La Tora nous demande dans deux cas de compter les jours. Le premier concerne les quarante-neuf jours qui séparent Pessa’h de Chavou’oth. Il s’agit alors de compter le ‘Omer (Wayiqra/Lévitique 23,15). Le second s’applique au dénombrement des sept jours de propreté qui doivent s’écouler, dans certains cas d’impureté rituelle, avant purification (id. 15,13 et 28).
Le Zohar (par. Emor 97a) établit une relation étroite entre ces deux recensements
Sept jours de propreté
Les sept jours de propreté désignent sept jours consécutifs, pendant lesquels l’impureté ne s’est pas manifestée à nouveau. S’il se produit, pendant ce délai, le moindre signe d’impureté, les jours qui se sont écoulés jusque là sont invalidés et l’on devra recommencer à compter depuis le début. Il est indispensable, pour pouvoir entreprendre le processus de purification, que le cycle de sept jours se soit écoulé sans aucune interruption. Les efforts spirituels, on le sait, tendent à se relâcher avec le temps. C’est pourquoi celui qui désire sincèrement réaliser une transition à partir de la pollution morale en direction de la sainteté doit s’astreindre à une attention vigilante sur lui-même. Il s’assure ainsi que l’impureté ne va pas faire une réapparition insidieuse. Telle est la leçon que nous enseigne cette mitswa.
« Vous compterez pour vous-mêmes »
La sortie d’Egypte a constitué une transition brutale à partir de l’assujettissement à la puissance du mal vers la soumission librement consentie au bien absolu – le Royaume de Hachem. Il a fallu laisser s’écouler quarante-neuf jours avant que nous puissions nous tenir devant Lui au mont Sinaï. De la même manière que pour les jours d’impureté, chacun des jours qui composent ce « super-cycle » de sept fois exige que l’on le scrute attentivement afin de prévenir tout risque de retour vers la pollution morale. Chaque personne présente dans ses défenses des failles à travers lesquelles, si elle n’y prend pas soigneusement garde, le mal peut s’insinuer. Tel est le sens de l’expression : « Vous compterez « pour vous-mêmes » ». Il faut que nous comptions – que nous tenions notre comptabilité – au plus profond de notre être.
« Le lendemain du Chabbath »
La Tora emploie une formule inattendue pour définir la mitswa du décompte du ‘Omer :
« Vous compterez pour vous-mêmes depuis le lendemain du Chabbath… Sept semaines qui doivent être entières. Vous compterez jusqu’au lendemain du septième Chabbath, soit cinquante jours » (id. 23,15-16).
La loi orale nous enseigne que le « Chabbath » dont il est question ici dans l’expression « le lendemain du Chabbath » désigne le premier jour de Pessa’h. Quant au suivant, il définit des semaines, ou plus exactement des semaines du ‘Omer, lesquelles ne débutent pas forcément un dimanche. Les Sadducéens, à l’époque du Deuxième Temple, prenant ces versets au pied de la lettre, estimaient que l’on devait toujours commencer de compter le ‘Omer un dimanche, de sorte que la fête de Chavou’oth tombait nécessairement ce jour-là de la semaine. La Guemara (Mena’hoth 66) réfute facilement cette opinion. On n’en est pas moins fondé à se demander pourquoi la Tora parle de Chabbath au lieu « premier jour de fête », ou au lieu de « semaine », comme le voudrait la logique. Cela aurait été plus simple et nous aurait épargné bien des malentendus.
Peut-être la Tora fait-elle ici allusion à une idée déjà signalée plus haut. Le sens premier du mot Chabbath est cessation.
[Lorsque la Tora nous prescrit de nous défaire, avant Pessa’h, de tout ‘hamets, elle emploie le mot de tachbitou (Chemoth/Exode 12,15) – dont on reconnaitra la racine Chabbath. Dans sa connotation la plus familière, le mot Chabbath suggère l’idée de « cessation du travail ».]
Le jour de la sortie d’Egypte est donc appelé Chabbath pour marquer qu’il a mis un terme à notre association avec l’impureté qui prévalait dans ce pays. Les semaines suivantes sont également appelées Chabbath, afin de bien enraciner l’idée que la note dominante qui les caractérise est l’extirpation complète, au moyen d’un effort constant et soutenu, de toute impureté qui pourrait subsister en nous.
L’offrande du ‘Omer
Le premier jour de ces sept semaines était marqué, à l’époque du temple, par la présentation de l’offrande du ‘Omer. Cela consistait en un ‘Omer (environ 2,5 kg) de farine obtenue à partir de la nouvelle récolte d’orge. Cette récolte restait interdite à la consommation aussi longtemps que l’on n’avait pas apporté l’offrande à D’ (Wayiqra/Lévitique 23,9-14). La signification de ce geste, au niveau le plus simple, est qu’il fallait passer par cette offrande pour pouvoir tirer profit de la moisson et en user à discrétion. Plus profondément, la présentation de cette offrande signifiait que l’on consacrait toute la récolte à D’, comme pour marquer que nous n’avons le droit de faire usage des biens de ce monde que comme moyen de Le servir.
La « nouvelle offrande »
A l’issue du décompte du ‘Omer, le cinquantième jour, a lieu la fête de Chavou’oth, qui commémore le don de la Tora. Nous sommes appelés, ce jour-là, à offrir à D’ une « nouvelle offrande », consistant en deux pains préparés avec de la farine de blé (id. 23,17). Cette offrande est appelée « nouvelle » parce qu’elle est la première réalisée avec le produit de la moisson de blé en cours.
Mais il s’y attache une autre raison, plus profonde : cette offrande marque notre accès au niveau spirituel correspondant à la « réception de la Tora ». Or, chaque étape spirituelle qu’il nous est donné d’atteindre est complètement nouvelle – comme un monde nouveau – comparée à celle qui la précédait. Dans le monde du matérialisme, rien n’est vraiment nouveau. La satisfaction d’un désir physique n’est pas très différente de celle donnée à un autre. Le plaisir ne tarde pas à s’évanouir, et il faut se mettre aussitôt en chasse de quelque chose de « nouveau », sans que le résultat soit forcément dissemblable. Les plaisirs physiques, si on en jouit à profusion, finissent par gérer un sentiment d’écœurement et de lassitude. Les acquisitions de l’esprit, en revanche, ne nous laissent jamais blasés. On ne se sature pas de l’étude de la Tora ni du service de D’.
C’est là la preuve la plus convaincante de l’authenticité de notre héritage spirituel.
Un choix unique
Toutes les fois qu’une personne se trouve en présence d’un choix où les forces du bien et celles du mal sont en équilibre dans son esprit, nous disons qu’elle est parvenue à un « point de be’hira« .
Chaque nouveau point de be’hira qu’un être humain est appelé à découvrir au cours de sa progression spirituelle lui est exclusif. Jamais personne d’autre ne l’a rencontré auparavant, et jamais personne ne le découvrira dans l’avenir. De même qu’il ne peut exister deux hommes exactement identiques, de même le choix qui s’offre à un moment donné à un individu comporte une finalité unique qui ne se retrouvera jamais chez un autre, à aucun moment de l’histoire de l’humanité. Il est d’une absolue nouveauté.
C’est cela que la Tora appelle une « nouvelle offrande ». Nous ne pouvons y accéder qu’après avoir progressivement, au moyen d’un service pur et loyal, banni l’impureté de nos existences.
Par rav E. E. Dessler zatsal
(Mikhtav MéEliahou version française, tome IV, p. 48)