbi Chemouël a décidé d’initier un petit groupe de ses ‘Hassidim au secret de la fabrication du Tekhélèth : cette couleur bleue, jusqu’à la destruction du Temple, servait à teindre l’un des fils des Tsitsith et avait disparu jusqu’à ce que rabbi Guerchon ‘Hanokh, deuxième rabbi de Radzin et grand-père de rabbi Chemouël en ait retrouvé la trace.

Rabbi Chemouël sait que la fin approche : l’ennemi nazi met à exécution, systématiquement son plan d’extermination. Mais lui, depuis le début de l’occupation, n’est pas resté inactif : dès l’arrivée des Nazis à Radzin, il a dispersé les 300 jeunes élèves de sa Yéchiva, et commencé d’organiser un réseau de secours, aide et réconfort aux innombrables réfugiés. Sans compter ni hésiter, il mettait ainsi en danger sa vie plusieurs fois par jour. Les Nazis le poursuivirent et il dut s’enfuir à Wladowa. Bien qu’enfermé derrière les murailles du ghetto, il persévéra obstinément dans son œuvre d’assistance et réconfort aux Juifs éprouvés.

Toujours fougueux et direct, il portait critiques et accusations contre les hommes du Judenrat, protestait en public contre leurs mesures injustes et criminelles. Les Allemands, le sachant à l’origine de cette révolte latente, le firent rechercher afin de mettre fin publiquement à ce mouvement d’opposition. Quant le fidèle intendant du Rabbi eut vent de la chose, il choisit de protéger sa fuite. Après s’être immergé au Mikvé, il revêtit un linceul, un Talith aux Tsitsith teintées de bleu, et alla se rendre aux Allemands, prétendant être le Rabbi en personne. Il fut aussitôt exécuté, devant tous les habitants de la ville réjouis de voir finalement vaincu le « Saint » des Juifs.

Ce n’est que quelques semaines plus tard que les Allemands apprirent qu’ils avaient été abusés : le Rabbi, toujours en vie, continuait sa tâche de berger fidèle. Le 24 Yiar 5702 (1942), rabbi Chemouël organisa un jeûne public de 3 jours, mais les troupes d’assaut allemandes envahirent le ghetto et l’arrêtèrent. Pendant 5 jours il fut détenu et torturé dans d’atroces conditions, pour être finalement exécuté devant tous les Juifs du ghetto. Avant de faire face aux balles de l’ennemi en prononçant le Chéma’, il cria encore : « Frères juifs, ne cédez pas à ces assassins ! »

Kountrass Magazine nº 3 – Adar 5747 / Mars 1987

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