Des terroristes libérés accueillis en héros dans leur village

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Par Jacques BENILLOUCHE – Temps et Contretemps

Deux terroristes ont été libérés après 40 ans de prison dans les geôles israéliennes et ils sont accueillis en héros dans leur village comme s’ils avaient réussi un haut fait d’armes. Maher et Karim Younis (la photo de ce dernier est visible sur la page d’accueil), deux cousins, avaient tué en 1980 le jeune caporal de Tsahal Avraham Bromberg (ci-contre) sur les hauteurs du Golan. Leur seule gloire aura été d’avoir assassiné un soldat isolé. Condamnés à la prison à perpétuité, ils doivent leur élargissement au président Shimon Peres qui a commué en 2012 leur peine à 40 ans de prison.

En 1983, Younis avait été reconnu coupable avec son cousin Karim Younis du meurtre d’Avraham Bromberg qui faisait de l’auto-stop en direction de ‘Hadéra alors qu’il servait dans le Golan. Ces Arabes israéliens avaient offert au soldat, qui rentrait chez lui depuis sa base militaire, de le ramener en voiture, avant de le maîtriser, de lui tirer une balle dans la tête et de lui voler son arme.

Arrêtés par les forces de l’ordre, ils ont été laissés en vie car l’éthique de l’armée exige qu’on n‘abatte pas un terroriste sans menace. C’est l’honneur d’une armée populaire que de se comporter avec humanité et non en bête assoiffée de sang. La justice est passée. Mais il y a une certaine indécence à fêter leur libération alors que les parents Bromberg sont encore dans la peine. Leur fils est mort et ses assassins sont encore en vie. À cette occasion, le sujet de la peine de mort, le châtiment suprême, revient sur le tapis. Certains se posent la question de comprendre pourquoi les assassins sont encore en vie.

Israël a aboli en 1954 la peine de mort qui ne peut plus s’appliquer que dans le cadre d’un «génocide, de crime contre l’humanité, de crime de masse, de trahison ou de crime contre le peuple juif».  Depuis la création de l’État, elle n’a été appliquée qu’une seule fois contre le criminel nazi Adolf Eichmann, exécuté à Jérusalem le 31 mai 1962. Mais, avant la création de l’État, Israël garde en mémoire l’erreur judiciaire en la personne de Meir Tobiansky dont le cas fut le plus grave et le plus scandaleux puisqu’il a été soupçonné à tort de trahison. Il avait subi le feu d’un peloton d’exécution après un procès bâclé, pendant la guerre d’Indépendance en 1948. Il a fallu plusieurs années pour que son innocence soit reconnue et son nom réhabilité.

L’État juif adopte ainsi une position ambivalente alors que les considérations sécuritaires sont fondamentales dans le pays. Israël a confirmé sa position en votant pour la résolution de l’ONU du 18 décembre 2008, impliquant un moratoire mondial sur les exécutions. Mais les pays étrangers refusent de placer Israël parmi les pays abolitionnistes puisqu’il existe encore, dans la loi israélienne, des cas d’application de la peine de mort.

Les nationalistes israéliens veulent d’ailleurs s’appuyer sur les cas précis soulevés pour exiger la peine de mort pour les terroristes. Ils n’ont pas besoin d’un nouveau texte législatif puisque l’interprétation est libre. Ils évitent cependant d’analyser les raisons de la loi de 1954, fondée sur la violence insensée et sur les crimes en rapport avec la Shoah. Mettre sur un même pied d’égalité les crimes de droit commun, voire la violence terroriste, risque en effet de banaliser les crimes nazis pour lesquels la loi a été votée. Il existe des niveaux de responsabilité qui ne peuvent pas être comparés.

Il ne semble pas que la classe politique israélienne soit en faveur de la peine de mort et on soupçonne sa réticence. L’assemblée plénière de la Knesset du 17 juin 2015 avait rejeté en lecture préliminaire une proposition de loi qui instituait la peine de mort pour les terroristes condamnés. Ce texte aurait rendu plus facile aux tribunaux militaires et aux districts de condamner à mort les personnes reconnues coupables d’assassinat avec des motifs nationalistes. Une grande majorité de la Knesset s’est opposée à ce projet puisque seuls 6 députés ont voté en sa faveur alors que 94 autres, présents, ont voté contre.

Israël n’a pas choisi la voie abolitionniste pour des raisons juridiques mais par tradition et sur la base d’une interprétation religieuse. Il est vrai que la loi religieuse reconnaît la peine de mort comme une punition juste et indispensable mais il s’avère à l’usage que l’application de la loi dans le cadre religieux est limitative. Selon la tradition rabbinique, Maïmonide au 12ème siècle avait écrit : «il est préférable d’acquitter mille personnes coupables que de mettre un innocent à mort». C’est pourquoi les règles religieuses sont très strictes ; deux personnes au moins doivent témoigner du meurtre ; les proches de la victime sont exclus des témoins admissibles ; enfin les témoins doivent avoir prévenu l’auteur du crime de leur responsabilité et de la possibilité d’exécution. Le Rambam craignait que la mort relève uniquement du «caprice des juges».

Ainsi, le rabbin Yossef Edelstein de l’Université George Washington, a exprimé son opinion : « Théoriquement, la Tora peut être interprétée comme étant en faveur de la peine de mort. Il n’est pas moralement impossible de mettre quelqu’un à mort. Cependant, les perspectives changent quand on s’intéresse à la mise en pratique d’une législation qui semble dure. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il est difficile en pratique d’exécuter un être humain dans la société juive. Je crois qu’à la lumière de la jurisprudence juive, la peine capitale telle qu’elle est présentée dans la Tora et appliquée par les plus grands Sages de notre religion, symboles même d’humilité et d’humanité, ne ressemble en rien à celle qui est mise en œuvre de nos jours en Amérique. Elle fut pratiquée en Israël ancienne une fois tous les sept ans, et non 135 fois en cinq ans et demi». On en déduit que la tradition rabbinique confirme les positions abolitionnistes de l’État juif et de la diaspora juive. Les termes de la loi de 1954 sur la peine capitale reflètent en fait l’héritage de ces coutumes.

Si Israël voulait recourir à la peine de mort, la tradition juive et la loi de 1954 ne seraient pas un obstacle car seules les considérations sécuritaires priment sur les considérations morales. En effet, comme dans toutes les lois, on peut interpréter à sa façon les textes et les expressions «crime contre le peuple juif» et «trahison» qui couvrent tous les horizons du terrorisme. Il est vrai que face au développement des actes terroristes sanglants contre des femmes et des enfants, les appels pour le rétablissement de la peine de mort se multiplient car certains sont convaincus que l’échafaud pourrait avoir un effet dissuasif. Mais cela est valable pour des personnes raisonnables, normalement constituées, et non pour des candidats au suicide. Les jeunes terroristes savent qu’avec Israël, la mort est certaine au bout du chemin, à de rares exceptions près, et pourtant la mort n’est pas dissuasive.

En revanche, les services israéliens de sécurité intérieure (Shabak) sont intéressés à capturer un assassin vivant car ils peuvent alors obtenir de précieuses informations sur le réseau, le commanditaire, les caches d’armes et les attentats planifiés. En le laissant en vie, la récolte d’informations peut sauver de nouvelles vies. La théorie du loup solitaire est surfaite ; les terroristes sont guidés par des gourous et c’est eux qu’il faut rechercher et même éliminer. La mort pour un assassin pourrait paraître une solution douce alors que quarante ans de prison sont un calvaire physique et psychologique. Et cela pour des terroristes qui se voient en prison alors que leurs chefs profitent de la vie dans la luxure. A terme, ils se rendent compte que leur sacrifice ne vaut pas la peine car rien n’a changé et qu’ils ont été les seuls à payer de leurs corps. Il est probable, que passée l’euphorie de la libération, ils se mettent à mieux réfléchir et surtout à convaincre les jeunes ardents terroristes que leur sacrifice restera stérile et que l’on ne gâche pas 40 années de sa vie pour des dirigeants qui n’en valent pas la peine.

Bien sûr dans le feu de la joie d’avoir été libéré, la parole est libre. Karim Younis s’est rendu sur la tombe de sa mère : «Je suis prêt à sacrifier encore 40 ans pour la liberté de notre peuple. Ma consolation est qu’aujourd’hui les prisonniers sont unis contre la barbarie de l’occupation». Il n’est pas certain qu’à la réflexion, il avalise encore ces paroles que lui ont été dictés par ses chefs qui étaient bien planqués pendant que lui gâchait sa vie en prison. Peut-être que cette foi la leçon servira à mettre du plomb dans le cerveau des jeunes tueurs qui risquent d’entrer en prison en tant qu’adolescents et d’en sortir en vieillards usés.

 NDLR : L’analyse se base sur un élément faux : il est impossible de nos jours de pratiquer la mise à mort après condamnation, car nous n’avons plus de tribunaux avec juges confirmés comme c’était le cas dans les temps anciens, et en aucune manière nous ne pouvons en avoir, ni donc arriver à des condamnations à mort.

Les tribunaux civils n’ont aucun rapport avec ces tribunaux d’antan, et reprendre les règles d’alors et penser à les appliquer dans ce cadre-là est absolument inacceptable.

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