Par Albert NACCACHE – Temps et Contre Temps
Sarah Leah Whitson, ancienne directrice de la division Moyen-Orient de l’ONG Human Rights Watch, accuse l’Occident de «deux poids, deux mesures» en donnant le feu vert à de lourdes sanctions contre la Russie en raison de l’invasion de l’Ukraine tout en s’opposant aux sanctions contre Israël pour son traitement des Palestiniens. Les défenseurs de cette thèse considèrent que le Droit international et humanitaire est à géométrie très variable, surtout s’il s’agit de populations «non-blanches». Et que l’Occident est resté muet durant des décennies dans d’autres dossiers beaucoup plus graves, ou aucune sanction n’a jamais été prise. Des guerres ont dévasté des pays entiers, ruinant leurs infrastructures et leurs économies pour des générations, détruisant des familles, faisant des millions de victimes en Asie, en Afrique, en Amérique du Sud, au Moyen-Orient sans que ses principaux acteurs ne soient inquiétés.
«L’attention du monde est actuellement focalisée sur l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et je regarde les informations à Gaza, sans voix, bouillonnante de rage. Cependant, la réalité que j’ai découverte est que notre identité en tant que Palestiniens – notre race, notre religion, la couleur de notre peau et de nos yeux – ne semble pas suffire à gagner le respect des médias internationaux, qu’ils entendent nos voix et s’en fassent l’écho. La réalité que nous vivons sous un régime colonial a récemment été décrite comme un apartheid par l’une des principales organisations de défense des Droits de l’Homme au monde. Pourtant, la couverture de cette déclaration témoigne de notre tragédie en tant que peuple occupé : notre quête de libération ne compte pas tant que nous nous trouvons du côté “oriental” du monde. [1]
«Ukraine et Palestine : hypocrisie et double langage. Selon eux tous ceux qui suivent les États-Unis, le Royaume-Uni, l’UE et Israël lui-même, l’intégrité territoriale et la souveraineté de l’Ukraine sont sacro-saintes. Mais pourquoi chacun d’entre eux n’applique-t-il pas le même principe à la Palestine et aux Palestiniens ? Le peuple de cette terre occupée n’a-t-il pas droit à sa propre intégrité territoriale et à sa souveraineté sans devoir subir la réalité des incursions armées quotidiennes de l’État agressivement colonial d’Israël, un pays qui n’a jamais déclaré ses frontières parce que son idéologie sioniste fondatrice exige son expansion constante dans les pays voisins, et pas seulement sur la terre de Palestine ? Tant que l’ONU et l’OTAN ne mettront pas en place des règles du jeu équitables en matière de droits de l’homme, de souveraineté et de respect des frontières, nous pouvons nous attendre à assister à davantage d’invasions et de vols de terres, les États puissants continuant à agir en toute impunité. [2]
George Galloway, politicien britannique déclare : «Les mêmes supermarchés qui retirent les produits russes, ont refusé de le faire pour ceux du régime d’apartheid israélien, sous prétexte que cela aurait été faire de la politique. Des hypocrites dégoûtants». L’actrice américaine Angelina Jolie a fait remarquer «Avant qu’un seul réfugié ukrainien traverse la frontière, il y avait déjà plus de 82 millions de personnes déplacées de force, dont 6 millions de Syriens». Le top model néerlandaise d’origine palestinienne Bella Hadid a souligné l’évidente discrimination dans la condamnation de l’oppression selon les régions du monde et a réclamé le même niveau de sanctions pour les souffrances infligées aux Musulmans que pour celles infligées aux Ukrainiens par les Russes.
Sans surprise, Bachar al-Assad, a salué vendredi 25 février 2022 l’invasion de l’Ukraine par la Russie estimant qu’il s’agissait d’une «correction de l’Histoire et un rétablissement de l’équilibre de l’ordre international après la chute de l’Union soviétique». Les Palestiniens dénoncent les deux poids, deux mesures de la communauté internationale dans la guerre russe. Le principal argument des dirigeants palestiniens est que la communauté internationale fait preuve d’hypocrisie et de racisme en se montrant plus favorable aux Ukrainiens en raison de leur couleur, de leur religion et de leur race.
Mahmoud al-Habbash, un conseiller principal du président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, a condamné vendredi la communauté internationale pour son «silence sur les violations israéliennes alors qu’elle se précipite pour dénoncer les violations des droits de l’homme dans d’autres parties du monde. La légitimité internationale s’applique-t-elle en fonction de la religion, de la couleur, de la race ou de la géographie ? Lorsque des événements se produisent ici ou là, la communauté internationale se mobilise. Mais personne ne remarque le peuple palestinien qui subit l’injustice depuis plus de 70 ans. La justice et le droit n’acceptent pas la sélectivité».
Osama Kawassmeh, porte-parole de la faction Fatah au pouvoir, a reproché à la communauté internationale d’appliquer des ensembles de principes différents pour la guerre Russie-Ukraine et le conflit israélo-palestinien. «Certains considèrent-ils le sang palestinien comme un sang de seconde zone ? L’humanité est-elle classée en fonction de la race et de la couleur ?». [3]
Nasrallah aux Etats-Unis : «Nous ne sommes pas vos esclaves !» Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, s’est lancé dans une diatribe réaffirmant son opposition aussi bien au communiqué du ministère des Affaires étrangères condamnant l’invasion russe de l’Ukraine, que le vote libanais à l’Assemblée générale de l’ONU contre la Russie. Il s’est lâché contre les États-Unis, dénonçant leur «politique discriminatoire» dans le monde. Il a condamné le fait que Washington désigne les attaques russes contre l’Ukraine comme étant «des crimes de guerre», en s’interrogeant sur «la nature des actes perpétrés par les États-Unis contre les civils à Hiroshima, Nagasaki, en Irak, en Afghanistan et à Gaza : tous les crimes commis par les États-Unis ne sont pas mentionnés, parce qu’ils ne ciblaient pas des blancs aux yeux bleus, comme c’est le cas aujourd’hui avec la Russie et l’Ukraine. Les valeurs américaines n’ont pas l’air de s’appliquer à tous».
Pour l’Association des journalistes arabes et du Moyen-Orient une grande partie de la couverture médiatique est ouvertement raciste, les commentateurs occidentaux notant avec sympathie que les personnes fuyant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, contrairement apparemment à celles déplacées par les invasions occidentales du Moyen-Orient, sont «civilisées et ne ressemblent pas à des réfugiés».
Comparaison n’est pas raison. Jonathan Greenblatt, directeur national de l’Anti-Defamation League, répond en disant que le conflit au Moyen-Orient était «une querelle portant sur un territoire entre deux peuples qui ont, l’un et l’autre, des revendications et des liens historiques sur les terres en question. Comparer cette situation complexe à l’usage brutal de la force par la Russie contre la nation souveraine et pacifique de l’Ukraine, c’est une mauvaise représentation intentionnelle du conflit israélo-palestinien, et ce sont des propos qui se montrent profondément insensibles à la crise humanitaire et sécuritaire que doivent affronter aujourd’hui les Ukrainiens».
Nous pouvons tirer trois leçons de la guerre d’Ukraine
Leçon un : Une déclaration d’amour pour les Ukrainiens. Le présumé racisme n’existe que dans des esprits haineux.
Le peuple d’Ukraine, ainsi que les Russes qui s’opposent à la guerre et à la politique de Poutine, méritent tout notre soutien.
Leçon deux : les Palestiniens ne sont plus crédibles
Les Accords d’Abraham qui se mettent en place excluent chaque jour davantage les discours de haine et la désinformation. Les Palestiniens ne comprennent toujours pas quelle est la différence entre un cocktail Molotov lancé contre un char de l’armée russe, et celui lancé contre des civils israéliens dans leur voiture.
«Entre Kiev et Gaza» – L’ukrainisation du récit palestinien par Evelyne Gougenheim
«Neuf jours après le début du conflit, les diffuseurs de propagande de ceux qui exigent la Palestine de la mer au Jourdain ont compris tout l’intérêt de surfer sur la vague de soutien dont bénéficient le président Zelensky et son pays l’Ukraine. Ainsi, sous nos yeux prend corps une forme d’ukrainisation du récit palestinien qui espère, en forçant la réalité des faits, créer un parallèle avec Zelensky. A la recherche d’un succès aussi spectaculaire, ils multiplient les images, les comparaisons grossières rognant, à leur habitude, toutes les différences. Récupérer tout ce qui peut servir à alimenter la victimisation palestinienne et la diabolisation d’Israël. Aucune importance que les situations soient radicalement différentes. Ceux qui, régulièrement, appellent «au démantèlement de l’entité sioniste et son criminel apartheid» revendiquent la même légitimité que celle de l’État agressé. Toutes les différences entre l’Ukraine et la Palestine sont commodément cachées. Il vaut mieux ne pas mentionner les martyrs palestiniens – dont les familles touchent des salaires à vie pour avoir kidnappé et assassiné des adolescents israéliens, tiré sans discernement sur des gens dans des restaurants et tiré des roquettes sur des villes israéliennes, fait exploser des bus et poignardé des civils au hasard dans les rues de Jérusalem. Les Ukrainiens n’ont jamais fait de telles choses… Mais pour les Palestiniens cela n’a pas d’importance ». [4]
Leçon trois : Poutine est un criminel
Cette guerre d’Ukraine est l’aboutissement du parcours criminel de Vladimir Poutine. Avec Grozny la capitale de la Tchétchénie, qui a été littéralement rasée pendant l’hiver 1999-2000 par l’artillerie et les frappes aériennes russes. L’offensive contre la Tchétchénie, décidée par le Premier ministre de l’époque, Vladimir Poutine, a contribué à faire de lui le successeur de Boris Eltsine. Avec la Syrie, qui fut le laboratoire de la barbarie guerrière de Vladimir Poutine. En 2015, Vladimir Poutine intervient aux côtés de l’armée syrienne, il se lance sans scrupule dans une campagne de destruction à Alep, Idlib, la Ghouta. Les crimes russes en Syrie n’avaient alerté personne.
[1] Asmaa Yassin, 2 mars 2022 Mondoweiss
[2] Par Yvonne Ridley, journaliste et auteure britannique, Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine 28 février 2022
[3] Par Israël 24/7- 7 mars 2022
[4] JFORUM 6 mars 2022