« Le Monde » révèle mardi l’existence d’un « trésor » nazi croupissant dans la chambre haute du Parlement français, presque incognito.
« On ne garde pas un buste d’Hitler au Sénat, c’est insensé ! » s’étrangle le sénateur Les Républicains (LR) Roger Karouchi dans les colonnes du Monde. Et pourtant. Au terme d’une enquête de longue haleine, le quotidien national est parvenu à exhumer un encombrant trésor enfermé dans les murs du Palais du Luxembourg. Buste d’Adolf Hitler, drapeau nazi, bureaux ornés de l’aigle du IIIe Reich… Toutes ces reliques prenaient la poussière depuis 75 ans au sein de l’honorable chambre haute du Parlement français.
L’ensemble du personnel du Sénat semble tomber des nues en apprenant la nouvelle. « Je ne l’ai jamais vu et je n’en ai jamais entendu parler », jure au Monde l’ancien questeur socialiste Jean-Marc Pastor, interrogé par Le Monde au sujet du buste du Führer. « Vous me l’apprenez », abonde Vincent Capo-Canellas, sénateur (UDI) de Seine-Saint-Denis et actuel questeur du Sénat. L’homme indique au quotidien qu’il doit bientôt se rendre dans le « bunker », sous-entendant que la sculpture, si elle existe, s’y trouve peut-être.
Le « bunker » ? Un abri en béton armé érigé en 1937 sous le jardin du Luxembourg destiné à protéger les sénateurs en cas de bombardements. Mais chou blanc : le buste ne s’y trouve pas. Au regard de l’histoire du bâtiment, il pourrait cependant se trouver dans n’importe quelle autre pièce. Le Monde rappelle en effet que le Sénat a été occupé pendant la Seconde Guerre mondiale par la Luftwaffe, l’armée de l’air allemande. Ils défigureront d’ailleurs ce palais de la République avant de le quitter, érigeant notamment des pyramides avec des chaises Louis XV… Après la libération, en février 1949, le directeur du service du personnel intérieur et du matériel dresse un inventaire précis du « nettoyage » du palais à la questure. Là encore, nulle mention dans ce document de 18 pages d’un buste d’Hitler.
C’est finalement Damien Déchelette, actuel architecte en chef du Sénat, qui dévoile le pot aux roses et confirme l’existence de la sculpture. « Le buste devait être dans un bureau de l’occupant. Il est toujours resté en réserve, il n’en est jamais sorti. Personne ne s’en est occupé, je ne vois pas ce qu’on peut en faire », confie-t-il au Monde. L’enquête du quotidien finit par faire jaser au Sénat, jusque dans les bureaux de son président, Gérard Larcher (LR). Un audit est alors lancé.
« Les vainqueurs font ce qu’ils veulent »
Le 28 août, le journal reçoit un document de cinq pages de la part du service communication du Sénat. « Dans les réserves sont par ailleurs conservés quelques pièces de mobilier ainsi qu’un buste laissé par l’occupant allemand et dont on ignore l’origine », indique le rapport. Dans un supplément d’informations, le Palais du Luxembourg indique que les archives abritent également un drapeau nazi. À propos du mobilier, le Sénat explique que, « de temps en temps », « on peut se rendre compte qu’il y a une estampille [nazie] ».
Une question se pose désormais : pourquoi le Sénat a-t-il tenu à conserver de tels objets ? Une historienne esquisse un début d’explication dans les colonnes du Monde : « Les drapeaux nazis étaient pris comme trophées. Les lieux étaient pillés, saccagés, les libérateurs emportaient un petit morceau de l’occupant, ça a été la foire d’empoigne […]. Il n’y a pas eu de politique de destruction ou de police de contrôle. Les vainqueurs font ce qu’ils veulent », explique Cécile Desprairies. Cette collection pourrait donc être l’œuvre d’un ou de plusieurs individus et non de l’institution. Mais le mystère demeure entier. Le journaliste du Monde n’a même pas pu voir le « trésor » de ses propres yeux et a dû se contenter de clichés gracieusement envoyés par le service communication du Sénat.
Source www.lepoint.fr