Extrait des cours du rav Acher Kowalski chlita
Nous sommes en fin de soirée dans la métropole de New York. Au terme d’une journée bien remplie de rendez-vous, le rav Chalom Méir Yungerman zatsal, fondateur de la Yechiva de Zikhron Yaakov, se dirige vers le petit bureau de la Yechiva, qui lui servait également de logement pour la nuit lorsqu’il séjournait à New York pour collecter des fonds. Il avait consacré toute sa journée en faveur de la Yechiva, et le lendemain, une journée tout aussi éreintante l’attendait. À cette heure tardive, il désirait uniquement aller se coucher.
Son petit bureau est situé au rez-de-chaussée, et les fenêtres donnent sur la rue. En s’approchant des lieux, rien ne l’avait préparé à ce qui se passerait quelques instants plus tard, lorsqu’il ouvrirait la porte…
Au centre du bureau, gisait au sol le corps inanimé d’un immense chien, que les mouches avaient déjà pris pour proie. Le rav Yungerman ne paniqua pas – on voyait que le chien n’était plus en vie, mais il recula néanmoins, quelque peu choqué. Que devait-il faire ? Pourquoi avait-on jeté un chien dans son bureau ? Comment devait-il réagir face à cette charogne ?!
Il se renseigna et on lui répondit qu’il ne devait pas se faire de souci. La présence du chien n’était pas le signe que quelqu’un le poursuivait ou voulait lui causer du tort, mais constituait un souci pour une autre raison : en effet, la loi de New York interdit de jeter des charognes dans les poubelles de la municipalité, par peur des infections, et de ce fait, chaque propriétaire d’animaux domestiques doit conduire ses charognes dans un cimetière aux confins de la ville. Apparemment, le propriétaire du chien voulait s’épargner cette tâche agaçante et avait donc jeté le chien devant l’appartement du rez-de-chaussée.
Mais ce souci était devenu le sien. Un homme tel que rav Yungerman n’aurait jamais déposé la charogne d’un chien dans la cour d’un autre homme, comme on lui avait fait, et il ne prendrait pas le risque de la déposer dans la rue ou la poubelle. En soupirant, il réalise qu’il n’a d’autre choix que de s’occuper de cette tâche. Il devra conduire le chien au cimetière pour l’y jeter.
Cette mission n’était pas aisée. Le rav Yungerman ne sait pas comment porter le chien et n’a pas l’équipement nécessaire, et la charogne devant lui ne peut être déposée dans un sachet… Il réfléchit et trouva une solution : au bout du bureau était déposée une valise ancienne et inutilisée. Il prit un sac pour y insérer le chien et apporta la valise dans laquelle il déposa la charogne.
Il regarda l’heure et calcula que s’il voulait dormir cette nuit-là, il devait se presser vers la station de train pour prendre le train qui devait partir dix minutes plus tard. Il mobilisa ses dernières forces au terme de cette journée fatigante, ferma à clé la porte du bureau et tira la lourde valise derrière lui. En route, il regarda la montre, recalcula la distance qu’il devait parcourir jusqu’à l’arrêt du train, se demandant s’il y parviendrait…
Il s’arrête un instant, et se reprend. « Tu as un problème ? Pourquoi n’adresses-tu pas de prière à Hachem ?! Tu es dans une impasse ? Tu es pris au dépourvu par un problème inattendu ? Implore Hachem, Il dirige tous les trains ! » Ainsi, le souci et la pression d’attraper le train firent place à une prière émouvante…
Dans ses propres mots, tout en courant dans les rues de New York dans la nuit, il implore Hachem de l’aider à attraper le train, pour se débarrasser de la valise qu’il a en main, et de rentrer à la maison à une heure raisonnable pour reprendre des forces pour le lendemain…
Il s’approche de la voie ferrée et remarque que le train est déjà là. Il lui reste une bonne distance à parcourir, il accélère le pas et prie avec encore plus d’intensité. Il récite des chapitres de Tehilim pour attraper le train…Il avance d’un bon pas, mais à son âge, il ne peut plus vraiment courir, surtout pas en traînant une lourde valise. Il entend le signal de départ du train, puis le second signal. Il sait que le troisième signal annonce la fermeture des portes et le départ du train, donc il accélère encore le pas, tout en intensifiant sa prière en parallèle…
Il arrive presque à l’extrémité du train, continue à avancer jusqu’à ce qu’il croise deux Noirs menaçants, de véritables antisémites cupides. On dirait qu’ils attendaient de croiser un Juif comme lui. Ils ont repéré un Juif d’apparence vénérable avec une lourde valise, et sont persuadés qu’elle contient de nombreux cadeaux achetés pour sa famille à New York. Ils ont une occasion à leur portée, car dans quelques instants, les portes du train vont se fermer…
Ils se jettent sur le rav Yungerman, lui dérobent sa valise et parviennent à monter dans le train. Le rav Yungerman, quant à lui, reste sur le quai, tout heureux !
« Béni soit Celui qui m’a dispensé ! » proclame-t-il en direction du train qui s’éloigne, et comme dans le verset de la paracha de la semaine : « Maudit soit Canaan ! Qu’il soit l’esclave des esclaves de ses frères » : il se moque de ces Noirs qui pensent avoir dérobé une valise contenant des objets de valeur, mais qui découvriront rapidement son contenu… Il entonne un cantique de louanges à Hachem pour ce dénouement extraordinaire, et reprend tout heureux le chemin vers son bureau, il parviendra à dormir cette nuit et le retard qu’il pensait avoir pris a été éliminé au final…
En quelques minutes, il est de retour au bureau, nettoie le sol et chasse les dernières mouches. Lorsqu’il va se coucher, et réfléchit à l’incident de la soirée, il est émerveillé :
Il y a quelques minutes, il était confronté à un problème. Il n’avait pas l’habitude de telles missions, l’heure était tardive, il était épuisé et se heurtait à un problème étrange qui ne seyait pas à son statut, il ne savait pas comment le traiter, et surtout, il lui volait ses maigres heures de sommeil. Puis, tout en courant et en s’imaginant que la meilleure solution était d’attraper le train, il choisit d’adresser une prière au Maître du monde pour solliciter Son aide…
Puis le Maître du monde entendit sa prière et lui présenta une bien meilleure solution ! Il a manqué son train, car il n’en avait plus besoin ! Le Maître du monde a Ses propres moyens pour résoudre des problèmes, Il écoute les prières, et apporte la délivrance, à chaque instant et en chaque endroit du monde !
Chers frères, adoptons cette attitude illustrée dans ce magnifique récit relaté par le petit-fils du rav Yungerman, rabbi Eliyahou Honigsberg. Chacun a ses propres problèmes, luttes, difficultés et défis. On peut tenter de s’en sortir seul, mais c’est fort dommage…
Nous pouvons en effet nous adresser au Tout-Puissant, qui attend nos prières et notre demande d’assistance. Il écoute chaque mot, entend chaque soupir et chaque cri qui émane de notre cœur. Plongeons dans les mots de la Tefila, pénétrons-nous de chaque mot, réfugions-nous à l’ombre de notre Père céleste, et nous mériterons qu’Il exauce nos prières pour le bien !