Guerre Israël-Hamas : des vidéos de la guerre en Syrie présentées comme des images de Gaza
Non, les écoliers ensanglantés ne sont pas des Gazaouis dont l’établissement vient juste d’exploser mais de jeunes דyriens filmés il y a quelques années. La désinformation déshumanise les victimes, selon des experts.
Par Le Parisien avec AFP
Depuis le début, le 7 octobre, des hostilités entre Israël et le Hamas palestinien dans la bande de Gaza, Internet est inondé d’images montrant les horreurs de la guerre. Sur les réseaux sociaux, une vidéo montrant des écoliers syriens ensanglantés après une explosion a été faussement associée à Gaza, illustrant une inquiétante tendance à la désinformation qui, selon des experts, déshumanise les victimes des guerres en Syrie et dans le territoire palestinien.
Des journalistes de l’AFP spécialisés dans la vérification des faits ont révélé notamment que des photos et vidéos de la guerre en Syrie ont été présentées comme étant des images de la bande de Gaza. Largement diffusée sur les réseaux sociaux, une vidéo filmée par un enseignant dans une école du village d’Afes, dans le nord-ouest de la Syrie, montre des enfants visiblement terrifiés après un bombardement des forces gouvernementales.
« Notre histoire n’est pas une fiction »
Des secouristes des Casques blancs, opérant dans les zones rebelles en Syrie, ont raconté à l’AFP que des éclats d’obus avaient volé dans les salles de classe et blessé plusieurs élèves. Une enseignante a succombé à ses blessures.
Pour Ismail al-Abdallah, un bénévole des Casques blancs, la propagation de cette fausse information minimise « la gravité des véritables horreurs auxquelles sont confrontés les civils » dans le territoire palestinien et en Syrie. « Notre histoire n’est pas une fiction que les gens peuvent simplement modifier pour inventer une autre histoire », a-t-il fustigé lors d’une interview.
Une autre vidéo, censée montrer les horreurs subies par les civils à Gaza, où les enfants sont parmi les plus touchés par la guerre, a en fait été tournée en Syrie en 2014. Elle montre un garçon en larmes après la mort de ses frères et sœurs. Une photo de 2013, sur laquelle on peut voir des enfants syriens morts enveloppés dans des linceuls, a également été détournée et partagée par une membre du Congrès américain.
Une insulte aux journalistes qui risquent leur vie
Ces images détournées font de l’ombre à celles prises par des journalistes sur le terrain au péril de leur vie et, selon des experts, elles brouillent également la compréhension des conflits. « Le but de la désinformation n’est pas seulement de faire croire à un mensonge, mais aussi de diviser », explique à l’AFP Lee McIntyre, chercheur à l’université de Boston.
Parmi ceux qui recyclent de vieilles images, on trouve des influenceurs de premier plan. C’est le cas de l’Américain Jackson Hinkle, qui a partagé en novembre une vidéo d’une femme tenant un jouet et descendant les escaliers d’un immeuble balayé par des éclats d’obus, avec la légende suivante : « Vous ne pouvez pas briser l’esprit palestinien ».
Elle a en réalité été tournée en 2016 dans la ville syrienne de Homs, ont révélé des journalistes de l’AFP grâce à la recherche d’images inversées. Pour Kenan Masoud, le directeur de l’école du village syrien d’Afes, la désinformation est « triste et dégoûtante ». « Les images d’enfants et de blessés ne sont pas à vendre ».
« Pure paresse » ou propagande
Ces détournements d’images sont « dangereux car ils donnent aux détracteurs un moyen facile de rejeter des allégations fondées », souligne Roger Lu Phillips, directeur juridique du Centre syrien pour la justice et la responsabilité (SJAC).
La désinformation est souvent réalisée « à des fins propagandistes » ou « par pure paresse », explique-t-il. Elle « sème le doute dans le cœur des gens », estime pour sa part Ranim Ahmed, de l’association de défense des droits humains The Syria Campaign. Ce qui peut pousser le public à se taire plutôt qu’à s’engager dans des actes de solidarité par exemple, poursuit-il. La désinformation met aussi en péril les futures enquêtes sur les crimes de guerre, affirme de son côté Sophia Jones, chercheuse pour l’ONG Human Rights Watch (HRW).