Chute d’Assad : un pilote enfermé pendant 44 ans pour avoir refusé de bombarder des opposants libéré

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Par Jeanne Durieux

Ragheed Al-Tatari (notre photo) a été libéré le 10 décembre, 44 ans après son entrée en prison. Le plus ancien prisonnier politique de Syrie selon plusieurs associations avait refusé d’exécuter l’ordre de bombarder des insurgés à Hama au début des années 1980.

Libéré après 44 ans d’incarcération dans les geôles d’Assad. Les images de Ragheed Al-Tatari, Syrien septuagénaire à la moustache blanche, bonnet bleu enfoncé sur des yeux cernés et mince sourire aux lèvres, inondent les réseaux sociaux depuis lundi. Ce Syrien a été libéré à la faveur de la chute du régime du dictateur syrien ce dimanche, tombé suite à l’offensive fulgurante d’une coalition de rebelles islamistes.

Il est l’un des milliers de prisonniers politiques libérés par les rebelles depuis lundi, qui s’échappent par flots des prisons du régime. Avant ce cliché daté du 10 décembre le montrant heureux et libéré, la dernière photo prise de Ragheed le représentait quelque quarante années plus jeune, habillé d’un uniforme militaire. Ce Syrien, plus ancien prisonnier politique des temps modernes selon l’Association des détenus et des disparus de la prison de Saidnaya, avait été incarcéré dans les geôles d’Hafez Al-Assad, père de Bachar Al-Assad en 1981 pour s’être opposé à la politique du régime.
Réclusion à perpétuité après une minute de procès
Né en 1954, Ragheed avait obtenu son diplôme de pilote de l’air de l’armée syrienne en 1975. Il avait refusé, en 1980, d’exécuter l’ordre gouvernemental de bombarder des positions d’insurgés qui s’étaient emparés de la ville d’Hama, détaille le site d’informations arabe Daraj, qui a interrogé le fils du prisonnier, Wael. Il avait alors été arrêté une première fois. Libéré, il s’était réfugié en Jordanie puis en Égypte dans l’espoir que sa femme et son fils à naître puissent ensuite l’y rejoindre. Sauf que cette dernière n’était pas parvenue à obtenir un passeport pour quitter le territoire et avait été malmenée par les autorités syriennes. Ragheed était alors rentré en Syrie, pour être de nouveau arrêté.

Le pilote était resté deux ans en isolement à la prison de Mezzeh, qui surplombe Damas, avant d’être transféré dans celle de Tadmor, dans le centre de la Syrie, jusqu’en 2000. De là, Ragheed Al-Tatari avait ensuite été transféré dans l’établissement pénitentiaire de Saidnaya, jusqu’en 2011, avant d’atterrir finalement à la prison centrale d’Adra, dans le nord-est de Damas, retrace le média syrien Zaman al Wasl. Ragheed Al-Tatari n’avait eu droit à un procès qu’au bout de quatre ans de détention, qui n’avait duré qu’une minute. Il avait été condamné à la réclusion à perpétuité.

«Mon père a été privé de tous ses droits les plus élémentaires. Quand je suis né en 1981, il était déjà en prison,», racontait son fils Wael à Daraj en 2021. «S’il avait fait une erreur, ou blessé quelqu’un, j’aurais pu comprendre pourquoi il avait été arrêté. Mais là, il est incarcéré depuis 41 ans et nous ne connaissons même pas les charges retenues contre lui», poursuivait encore son fils, qui n’avait pu voir son père qu’à peine une quinzaine de fois en plus de quatre décennies. Lors de sa première rencontre avec Ragheed, Waël, qui avait déjà 14 ans à l’époque, se rappelle avoir été «terrifié» lorsqu’il avait compris que les militaires qui gardaient la prison «savaient déjà tout sur [moi]. Mon nom, mon adresse, et même les noms de mes amis d’école». Réfugié au Canada, Waël militait depuis de nombreuses années pour la libération de son père.

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